[Féminophobie] – Le féminisme et la haine de la féminité

Un des paradoxes les plus saisissants, chez les Gender feminists (féministes idéologues du genre), notamment chez certaines lesbiennes agressives de type Coffin, ou certains « transgenres FtM » (« hommes à vagin ») tout aussi agressifs de type Preciado, est tout à la fois leur misandrie décomplexée (« Tous les hommes sont des violicideurs et des féminicideurs en puissance ! ») et leur survalorisation fantasmatique du masculin (« Je suis un homme comme les autres ; à moi le pouvouââr !! ») – avec pour corollaire leur guerre déclarée à la féminité et aux femmes elles-mêmes ; ce qui pourrait surprendre au premier abord. Dans ce sillage, on voit proliférer pléthore de discours sur le genre et la transidentité qui poussent un nombre toujours croissant de jeunes femmes à vouloir renier ou abolir leur condition féminine afin de « devenir » des hommes. Dans le prolongement de cela enfin, tout ce qui peut renvoyer aux fondements biologiques du sexe féminin est devenu plus qu’un tabou, un interdit ; la terreur s’abattant sur quiconque y ferait allusion – au point que le mot « femme » est devenu imprononçable chez EELV (honte à eux), de même que dans toutes les nouvelles chapelles du wokisme (jusque chez SOS Homophobie).

Les mêmes qui veulent voir les hommes morts (« Mort aux mecs ! », « Kill all Men ! ») sont subjuguées par une « domination masculine » fantasmée au dernier degré dont elles veulent obsessionnellement s’emparer – comme si les femmes étaient par nature et depuis toujours entièrement dépourvues de toute forme de pouvoir. Une très grosse erreur d’appréciation, comme les travaux d’Emmanuel Todd viennent encore récemment de le démontrer, ou comme je l’évoque moi-même régulièrement sur ce site (par exemple : [Antiféminisme] – Éloge de la femme forte).

Moi qui suis une femme assumée, qui me suis toujours sentie forte dans ma nature de femme, cette complainte larmoyante et victimaire de plus en plus folle et de plus en plus féminophobe m’apparaît aussi incompréhensible que déprimante. Pourquoi de plus en plus de jeunes femmes décident-elles de « transitionner » ? Comment en est-on arrivé là et pourquoi cela semble-t-il empirer chaque jour ? Il me faut commencer par résumer ce que cette situation doit directement au néo-féminisme, avant de développer ce qu’elle révèle encore de la nature profondément toxique de cette idéologie.

Le féminisme fabrique des femmes faibles à la pelle

J’ai déjà évoqué cet aspect :

  • Le féminisme a détruit la cellule familiale, assassiné la paternité, encouragé la maternité sans père et sans repères et mis au monde des générations entières de filles sans référent masculin pour se construire psychiquement. Des filles que l’on verra parfois, au sortir de l’adolescence, se transformer elles-mêmes en hommes (j’en connais) ou devenir lesbiennes, comme si elles se sentaient tenues, inconsciemment, de suppléer en personne à cette absence de figure masculine constructive. Pour autant, je ne saurais dire quel rôle a joué exactement l’absence de père dans ce processus, n’étant pas spécialiste du sujet (je m’interroge seulement, puisque je ne connais pas de lesbienne dans mon entourage, quel que soit son âge, dont le père a été présent ou a joué le rôle espéré – si vous en connaissez, dites-le moi dans les comms). Le sujet est de toutes façons trop complexe pour être résolu en un paragraphe – d’autant que je suis convaincue que l’orientation sexuelle ne se décide pas, étant selon toute vraisemblance une donnée hormonale de naissance (voir plus bas).
  • Même s’il est difficile de distinguer l’œuf de la poule, le féminisme produit du trouble mental, tout en étant lui-même une conséquence des troubles psychiques. Un cercle vicieux qui trouve actuellement son illustration parfaite dans la jeune femme née d’une « femme libérée des années 80 ♫ » (puis 1990, puis 2000), c’est-à-dire élevée sans père (« Elle a fait un enfant tou-ou-te seule ♪ ») et qui, arrivée à l’âge adulte avec des troubles psychiques importants (allant de la dépression à l’anorexie), va trouver dans le féminisme une église et un refuge pour exprimer sa souffrance et sa rancœur vis-à-vis de la gent masculine. Il ne fait aucun doute pour moi qu’il s’agit d’un continuum.
  • Le féminisme n’est pas un « empouvoirement », mais un « dépouvoirement » de femmes qui ont perdu la guerre de la compétition sexuelle à partir du moment où elles ont renoncé à la séduction, à la maternité voire même à l’hétérosexualité quand ce n’était pas dans leur nature profonde. Je considère en effet qu’il existe deux sortes de lesbiennes : celles qui le sont pour des raisons biologiques et congénitales – comme il en va de l’homosexualité masculine – parce que durant leur gestation, des influx hormonaux (ici d’androgènes), ont modelé leur cerveau en ce sens. Ces données biologiques irréversibles déterminent ensuite non seulement leur « genre », mais leur orientation sexuelle – et il n’y a rien à en dire, c’est la nature, c’est comme ça (sur ce sujet voir notamment les travaux de Jacques Balthazart, qui montrent que l’orientation sexuelle trouverait sa source dans les noyaux cérébraux de l’aire préoptique, dont la taille est déterminée par la testostérone prénatale). Comme la question difficile de l’inné et de l’acquis soulève toujours des polémiques, je rajoute ici cet échange avec Jaques Balthazart, où il résume clairement ses données sur l’origine biologique de l’homosexualité:
Non merci. D’une part, l’orientation sexuelle ne se commande pas et d’autre part, je n’ai pas d’ordre à recevoir.

Ces femmes qui se sont elles-mêmes mises en retrait du marché amoureux, qui pleurent dans leur coin sur leur misère féministe au lieu d’aller au combat, de se frotter aux hommes (c’est une image !), ont en réalité déposé toutes leurs armes et renoncé à toute forme de pouvoir (car le pouvoir des femmes sur les hommes est évidemment immense depuis toujours – mais pour le savoir, encore faudrait-il être capable de s’extraire de ses jérémiades). Ce sont des perdantes, des femmes condamnées à se lamenter ad libitum en regardant passer le train de la vie. À leur décharge, ce n’est pas entièrement de leur faute, puisqu’avant même leur naissance, l’idéologie féministe ne leur avait laissé aucune chance.

  • On pourrait dire un mot aussi de l’injonction faite aux adolescentes de singer les hommes en misant tout sur leur carrière professionnelle et en reculant sans cesse leur projet de fonder une famille – jusqu’à devoir y renoncer, une fois leur fertilité en berne (l’endométriose fait en ce moment des ravages chez les trentenaires, mettant en péril leur capacité à procréer – cf. « Ça a détruit un peu ma vie » : Enora Malagré, pas d’enfant à 41 ans et anéantie). D’autant que l’on sait que tout miser sur sa carrière n’empêche pas de finir seule et dépressive, comme le montrent les chiffres : les cadres les plus malheureuses sont les femmes célibataires sans enfants – même quand leur vie professionnelle est une réussite. Je ne suis évidemment pas pour renvoyer les femmes à la maison : je suis simplement pour qu’on prenne en compte la maternité et qu’on la valorise, tout en permettant aux femmes de mener conjointement leurs deux vies, en encourageant tout à la fois le temps partiel, un congé de maternité pouvant être très long et bien sûr, la vie maritale, puisque les premiers ne peuvent aller sans la seconde.

Le féminisme terrorise les jeunes femmes en construction

C’est un des aspects les plus délétères et les plus honteux de l’idéologie féministe, car celle-ci cible prioritairement des enfants (avec la complicité de l’Éducation Nationale) et des adolescentes fragiles en devenir. Or l’intégralité du discours féministe, avec ses injonctions contradictoires, n’est plus qu’un discours de manipulation et de terreur qui ne peut que conduire à la scission psychique :

  • Les adolescentes sont terrorisées par un discours absolument mensonger et 100 % sexiste sur la « masculinité toxique » qui essentialise honteusement les garçons, les présentant tous comme des criminels en puissance qui n’en voudraient qu’à leur vertu ou leur vie. Je vais revenir plus bas sur ce nouveau « chœur des vierges en treillis » (la formule est d’Annie Le Brun) et leur vision rétrograde des relations H/F.

En attendant, cette terreur est telle qu’elle finit par perturber un grand nombre de jeunes femmes en souffrance – pour des causes diverses, dont souvent le manque de père – et qui, au-delà de l’anorexie ou de difficultés parfois causées par des caractères autistiques ou Asperger (assez fréquent chez les vraies lesbiennes ; probablement une forme du « cerveau masculin » de Simon Baron-Cohen), vont alors se tourner vers le changement de sexe. Caroline Eliacheff et Céline Masson parlent justement et courageusement de cette nouvelle épidémie dans leur dernier livre, La fabrique de l’enfant-transgenre, Paris, 2022. Comme C. Eliacheff le dit dans cet entretien avec l’Express :

« Dans tous les pays qui ont ouvert des consultations dédiées, le ratio s’est inversé entre garçons et filles. Nous n’avons pas d’explication définitive. Mais il semble y avoir aujourd’hui une difficulté, pour une majorité de ces filles, à assumer leur féminité. Cela ressemble d’ailleurs aux troubles du comportement alimentaire, et en particulier à l’anorexie mentale, qui concernent davantage les filles. Sur le plan social, le discours victimaire bat son plein : les filles sont exposées à l’inceste, au viol, aux violences conjugales, à la soumission… Ce n’est pas très engageant. » 

En leur dépeignant un avenir d’esclavage et de soumission où elles seraient inexorablement piétinées par un « patriarcat » tout-puissant (en réalité totalement imaginaire), dans un monde cauchemardesque où le simple fait de mettre la tasse de son mari dans le lave-vaisselle constituerait le summum de la domination masculine, ces harpies féministes leur retournent la tête H24.

Quel paradoxe alors de voir des filles terrorisées par les hommes et dégoûtées des hommes… vouloir devenir des hommes ! Comment peut-on à la fois vomir la masculinité chez les autres et réclamer pour soi des hormones mâles ? Pourquoi n’aide-t-on pas plutôt ces jeunes femmes à incarner leur féminité et vivre heureuses avec ? Mais il faudrait pour cela pouvoir déconstruire en amont tout le discours toxique du féminisme victimaire et de ses oiseaux de malheur. Il me semble donc urgent de prendre conscience de la catastrophe qu’est, pour toutes ces adolescentes, l’injonction féministe à la victimitude, ce discours névrotique destiné à les cloîtrer dans une réalité parallèle dont elles ne pourront parfois plus jamais sortir, et qui n’est dans les faits qu’une manière de les déposséder de leur futur et de leur voler leur vie.

  • Les « lesbiennes butch » premières victimes de ce féminisme paranoïaque

Un petit tour sur un site de témoignages, essentiellement de jeunes femmes devenues hommes mais ayant décidé de détransitionnner afin de revenir à leur sexe biologique (donc des FtMtF : Female to Male to Female), fait clairement ressortir un profil aussi répandu qu’inattendu (enfin… pas tant que ça, puisqu’il illustre ce que j’écrivais plus haut) : celui de jeunes femmes « vraies lesbiennes », comme je dis, c’est-à-dire des lesbiennes biologiques, des filles qui au sortir de l’adolescence ou au début de l’âge adulte ne se révèlent attirées – quasiment, car il y a toujours des variantes individuelles – que par des femmes et qui ressentent un besoin irrépressible de masculiniser leur apparence ; ceci s’accordant avec de nombreux traits psychologiques et comportementaux inscrits en elles depuis toujours, que les hormones sexuelles vont révéler de manière incontournable à l’âge adulte. Comme l’explique en effet Jacques Balthazart, l’orientation sexuelle s’affirme à la sortie de l’adolescence sous l’expression d’hormones sexuelles qui vont réactiver un cerveau déjà présensibilisé à leur action par les hormones sexuelles prénatales.

Ce sont ici ce que l’on appelle les « lesbiennes butch » (« camionneuses » ou « hommasses »), des profils de femmes qui ont toujours existé, bien avant le déferlement de l’idéologie du genre, évidemment, puisque leur comportement serait principalement lié à la conformation des aires préoptiques de leur cerveau lors de la gestation. Ces lesbiennes butch ont alors pris de plein fouet l’injonction à changer de sexe et à s’identifier à des hommes ; histoire de coller à la nouvelle pathologie du sexe (en anglais : gender trouble) forgée par Judith Butler – alors que l’homosexualité n’est ni un trouble ni une pathologie, faut-il le rappeler ; c’est juste un état de la nature ! Ce n’est donc pas une construction sociale (l’hypothèse hormonale, à laquelle la voie épigénétique, qui commence à être explorée, pourrait apporter des pistes – même si gènes et hormones sont des choses différentes –, me semblant encore une fois la plus recevable scientifiquement). Voici quelques extraits assez parlants de ces témoignages :

« J’étais en pleine découverte de mes attirances lesbiennes aussi, alors j’ai décidé que je serais un homme trans hétéro. (…) J’ai finalement accepté ma vraie identité, celle d’une lesbienne butch ».

 » Je suis une lesbienne butch de 25 ans. Je me suis identifiée ouvertement comme un homme trans pendant 6 ans, dont 3 durant lesquels j’ai transitionné médicalement. (…) Les hormones m’ont amenée à subir une hystérectomie. Elles m’ont causé une hypertension artérielle. (…) Je me suis rendu compte que je ne pourrais jamais être un homme biologique (…). Maintenant, je me réapproprie l’identité lesbienne butch et je m’épanouis en devenant la femme lesbienne que j’ai toujours été ».

« Je suis une femme, je suis lesbienne. Pas à cause d’une sensation particulière dans ma poitrine, pas parce que c’est un désir ou un choix. C’est simplement la vérité factuelle de mon existence. « 

« J’ai compris que ma transidentité venait du fait que (…) j’étais tellement immergée dans la communauté LGBT que j’ai cru que la seule manière d’être une lesbienne masculine était d’être un homme trans. »

« Peu après le début de ma transition, ma santé mentale et physique s’est détériorée. Cela a changé ma vie d’une manière que je regrette à présent. Je sais maintenant que je suis simplement une lesbienne butch ».

Mais à lire ces témoignages, ainsi que d’autres en ligne, il ressort également que ces filles ont toujours subi le matraquage et le lavage de cerveau féministe victimaire, ce délire paranoïaque en barre, cette féminophobie en roue libre qui essaie de faire croire à toutes les jeunes femmes en construction qu’être biologiquement une femme, en gros, c’est de la merde (je caricature à peine). Dans les témoignages du site Post-Trans, on lit aussi ceci :

« Je prévois d’arrêter de prendre de la testostérone et de revenir à une apparence plus féminine afin de lutter contre l’image négative des femmes que j’ai intériorisée et d’en accueillir une nouvelle, plus forte ».

« Vers la fin du temps où je m’identifiais comme un homme trans, j’ai réalisé que je n’aimais que les femmes. Mais je m’identifiais tellement à l’identité gay que j’ai décidé que je serais un homme bisexuel. Cela était dû en grande partie au déséquilibre de pouvoir entre les hommes et les femmes et aussi parce que je me savais être homosexuelle. »

« Lorsque j’étais trans, j’avais l’impression qu’être un homme gay résoudrait certains de mes problèmes comme la haine que j’avais envers moi-même, mon manque de relation à la féminité et un mal-être général. Je pensais que la masculinité gay serait plus sûre et respectable que d’être une femme en dehors des normes de genre. Je me suis injectée de la testostérone et j’ai subi une mastectomie. Elle a été approuvée par mes médecins même si j’étais suicidaire à l’époque. Mais ma transition ne m’a pas aidée à me sentir mieux ».

Tout ceci irait donc dans le sens que j’ai donné à ce petit billet : le discours du féminisme victimaire (et du féminisme trans) aurait véritablement des conséquences délétères sur bien des jeunes femmes, dont certaines vont se retrouver stérilisées, mutilées à vie ou en proie à des troubles pouvant aller jusqu’au suicide… parce qu’elles auront été convaincues qu’être une femme en France au XXIe siècle, c’est à peu près comme vivre dans un camp de concentration ! Il va vraiment être temps que ce délire s’arrête !

Le féminisme célèbre la laideur physique et la bassesse morale, vouant une haine féroce non seulement à la féminité, mais aux femmes elles-mêmes

  • La bassesse morale est ce reflexe conditionné qui conduit toute féministe à sombrer dans la misandrie et le sexisme les plus décomplexés aussitôt qu’un homme lui cause la plus petite contrariété ; réflexe de petite princesse narcissique qui la conduit à piétiner toutes les valeurs de l’humanisme et à conchier la moitié du genre humain sur la base de son sexe, avec des concepts aussi lamentables que la « masculinité toxique », la « culture du viol » ou le « blantriarcat » (qui associe racisme et sexisme). J’en parle dans cet article.
  • Je pourrais développer aussi sur le néo-féminisme allié à l’activisme trans qui interdit désormais de faire la moindre allusion à la réalité biologique du sexe féminin – mais des voix qui portent largement s’en sont déjà emparées et c’est tant mieux. Rappeler qu’une femme est une créature dotée d’organes sexuels féminins pourrait donc me valoir une accusation de transphobie et un harcèlement sur les réseaux sociaux, comme ce qui est arrivé à J. K. Rowling. Depuis cet épisode, plus personne aujourd’hui ne peut ignorer que le néo-féminisme est parti en guerre non seulement contre la féminité, mais contre toute femme bien dans sa peau qui se contreficherait des nouvelles élucubrations transidentitaires. C’est ainsi que derrière la lutte contre « l’hétéronormativité sexuelle », concept forgé par l’imposteur en chef Judith Butler, se cache en réalité une guerre sans merci contre toute forme de féminité assumée.

Des « vierges en treillis » au féminisme trans : le grand retour de la bitophobie

C’est en découvrant ces derniers jours les discours portés par le féminisme du genre sur un chapiteau de Vézelay du XIIe siècle, où le simple fait qu’une femme se travestisse en moine (uniquement à l’origine pour accomplir une ascèse de type gnostique et protéger sa virginité) autorise à parler de « figure transgenre », « d’assignée femme » ou de « laboratoire du genre » (🙄), que j’ai réalisé combien les féministes trans d’aujourd’hui étaient le décalque exact de ces « vierges radicales » du IVe siècle, que l’on appelle « monachoparthénoï » (« vierges-moines »).

Comme le relate la légende de sainte Eugénie, la vierge-moine du chapiteau de Vézelay, c’était, comme pour nos féministes trans d’aujourd’hui, le sentiment exacerbé de la fragilité de son sexe qui l’avait poussée à se travestir en homme, une manière tout à la fois de protéger sa virginité et de gagner en pouvoir. Je cite le passage de la légende où son auteur met dans la bouche d’Eugénie une explication qui pouvait valoir pour son siècle et qui, à mon grand étonnement, semble toujours d’actualité :

« Car je suis une femme par le sexe, et parce que je ne pouvais pas réaliser mon désir et servir Dieu comme je l’estimais nécessaire et en toute sécurité du fait d’être une femme, je me suis donc déguisée en homme, et d’une manière juste et appropriée, j’ai dissimulé mes charmes ; dans l’émulation et à l’exemple de ma maîtresse Thècle, fuyant ce qui est destructible et éphémère, j’étais résolue à atteindre les bontés du ciel. C’est pour conquérir une telle gloire et satisfaire mes envies de vertus divines que j’ai déguisé la fragilité de mon sexe sous des vêtements masculins. Pour cette cause et parce que j’étais piquée du désir du culte divin, j’ai pris la forme d’un homme, afin qu’au masculin je puisse courageusement garder intacte ma virginité » (Actes de sainte Eugénie, traduction d’une version arménienne de la légende datant des Ve-VIe siècles).

Dix-sept siècles plus tard, nous en sommes donc exactement au même point avec les féministes du genre, éternelles vierges apeurées qui n’ont d’autre solution que de se faire passer pour des hommes afin de tenir à distance tout commerce charnel avec eux. Autant au IVe siècle, et bien qu’il s’agissait de comportements inspirés par les sectes gnostiques, cela pouvait paraître justifié – que ce soit par envie sincère de spiritualité ou pour échapper à des mœurs sociales laissant peu de champ au célibat volontaire (les couvents se sont développés ensuite, permettant d’accueillir ces femmes désirant échapper au mariage et à la procréation) ; autant au XXIe siècle, au terme de tant d’évolutions sociétales, psychologiques et politiques, on pourrait se demander pourquoi tant et plus de jeunes femmes en arrivent à se victimiser au point d’opter elles aussi pour le changement de sexe, en proie au même irréductible effroi devant le sexe masculin.

Tout ceci est bien évidemment l’œuvre du matraquage des nouvelles puritaines féministes et de leur bitophobie congénitale. Si à l’époque de la libération sexuelle des années 1960-1970, les féministes avaient cru surmonter leur antique terreur, celle-ci a reflué tel un tsunami dès les années 1980, avec la reprise en main des universités américaines par les idéologues du genre et leurs bataillons de féministes misandres, lesbiennes ou névrosées. J’ai déjà évoqué ce tournant féministe face au pénis (cf. « L’envie du pénis chez les féministes »), quand la fascination phallique s’est commuée en jalousie pathologique et en rage féroce. Les anciennes féministes étaient davantage dans la fascination et le sentiment de liberté, les nouvelles se sont enferrées dans la fureur et le ressentiment.

Les conséquences de l’idéologie du genre, on les constate aujourd’hui dans cette frayeur rétrograde et irrationnelle devant tout homme, chez toutes ces jeunes femmes manipulées par les féministes, qui se mettent à haïr toute forme de féminité en elles, terrorisées qu’elles sont par le genre masculin – mais tout autant fascinées, puisqu’elles veulent s’approprier ce sexe et le pouvoir qu’elles lui attribuent. La fascination phallique est donc plus que jamais d’actualité chez les féministes du genre qui transitionnent, ce qui semble curieusement leur échapper.

Les origines gnostiques et sectaires de l’idéologie du genre, à travers leur objectif commun d’abolir la biologie et les différences sexuelles, sont aussi un aspect qui n’est pas suffisamment souligné. Nous sommes ici dans des postures bien connues des historiens des idées religieuses ; de celles qui participent de la condamnation de la chair et du puritanisme les plus exacerbés.

La féminophobie féministe ou la misogynie de l’idéologie du genre

Il me reste à conclure sur la manière dont ce féminisme hait la féminité et pousse les femmes à se haïr pour ce qu’elles sont biologiquement et anthropologiquement.

C’est un des aspects les plus inattendus en apparence, que cette misogynie décomplexée qui s’affiche désormais sous l’égide du féminisme, au nom de l’indifférenciation des sexes et de la négation de la biologie. Le néo-féminisme en est arrivé à pourchasser toute femme qui s’identifierait biologiquement comme une femme, considérant que sa génétique, ses caractères sexuels et son hétérosexualité, pour peu qu’ils lui conviennent, sont une forme naturelle de transphobie, d’homophobie ou « d’hétéronormativité », autant de marques d’infâmie distribuées au fusil automatique par la nouvelle police de la pensée woke ou d’extrême gauche. Si une femme assume sa beauté physique et gagne sa vie avec, les féministes peuvent lui faire perdre son travail. Si elle fait des efforts pour rester mince, elle est accusée de grossophobie. Si elle ne cultive pas la haine de soi, elle est rétrograde (lire : Jean-Marc Albert, « L’idéologie du genre ou la haine de soi » ). Si elle trouve que se rouler dans sa fange en exhibant ses règles ou en se promenant avec des sachets d’excréments n’est pas pour elle, elle est une affreuse réactionnaire, etc. On pourrait prolonger indéfiniment cette liste, mais je vais m’arrêter là pour aujourd’hui. Je sais déjà que le futur proche ne manquera pas de me livrer pléthore d’exemples édifiants démontrant que le projet néo-féministe d’abolir la féminité n’est pas une simple vue de l’esprit.

[à suivre…]

  • Voir aussi :

Sur le chapiteau de Vézelay:

. Sur les risques pour la santé féminine de la testostérone :

Infertilité : « Dans deux siècles, l’espèce humaine pourrait disparaître » (Le Point)

Même si le féminisme n’est pas la cause unique de cette disparition programmée, il y aura largement contribué – n’ayant de cesse depuis des décennies de militer contre la maternité et de repousser toujours plus tard sa mise en œuvre. Les résultats sont encore plus dramatiques qu’attendu, puisqu’ils conduisent non seulement à une dénatalité tragique d’un point de vue démographique et économique, mais également au désespoir, sur le plan personnel, pour nombre de femmes qui ne deviendront jamais mères ou grand-mères – et qui, du haut de leurs vingt ans, n’avaient jamais anticipé ce que serait la seconde partie de leur vie, entre solitude et dépression. Parce que ces questions concernent donc, directement ou indirectement, la question du féminisme et de ses méfaits, je partage cette interview parue dans Le Point.

***

Le Point.fr, n° 202203

Santé, mardi 22 mars 2022

Propos recueillis par Héloïse Rambert

ENTRETIEN. L’infertilité gagne du terrain sur toute la planète. Au point de menacer l’avenir de l’humanité, prévient le professeur Hamamah.

Notre survie comme espèce est en danger. Un rapport sur l’infertilité en France, remis le 21 février 2022 au ministre de la Santé, Olivier Véran, et à Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la Protection de l’enfance, dresse un bilan absolument alarmant de notre santé reproductive. Comment en sommes-nous arrivés là ? Alors que le recours à l’assistance médicale à la procréation ne cesse de progresser, que sait-on aujourd’hui de l’infertilité et de ses causes ? Comment sauver notre peau ? Le professeur Samir Hamamah, chef de service de biologie de la reproduction au CHU de Montpellier et coauteur du rapport, avance quelques pistes.

Le Point : L’infertilité est-elle un problème fréquent ?

Samir Hamamah : Extrêmement fréquent. En France, 3,3 millions de personnes sont touchées. Autrement dit, 6,6 millions de personnes appartiennent à un couple confronté à ce problème. Pour rappel, on parle d’infertilité lorsqu’un couple ne parvient pas à concevoir naturellement après un an de rapports sexuels réguliers. C’est un gigantesque problème de santé publique. La France n’est évidemment pas le seul pays qui doit faire face à l’infertilité. Pour dresser notre rapport, ce qui nous a pris de longs mois, nous nous sommes intéressés à tous les pays qui disposent de données sur le sujet. Nous avons auditionné 140 experts dans le monde. Tous les continents, tous les pays sans exception, sont concernés. Il y a autant de personnes infertiles que de personnes diabétiques. Je savais déjà que notre santé reproductive était menacée, mais c’est plus que cela : l’espèce humaine tout entière est en danger de disparition.

À quelle échelle de temps ?

Les scénarios les plus pessimistes prévoient une extinction de l’espèce dans un siècle et demi. Deux siècles pour les plus optimistes.

C’est alarmant ! Quelles données nous permettent de faire ces projections ?

Au cours des trente dernières années, les hommes ont perdu plus de 50 % de leur production spermatique. Mais cette dégradation a commencé bien avant. Déjà en 1992, une étude danoise, parue dans le New England Journal of Medicine, estimait que depuis les années 1930 les hommes avaient perdu 1 million de spermatozoïdes par gramme de testicule et par an ! Au Danemark, un pays à la pointe dans le suivi de la fertilité, en 2040, tous les hommes en âge de procréer pourraient être infertiles si la baisse de qualité du sperme continue à ce rythme. En France, le nombre d’enfants par femme est descendu à 1,83. Au Portugal, en Espagne ou en Italie, il est de 1,3.

Pour faire perdurer une société, ce taux doit être de 2,6 au moins. Deux pays se préoccupent particulièrement de leur démographie. La Chine, d’abord : la natalité a chuté en 2021 à un niveau historiquement bas. À tel point qu’on prévoit que dans les 40 à 50 prochaines années, le pays pourrait perdre 50 % de sa population. La Russie est aussi en mauvaise posture. Il n’y a qu’à regarder le nombre de centres de PMA [procréation médicalement assistée, NDLR] que compte la ville de Moscou : 82, pour une population de 12 millions d’habitants. En comparaison, en France, nous avons 103 centres pour 67 millions d’habitants. Les Russes font tout pour renouveler leur population.

Comment expliquer une telle « épidémie » d’infertilité ? La baisse de la qualité du sperme est-elle le seul facteur ?

Non. Déjà, dans 10 à 15 % des cas, l’infertilité reste inexpliquée. Sinon, il y a trois grandes causes possibles, qui sont en fait étroitement intriquées. En premier lieu, ce que j’appelle les causes sociétales, qui poussent les femmes à retarder leur projet parental. Elles prennent le temps de terminer leurs études, de s’installer dans leur vie professionnelle et de trouver le « prince » ou la « princesse ». En l’espace de trente ans, l’âge moyen du premier accouchement des femmes françaises, par exemple, a reculé de cinq ans. Autrement dit, dans l’infertilité, la première cause, c’est l’âge de la femme. Aujourd’hui, une femme de 30 ans a un risque sur quatre de rencontrer des problèmes d’infertilité. À 40 ans, c’est une femme sur deux. Notre santé reproductive est aussi le miroir de notre hygiène de vie. L’excès de poids, le stress, la consommation de tabac, d’alcool ou de café en excès, ou encore le manque de sommeil : tout cela lui nuit. De véritables causes médicales, qui touchent à parts égales les hommes et les femmes, sont bien sûr possibles. Il peut s’agir de trompes bouchées, d’une insuffisance ovarienne prématurée ou d’un sperme très altéré. Et puis, il y a les causes environnementales.

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L’infertilité, un problème sociétal ou environnemental ?

Quelles sont-elles ?

Nous sommes bombardés par les perturbateurs endocriniens, des molécules chimiques qui parasitent notre système de régulation hormonale. Ils sont reprotoxiques pour les hommes comme pour les femmes. Ils sont partout dans nos cosmétiques, nos produits d’entretien ou notre nourriture. Ce sont des métaux lourds, des solvants, des pesticides… La liste est sans fin : on a recensé plus de 300 000 molécules chimiques pouvant être des perturbateurs endocriniens. Et nous sommes quotidiennement exposés à une centaine d’entre eux. C’est un scandale sanitaire qu’il faut absolument aborder avec transparence. Les écologistes nous parlent de l’effondrement des écosystèmes et de la biodiversité. Mais les êtres humains, aussi, sont gravement menacés !

Mais la PMA ne peut-elle pas être une réponse à l’infertilité ?

La PMA, c’est l’arbre qui cache la forêt. On a occupé l’espace médiatique depuis quarante ans en laissant croire, sans le vouloir et sans le savoir, que c’était une solution miracle à toutes les sortes d’infertilité. C’est faux : dans deux cas d’infertilité sur trois, elle est inefficace. Ce qu’il faut faire, c’est mettre en place une vraie politique de prévention, c’est agir bien en amont en informant de manière individuelle et collective sur la santé reproductive et sur tous les facteurs qui peuvent l’altérer.

Que recommandez-vous ?

Nous préconisons la création d’un logo qui alerte sur la reprotoxicité de tous les produits de la vie courante. Chaque jeune femme devrait avoir conscience, quand elle achète un parfum ou un fond de teint, que ce sont des produits qui peuvent avoir une influence néfaste. Dès le collège, il faudrait pouvoir donner aux jeunes des clés pour préserver leur santé reproductive. J’insiste, il ne s’agit en rien de promouvoir une politique nataliste. Simplement d’informer. À l’échelle nationale, nous demandons la création d’un institut national de la fertilité, sur le modèle de l’Institut national du cancer (Inca), pour incarner, coordonner, piloter, prioriser et promouvoir la recherche et l’innovation. Je le répète, il s’agit ni plus ni moins de préserver l’espèce humaine. Nous avons une responsabilité collective.

Emmanuel Todd – « Le féminisme actuel est une catastrophe pour les milieux populaires » (Le Point) et « Le patriarcat n’a pas disparu en Occident, il n’a jamais existé » (Le Figaro)

Emmanuel Todd : « Le féminisme actuel est une catastrophe pour les milieux populaires », Le Point.fr, n° 202201 ( 19 janvier 2022)

Propos recueillis par Laetitia Strauch-Bonart

ENTRETIEN. L’anthropologue publie un livre audacieux sur les raisons de l’ascension des femmes et ses conséquences individuelles et collectives.

« L’avenir de l’homme est la femme », a écrit Louis Aragon. Une poignée de décennies plus tard, les femmes sont à l’honneur de la campagne présidentielle française, et aux premières places, puisque les candidates constituent à elles seules près de 40 % des intentions de vote dans les sondages. Qui aurait pensé qu’un jour les partis historiques de la Ve République – le RPR devenu LR, le PS – et même le RN, pourtant peu réputés pour leur promotion des femmes, désigneraient pour la course à l’Élysée des représentantes du beau sexe ? À ceux qui pensent – comme un autre candidat – que les femmes n’incarnent pas le pouvoir, on peut répondre que les hommes ne l’incarnent pas forcément non plus. Tous, hommes et femmes politiques, sont désormais considérés à égalité, venant exaucer malgré eux le voeu de Françoise Giroud, pour qui « la femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente ».

Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. En Occident, le raz-de-marée féminin se poursuit : elles sont les meilleures à l’école, elles sont majoritaires dans certains secteurs, elles sont maîtresses de leurs corps. Que subsistent des poches où les hommes restent plus nombreux et plus puissants ne doit pas masquer l’ampleur de la révolution qui est en cours et qui, à l’échelle de l’humanité, est aussi récente que spectaculaire. Et pourtant, là même où celle-ci est la plus avancée, les femmes peuvent ressentir de la frustration et voir dans une « guerre des sexes » une issue à leurs difficultés – comme en témoigne par exemple le succès spectaculaire du dernier livre de Mona Chollet, Réinventer l’amour (Zones).

C’est cette révolution que l’anthropologue Emmanuel Todd, connu pour ses travaux sur les systèmes familiaux, dissèque dans un ouvrage magistral, où il passe au crible les racines de l’ascension des femmes, leur situation actuelle, parfois dominante, et les nouvelles contradictions qui en découlent. Dans Où en sont-elles ? Une esquisse de l’histoire des femmes (Seuil), il nous parle autant de l’émancipation des femmes pour elles-mêmes que de l’apport de celle-ci pour l’ensemble de la société, de l’ascension du secteur tertiaire au détriment de l’industrie à la baisse de l’homophobie en passant par la hausse de l’individualisme.

Le Point : Pourquoi vous tourner vers l’histoire des femmes ?

Emmanuel Todd : C’est un travail que je voulais faire mais que j’avais toujours évité : utiliser ma compétence d’anthropologue de la famille pour interroger le présent des structures familiales – et donc des femmes. Il existe une rémanence des structures familiales du passé, ce qui permet de comprendre le présent. Mais c’est un sujet techniquement très compliqué. #MeToo m’a poussé à entrer dans ce sujet quand le mouvement a commencé à me sembler exagéré. Observer la montée de ce que j’appelle un « féminisme antagoniste » à l’américaine en France, ce pays où les rapports entre hommes et femmes étaient d’ordinaire de l’ordre de la camaraderie, me surprenait, m’agaçait même. Mais c’est très rapidement devenu un objet de recherche. À ce stade, la dimension idéologique du sujet ne m’intéressait plus. Ma plus grande crainte est que les gens ne voient pas ce que j’ai mis de science dans ce livre.

Vous expliquez dès le début de l’ouvrage ne pas vouloir employer le terme de « genre » mais seulement de « sexe ». Pourquoi ?

En m’intéressant à la question des transgenres, qui fait partie du sujet, j’ai été pris d’un vertige : il était tout bonnement impossible d’avancer dans ma recherche en gardant le mot « genre ». C’est là que j’ai pris la décision de lui préférer le mot « sexe », en définissant au début de l’ouvrage comme femme tout être humain capable de porter un enfant, sauf accident de stérilité.

Pourquoi impossible ?

Le concept de genre est essentiellement utilisé en sciences sociales. Il renvoie à une intention première utile : étudier l’évolution du statut des femmes. Mais il a fini par remplacer en pratique le mot « sexe » dans le gros de la littérature scientifique et les sondages. Cela ne sert à rien. Dans le même temps, il est idéologiquement chargé parce qu’il porte en lui-même l’idée qu’il n’existe pas de situation où les femmes sont dominantes. Je ne suis pas contre l’analyse des rapports de domination. Je suis historien et l’Histoire en est emplie. Mais il faudrait pouvoir analyser les dominations des femmes quand elles existent. Or le « genre » ne le permet pas. Par exemple, quand le Gender Gap Report du Forum économique mondial mesure le niveau éducatif des hommes et des femmes, une fois que les femmes ont rattrapé les hommes dans l’éducation, un score de 1 est atteint et jamais dépassé : on ne mesure plus les situations, aujourd’hui très répandues, où les femmes font plus d’études que les hommes. Enfin, le « genre » ne s’intéresse qu’aux situations intrafamiliales de domination masculine entre époux mais oublie celles d’égalité relative comme les rapports frère-soeur et surtout les rapports mère-fils, qui sont typiquement des cas de domination féminine. Les théories du genre deviennent donc un cache-sexe des cas de matridominance – de domination des femmes.

La première partie de votre livre est consacrée à un retour vers les sociétés de chasseurs-cueilleurs pour rendre compte de la situation actuelle des femmes en Occident. Expliquez-nous.

Nous vivons une révolution du statut des femmes. Mais il faut savoir d’où l’on part. On estime généralement que les sociétés économiquement arriérées du gros de l’Eurasie – monde arabe, Inde, Russie -, parce qu’elles sont en retard économiquement, sont en retard sur tous les tableaux. En fait, l’histoire des formes familiales montre que c’est faux : ces sociétés sont les plus complexes du point de vue des systèmes familiaux, tandis que les nôtres sont plus proches des sociétés originelles de chasseurs-cueilleurs. Pour que vous compreniez mon raisonnement, je dois introduire ici un concept très important dans mes travaux, le « principe de conservation des zones périphériques », qui m’a été transmis par mon ami linguiste Laurent Sagart. Si sur une carte vous observez une masse centrale d’un seul tenant et des points périphériques qui sont tous identiques, cela veut dire qu’à une époque tout le territoire était couvert par A, puis qu’une innovation est apparue au milieu, B, qui s’est répandue vers l’extérieur et a laissé subsister les taches A tout autour. Plus les taches A sont nombreuses, plus la probabilité statistique que cela soit vrai est élevée. Ce qui se trouve au centre est innovateur; ce qui se trouve autour est archaïque. On peut lire l’Histoire dans une carte.

Quel rapport avec les femmes ?

Sur la carte des structures familiales mondiales, on trouve à la périphérie – l’Amérique du Nord, le Royaume-Uni, le bassin parisien, la Scandinavie, l’Espagne centrale, les Philippines – un monde libéral avec des systèmes familiaux nucléaires (un père, une mère, des enfants) et au centre les pays africains et eurasiatiques avec des systèmes très complexes organisés autour des hommes dans de grandes familles (des systèmes dits patrilinéaires et communautaires). Ces zones périphériques ont donc conservé, avec évidemment des changements, la forme ancienne de la famille. Les sociétés que l’on considère comme extrêmement modernes – elles ont fait les révolutions libérales des XVIIe et XVIIIe siècles et ont produit des penseurs comme Locke ou Rousseau – ont en réalité le même système familial que celui des chasseurs-cueilleurs. Avec une différence : les rapports entre frères et soeurs ont perdu de leur importance. Parce que les faits sont essentiels dans notre monde saturé d’idéologie, nous avons mis en ligne les données et les cartes dérivées de l’Atlas ethnographique de George Murdock [dont l’auteur se sert pour étayer sa démonstration, NDLR]. Nous donnons dans le livre l’adresse du site où le lecteur pourra lui-même croiser les données pour produire les cartes qui l’intéressent.

Dans ces cultures individualistes, le statut des femmes est relativement élevé : on observe une patridominance, certes, mais elle n’a rien à voir avec celle des sociétés patrilinéaires. Dans l’Occident étroit, notre révolution féministe, tout à fait réelle, prend donc appui sur un statut de la femme qui est resté assez élevé comparé à l’Eurasie, où celui-ci a connu un abaissement plurimillénaire. Ce qui explique l’apparition des formes complexes de la famille, et donc l’abaissement du statut des femmes dans les régions centrales, est l’émergence de l’agriculture.

Comment sait-on comment vivaient les chasseurs-cueilleurs ?

Par ce qu’il en reste ! Le plus gros échantillon, qui a été très bien étudié, est celui des Indiens d’Amérique du Nord qui ont échappé à l’agriculture. On en trouve aussi en Amazonie, en Afrique du Sud, à l’intérieur de la Malaisie et des Philippines, en Australie. Les Indiens d’Amérique sont un modèle parfait de famille simple archaïque et bilatérale (où les branches paternelle et maternelle ont une influence semblable), et ils poussaient l’égalité des sexes jusqu’à pratiquer la polygynie et la polyandrie. Au-delà de l’argument empirique, il suffit de raisonner : comment les chasseurs-cueilleurs auraient-ils pu adopter une structure familiale complexe alors qu’il n’y avait chez eux rien à transmettre à une descendance ?

Vous montrez que la matridominance actuelle se lit d’abord dans la réussite scolaire des filles. Or, et c’est le plus frappant, elle est bien plus ancienne qu’on ne le pense.

Cette découverte a représenté un tournant dans ma recherche. Je cherchais un matriarcat à venir : je savais que les femmes faisaient plus fréquemment des études supérieures que les hommes et je pensais que cela aurait des conséquences pour l’avenir. En me plongeant dans les statistiques, j’ai compris à quel point le dépassement éducatif des hommes par les femmes était ancien : le dépassement au niveau du bac est… mon bac, le bac 1968 ! Cette avancée concerne donc des personnes aujourd’hui retraitées, et ce depuis plusieurs années. Cela permet de comprendre que le « féminisme antagoniste » n’est pas fondamentalement lié à une résistance masculine, qui n’a d’ailleurs probablement jamais existé, même si on l’observe toujours dans certains secteurs – le haut de la bureaucratie d’État ou du secteur capitalistique -, mais plutôt par des contradictions présentes dans la condition féminine actuelle.

Comment cela ?

Par exemple, dans les couples de classes moyennes, la femme est de plus en plus souvent davantage diplômée que l’homme – ce qu’on appelle l’hypogamie, par opposition à l’hypergamie. Cette situation est globalement acceptée par tous, mais mieux par les hommes que par les femmes ! Il y a même des femmes qui n’ont aucun diplôme mais n’accepteraient pas un homme moins diplômé qu’elles. Ce qu’il reste d’aspiration hypergamique, qui était la norme autrefois, subsiste chez les femmes, pas chez les hommes. Vous me direz que c’est un constat de bon sens, et vous aurez raison.

Mais, précisément, ce bon sens est aujourd’hui décrié !

Par les idéologues. L’idéologie, ça existe, et l’hégémonie idéologique aussi : des gens qui disent n’importe quoi avec sincérité et l’appui d’une majorité sociale localisée dans certaines classes. Quand on dit des choses de bon sens, on est alors traité en paria. C’est le conflit fondamental qui m’oppose à la société française dans tous les domaines : je suis un empiriste, mais dans notre société beaucoup de gens ont un problème avec la réalité. On dira de moi que je suis un néoconservateur puisque j’ose dire qu’il y a des différences entre les hommes et les femmes. C’est ce qui arrive quand on n’est pas idéologue.

Vous expliquez que l’ascension des femmes a stimulé le développement du secteur tertiaire. N’est-ce pas plutôt l’émergence du tertiaire qui a contribué à cette émancipation ?

Les modèles n’offrent jamais de certitude absolue. Le moteur de l’émancipation féminine est le développement de l’éducation, qui porte la double potentialité d’une tertiarisation de l’économie et d’une avancée féminine. À un certain niveau, le développement du tertiaire et l’émancipation des femmes sont la même chose; au-delà, dans certains pays, ce développement va plus loin que la moyenne mondiale, dans d’autres c’est le contraire. La tertiarisation a été accentuée par la globalisation et s’est produite dans les sociétés où l’émancipation des femmes a été la plus forte. Les conclusions pratiques que j’en tire sont qu’il y a une forme d’absurdité à insulter les sociétés restées conservatrices sur le plan des moeurs – par exemple les nations ouvrières d’Europe de l’Est – car la raison du maintien de ce conservatisme est leur spécialisation industrielle et la permanence d’un certain statut des hommes. En d’autres termes, notre féminisme se nourrit du travail des prolétaires des anciennes démocraties populaires. Je ne prends pas parti, je me contente de décrire une situation somme toute ironique.

L’émancipation des femmes étant faite, vous notez qu’elles entrent dans une situation d’« anomie douce ». De quoi s’agit-il ?

Le concept d’anomie est apparu chez Durkheim, qui explique ainsi le taux de suicide de son époque : dans une société qui n’est plus traditionnelle, les individus ne savent plus quoi attendre de la vie, ce qui entraîne d’importantes déceptions. Il pensait essentiellement aux hommes. Le problème des femmes à cette époque, dont le taux de suicide était et reste trois à quatre fois inférieur à celui des hommes, était la recherche d’un bon mari, pas l’autonomie. Si l’on cesse de regarder les femmes comme des victimes – sans nier les violences qu’elles peuvent subir -, ce qui est mon ambition dans ce livre, on se rend compte que, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, elles existent vraiment par elles-mêmes mais sont aussi hiérarchisées directement comme les hommes. Devenant de vrais individus, elles sont assaillies par le problème décrit par Durkheim pour les hommes en 1897. Cette anomie reste « douce » parce que tout est plus doux aujourd’hui, que le taux de suicide s’effondre pour tout le monde, que celui des femmes est très faible. Au sortir de leurs études, comme les hommes, elles ne sont pas toujours au clair sur ce qu’elles peuvent attendre de la vie – d’autant que nous sommes dans une période de régression économique. De surcroît, quoi qu’on en dise, elles gardent cette capacité à porter des enfants, qui est une option supplémentaire, mais dans un espace de dix à quinze ans seulement. Tout cela est banal : c’est ce que vivent les gens, et vous n’en trouverez pas trace dans les études de genre ! Cette situation n’est pas forcément plus difficile, mais plus complexe. Les hommes, eux, sont toujours soumis à la même logique : travailler ou mourir de pauvreté. C’est cette relativement plus grande simplicité de la condition masculine qui permet d’expliquer cette pellicule résiduelle de domination. La réalité du féminisme antagoniste, c’est le ressentiment de femmes qui ont fait des études supérieures contre des hommes qui ont trop travaillé parce qu’ils ne pouvaient pas porter d’enfants.

=> Sur le concept d’anomie : Emmanuel Todd explique ici une des causes majeures du ressentiment féministe : l’égalité obtenue et la liberté gagnées ont généré la nécessité pour les femmes de faire face à leur destin et de se comporter comme de grandes filles – ce qu’elles ont à mon sens bien du mal à faire :

Emmanuel Todd dans C ce soir du 23/01/022 explique le féminisme antagoniste par l’anomie, ce qui me semble très juste.

Pourtant la France n’était pas prédisposée, dites-vous, à ce « féminisme antagoniste ». Vous expliquez que cela provient chez nous d’une dynamique de classe… tout en reprenant le concept d’intersectionnalité ! Expliquez-nous.

Dans mon livre, je me penche sur trois concepts centraux des études de genre. J’examine le concept de genre, que je rejette; celui de patriarcat, que je rejette aussi car il efface toutes les différences entre cultures et donc ne sert à rien; j’arrive à celui d’intersectionnalité. Et là, je me rends compte qu’il est utile, mais pas comme elles le prétendent – elles, parce que les universitaires qui l’emploient sont en majorité des femmes. L’intersectionnalité est née aux États-Unis des questions raciales, qui y sont fondamentales; elle décrit le croisement des deux dominations que sont la condition de femme et de Noir. Ce concept a très bien pris dans l’université française, mais cela ne peut pas fonctionner en France parce que nous ne sommes pas sensibles aux classifications raciales. En revanche, comme il est toujours intéressant de croiser des variables, je propose un concept d’intersectionnalité généralisée où je croise le sexe avec la variable de classe : quand on navigue entre le monde anglo-américain et la France, on sait que le premier est obsédé par les questions raciales et la seconde par les questions de classe. En simplifiant énormément, si je reviens à la question qui me troublait au début (comment se fait-il que le modèle de camaraderie hommes-femmes qui caractérisait la France par rapport au monde anglo-américain s’efface au profit d’un modèle antagoniste ?), je déduis qu’il ne faut pas chercher la réponse du côté des questions de race mais de classe. En d’autres termes, il y a une opposition entre une classe moyenne très éduquée à dominante féminine et une classe supérieure occupant les postes de pouvoir à dominante masculine.

Plus globalement, le féminisme antagoniste provient d’une superposition dans la situation historique et sociale française de phénomènes liés à l’émancipation des femmes, aux contradictions nouvelles de la condition féminine et à ces phénomènes de conflits de classe nouveaux. Il faut apprendre à lire la structure sociale du point de vue des femmes : la structure de classe masculine est polarisée, avec une surreprésentation des catégories supérieures et inférieures; la structure de classe féminine est majoritairement classe moyenne et « petite-bourgeoise ». D’où cette conclusion que le genre est une idéologie petite-bourgeoise.

Les féministes d’aujourd’hui n’accepteraient sans doute pas une analyse sociale de leur « combat ».

La fausse conscience idéologique fait partie de l’Histoire. L’idéologie au sens de Marx est cette capacité totalement inacceptable vue du monde extérieur à croire que sa position de classe représente quelque chose d’universel. Autant je reconnais au féminisme des première et deuxième vagues, porté par des femmes bourgeoises et militant pour le droit de vote et l’émancipation sexuelle, d’avoir été bénéfique à toutes les femmes, autant ce que l’on vit actuellement, le féminisme antagoniste, certes toujours porté par des femmes d’un certain milieu, est une catastrophe pour les milieux populaires. Il fait peut-être plaisir à des petites-bourgeoises dans l’université mais il empoisonne les rapports entre hommes et femmes dans les milieux où l’on a le plus besoin de la solidarité du couple. Je reconnais effectivement à l’idéologie du genre une responsabilité dans l’augmentation du nombre de familles monoparentales, qui se trouvent de plus en plus dans les milieux populaires et de moins en moins dans les catégories moyennes et supérieures.

Vous faites aussi le lien entre l’émancipation féminine et de très nombreux phénomènes : l’accroissement de l’individualisme et l’abandon de l’engagement collectif, l’effondrement de la religion, des grandes idéologies et de l’appartenance identitaire, la tolérance à l’homosexualité, l’accroissement du phénomène transgenre, et même la montée de la « cancel culture » ! C’est quand même beaucoup…

Quand on fait de l’anthropologie, la question des femmes est centrale, ce qui explique pourquoi les études de genre ne peuvent rien lui apporter et l’ont d’ailleurs dans les faits fortement abîmée. En revanche, le féminisme appliqué à l’histoire est une excellente chose. Je me suis rendu compte à quel point j’avais sous-estimé dans mes analyses de la France contemporaine le rôle de l’émancipation des femmes non pas seulement pour leur propre bénéfice mais dans la mécanique sociale générale. J’avais vu par exemple qu’à la source de la déchristianisation se trouvait le développement des études supérieures, mais à aucun moment je n’avais été capable de constater que le coeur de ce développement, c’étaient les femmes. C’est pourquoi, dans ce livre, je remets les femmes au centre de l’histoire depuis Mai 68 – le bac du dépassement féminin.

Qu’en est-il du lien entre femmes et accroissement de l’individualisme ?

C’est un fonctionnalisme dynamique raisonnable qui m’amène à cette conclusion : vous ne pouvez pas imaginer qu’il se passe des phénomènes extrêmement importants dans une société d’un côté, d’autres phénomènes tout aussi importants de l’autre, et qu’il n’y ait aucune interaction entre eux. Deux éléments sont centraux dans l’évolution des sociétés occidentales : l’émancipation des femmes et la montée du néolibéralisme et de l’individualisme économique. Repartons des chasseurs-cueilleurs. Leur façon de se nourrir repose principalement sur la chasse et la cueillette : alors que la chasse est toujours masculine, les femmes sont chargées de la cueillette, même si les hommes peuvent aussi y participer. Or si les produits de la chasse sont toujours répartis collectivement dans le groupe, ceux de la cueillette restent eux dans l’unité conjugale. En d’autres termes, les femmes sont individualistes et les hommes gèrent le collectif. Attention, « collectif » ne signifie pas « gentil » et individualiste « méchant » : le collectif comprend aussi la guerre et la violence, l’individualisme, l’assistance aux proches. Puisque les Extrêmes-Occidentaux sont les descendants des chasseurs-cueilleurs, ne peut-on émettre l’hypothèse que l’effondrement de toute capacité de penser et d’agir collectivement, le rejet hyperindividualiste caractéristique de notre monde, a un rapport avec l’émancipation des femmes et le passage idéologique en matridominance ? Il est certes difficile de démontrer cette assertion, mais il faudrait aussi être capable de démontrer le contraire, que ces deux phénomènes n’ont aucun rapport, le tout avec la même simplicité de raisonnement.

Vous parlez de l’abandon de l’action collective. Pourtant, en France, l’État est étendu et l’État-providence particulièrement développé. La solidarité n’est-elle pas l’une des dimensions du collectif ? Est-il sûr que le collectif ait disparu ?

La situation de la France est particulière : le modèle que je décris s’applique mieux au monde anglo-américain. Mais il faut voir les choses d’un point de vue dynamique : ce qui existe de collectif en France est un héritage d’une période antérieure. Ces mécanismes sont d’ailleurs souvent gérés et vécus sur un mode corporatiste-individualiste. Quand je parle d’incapacité de penser et d’agir collectivement, je pense surtout à ce qui pourrait améliorer notre sort : notre économie s’effondre, notre système industriel a été dévasté, le système des partis a implosé, l’idée nationale aussi via une construction européenne immaîtrisable. L’action collective serait la capacité à se repenser comme appartenant à une nation, et à avoir un État qui prenne en charge la reconstruction industrielle. Mais cela n’arrive jamais : on a beau, depuis le début de la pandémie, avoir pris conscience de toutes nos faiblesses, de l’absence d’une industrie digne de ce nom pour fabriquer des masques ou un vaccin, il ne se passe rien. Nous ne sommes pas capables de penser autrement.

Est-ce vraiment à l’État de développer une politique industrielle ? L’innovation n’est-elle pas le fruit d’une dynamique d’essai-erreur que seuls des entrepreneurs savent susciter ?

Je crois aux économies mixtes – ce qui fait que je suis considéré par certains comme trop libéral ! Je crois donc au marché. Et je critique les énarques qui croient libéraliser sans savoir le faire. L’État comme forme organisationnelle emplie de fonctionnaires, cela ne fonctionne pas. Mais je crois aussi à la collaboration entre l’État et les entreprises. De plus, le protectionnisme est libéral : il est possible parce qu’on croit au marché. Plus largement, quand je parle de collectif, je m’intéresse surtout à la notion de sentiment collectif. Or l’émancipation des femmes, si elle n’a pas détruit les structures bureaucratiques, a fait exploser les sentiments collectifs.

Avant leur émancipation, les femmes pouvaient être très investies localement, dans des associations ou l’Église. N’est-ce pas un comportement altruiste plus qu’individualiste ?

L’altruisme n’est pas contradictoire avec l’individualisme. L’altruisme n’est pas forcément le sens du collectif. Cette apparente contradiction s’explique par la posture de la mère, altruiste avec son enfant et capable d’étendre cet altruisme, mais aussi intraitable dans la protection de cet enfant. C’est pourquoi la théorie du « care » ne peut pas être considérée comme une chose du collectif mais une extension d’un altruisme féminin réel.

Une féministe pourrait vous dire : nous n’avons jamais pu prendre en charge le collectif car on nous en a empêchées.

Pourquoi pas ? Très bien ! Alors qu’elles le fassent. Et j’y crois : les femmes vont prendre leur part dans la gestion du collectif. Une remarque au passage : j’ai soigneusement évité dans l’ouvrage une sorte d’essentialisation des caractères masculin et féminin. La seule différence biologique que je prends en compte est la capacité à porter un enfant. Je ne prétends pas qu’il existe dans le sexe masculin une capacité innée au collectif, et dans le sexe féminin, à l’individualisme, mais simplement que chaque sexe est porteur d’habitudes différentes. La révolution qui vient de se produire a duré à peine soixante-dix ans, quand le mode de vie des chasseurs-cueilleurs a duré des centaines de milliers d’années. Ces comportements ne peuvent pas changer en un instant.

D’où vous est venue l’idée que la « cancel culture » aurait un lien avec l’émancipation des femmes ?

Pour ma génération, le phénomène de « politiquement correct » et de « cancel culture » est tout à fait étranger. Après l’effondrement des grandes idéologies, nous nous attendions à une liberté sans limites. Et nous avons obtenu, à la place, l’intolérance. J’ai presque le devoir de parler en tant que membre de ma génération ! Lorsque j’étais critique littéraire au Monde, de 1977 à 1983, j’étais tellement libre ! Je vis mon avancée dans l’existence comme un phénomène de rétrécissement de ce qu’il est permis de dire. Face à ce constat, j’arrive à un embryon de réponse. Dans le livre, je développe tout un chapitre sur l’autorité féminine. J’y explique que la disparition de la gestion du collectif par les femmes ne signifie pas celle de l’autoritarisme. De nombreux psychologues, psychiatres ou psychanalystes ont noté, à la suite d’Erich Fromm, à quel point le rôle de l’autorité maternelle, par exemple, est central. En réalité, l’autorité du père est construite – il ne sait pas à quel degré il est responsable de son enfant, il doit donc incorporer cette autorité; l’autorité de la mère, qui a fabriqué cet enfant, me semble beaucoup plus naturelle. De surcroît, j’avais remarqué l’existence de systèmes familiaux non autoritaires où se développaient des sociétés assez directives dans leurs tréfonds : la Suède, l’Islande, l’Irlande, Cuba, la Bretagne, le Portugal, la Thaïlande. Toutes avaient un statut des femmes élevé. D’où mon hypothèse d’une autorité féminine spécifique, moins violente mais plus assurée. Il est donc possible que ce phénomène nouveau d’intolérance non violente et diffuse qu’est la « cancel culture » soit le fruit de la matridominance.

De ce panorama, que concluez-vous ? Vous en réjouissez-vous ?

Pour l’essentiel, ces évolutions sont belles et bonnes, et c’est d’ailleurs ainsi que nous voyions les choses dans ma génération. Mais je constate tout de même qu’elles ont un coût économique : l’hypertrophie du tertiaire, le déclin de l’industrie, le fait de ne plus prendre au sérieux des métiers considérés comme masculins. Nous le paierons un jour en termes de niveau de vie.

Un certain nombre de femmes sont candidates à la présidentielle. Cela ne vous rend-il pas optimiste sur leur capacité à prendre en charge les questions collectives ?

Pas du tout ! Pas avec de tels programmes ! Aucune ne prévoit de reconstruction industrielle ou nationale.

Même Marine Le Pen ?

Non, car le Rassemblement national a renoncé à sortir de l’euro ! Ici, l’égalité homme-femme est surtout réalisée dans la nullité.

Où en sont-elles ? Une esquisse de l’histoire des femmes, d’Emmanuel Todd (Seuil, 400 p., 23 EUR).

***

Emmanuel Todd: « Le patriarcat n’a pas disparu en Occident: il n’a jamais existé », Le Figaro, 20/01/22

Todd, Emmanuel, Bastié, Eugénie

ENTRETIEN – La virulence néoféministe arrive au moment même où l’émancipation des femmes est achevée, constate Todd, qui fracasse la doxa victimaire et la théorie du genre et renouvelle notre regard sur le rapport entre les sexes.

LE FIGARO. – Dans votre livre, vous vous attaquez sévèrement au «féminisme de troisième vague» et à la théorie du genre, que vous accusez de vouloir créer une guerre des sexes et d’être une idéologie coupée du réel. Vous n’allez pas vous faire des amis à gauche… Qu’est-ce qui vous a poussé à l’écrire?

Emmanuel TODD. – C’est vrai, je confesse une forme d’agacement face au développement de ce que j’appelle le féminisme de troisième vague, antagoniste, de ressentiment. Comme un homme de ma génération sans doute. Dans ma génération et mon milieu, un féminisme absolu régnait. Ce qui me frappe, c’est l’irruption en France d’un féminisme antagoniste qui ressemble à celui du monde anglo-américain, un féminisme de conflit (américain) ou de séparation (anglais). Notre pays se distinguait et faisait l’admiration du monde par son modèle de camaraderie entre les sexes. Mais fondamentalement, je n’attaque pas, je cherche à comprendre ce qui se passe, en chercheur, en anthropologue, en historien.

Quelles sont les racines du féminisme antagoniste anglo-américain ?

J’associe ce féminisme anglo-américain à l’héritage du protestantisme, en réalité bien plus «patriarcal» que le catholicisme, plus ambivalent. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le monde anglo-américain n’est pas à l’origine plus favorable aux femmes que la France. Le protestantisme, sur les rapports hommes-femmes, est régressif par rapport au christianisme originel. Le catholicisme avait une dimension matricentrée avec le culte de la Vierge Marie. Le message de Luther est très patriarcal. On passe de Marie à Eve, la femme pécheresse. La virulence du féminisme dans le monde anglo-américain résulte largement d’une réaction contre cet héritage.

Votre point de départ est un paradoxe : nous assistons à un regain de contestation de la suprématie masculine «au moment même où le mouvement d’émancipation de femmes semblait sur le point d’atteindre ses objectifs». Comment l’expliquer ? Faut-il y voir le paradoxe de Tocqueville selon lequel plus une société est égale, plus la moindre inégalité blesse l’œil ?

C’était ma première hypothèse, mais ce n’est pas ça. Quand on voit le succès du livre de Mona Chollet sur les sorcières, dans les classes moyennes éduquées, il y a de quoi s’interroger: comment des femmes modernes peuvent-elles s’identifier au sort des 40.000 femmes massacrées, principalement dans le monde germanique, par la furie masculine aux XVIe-XVIIe siècle? Il y a là une forme de désorientation. Le dépassement éducatif des hommes par les femmes est beaucoup plus ancien qu’on ne l’imagine. En 2019, en France, dans la tranche 24-34 ans, 52 % des femmes ont fait des études longues, pour 44 % des hommes. L’inversion du «sex-ratio» dans les études supérieures s’est faite à la génération de gens qui ont maintenant 50 ans. Nous vivons dans une matridominance éducative depuis longtemps, même s’il reste une pellicule de domination masculine dans les 4 % supérieurs de la société.

Une fois qu’on a intégré la masse de cette évolution, on peut mieux comprendre le malaise des femmes qui s’explique moins par des résidus de domination masculine que par l’accession des femmes à tous les problèmes des hommes, et notamment à l’anomie au sens durkheimien: dans une société mobile, les gens ne savent plus quoi attendre de la vie, s’ensuit un mal-être social. Les femmes accèdent aux pathologies psychosociales jusque-là réservées aux hommes: ressentiment de classe, désarroi, anxiété sur leur destin personnel, etc.

Tout de même, vous ne pouvez pas nier qu’il existe encore des écarts économiques importants entre hommes et femmes…

Il y a une persistance de la domination masculine dans le secteur dirigeant de l’économie privée et dans les bureaucraties d’État. Pour le reste, les différences économiques entre hommes et femmes sont essentiellement expliquées par le choix de la maternité. Je fais une percée théorique révolutionnaire dans le livre: je définis comme femme l’être humain qui (hors stérilité accidentelle) peut porter un enfant. Je sais, c’est très risqué de dire cela aujourd’hui, voire réactionnaire ( rires). J’avais essayé de faire sans, mais tout devenait incompréhensible.

Les femmes maintenant ont accès à tous les problèmes des hommes, mais elles gardent en plus ce problème de l’option entre la carrière et les enfants, ce qui suffit à expliquer le résidu de domination masculine. De plus pour les hommes, qui ont perdu pas mal de leur capacité de décision dans la vie familiale, le monde du travail devient de plus en plus important et très investi. Un homme qui ne réussit pas dans son travail se met en grand danger. Tous les autres débats, pseudoscientifiques, sur une différence des sexes génétique ou de cerveau sont hors de propos… il y a identité dans tous les domaines ou alors des différences invérifiables, mais la maternité et ses conséquences psychosociales sont une variable assez puissante pour expliquer l’essentiel.

Est-ce à dire que, selon vous, le patriarcat a disparu en Occident?

Ce n’est pas qu’il a disparu, c’est qu’il n’a jamais existé. Qu’est-ce que ça veut dire patriarcat? Je préfère parler de système de patridominance universel, c’est-à-dire une position légèrement supérieure de l’homme en particulier dans les activités de gestion collective. Mais l’intensité de cette domination masculine est tellement variable selon la géographie et l’histoire qu’on ne peut pas appliquer un terme unique à des systèmes très différents. Je propose, avec l’aide d’un expert, une utilisation nouvelle de l’Atlas ethnographique de Murdock pour montrer cette diversité au lecteur, par des cartes originales.

Sur un sujet qui est souvent abordé de manière ultra-idéologique, nous pensons que l’accès aux données est fondamental. Nous avons mis en ligne l’outil de visualisation que nous nous sommes construit, et nous donnons le lien dans le livre. Parler de patriarcat de façon indifférencié pour évoquer la situation des femmes à Kaboul et dans la région parisienne n’a aucun sens du point de vue du chercheur en anthropologie. Frédéric Le Play emploie le mot «patriarcales» pour désigner les grandes familles indivises de type russe et arabe. Pour ce qui est de l’Occident étroit, la France, le monde anglo-américain et la Scandinavie, la mutation patrilinéaire, partie du centre de l’Eurasie, qui a abaissé le statut de la femme au cours de l’histoire, n’a pas eu lieu ou est restée embryonnaire. On croit souvent que plus on remonte le temps, plus les femmes étaient opprimées. Il n’en est rien. Les Occidentaux avant même la révolution des soixante-dix dernières années, étaient très proches dans leurs mœurs des chasseurs-cueilleurs chez qui le statut de la femme est élevé.

Justement, que nous apprend l’étude des chasseurs-cueilleurs qui diffère de la doxa féministe habituelle?

L’idéologie du féminisme de troisième vague, désormais dominante dans le débat public, a déformé l’histoire du rapport entre les sexes. Travailler sur les chasseurs-cueilleurs, c’est travailler sur 100.000-300.000 ans, soit le gros de l’histoire humaine. C’est-à-dire sur ce qu’est l’homme en tant qu’espèce animale, définir la nature humaine originelle. On trouve la famille nucléaire, encastré dans un système bilatéral de parenté où les rapports entre frères et sœurs sont très importants. Une forme de monogamie tempérée est statistiquement majoritaire dès les débuts de l’humanité, notamment en raison de son efficacité éducative pour la progéniture.

La cueillette est en général une activité féminine, qui peut être pratiquée par les hommes, alors que la chasse est un universel exclusivement masculin. N’en déplaise aux féministes actuelles qui essaient de chercher à tout prix des squelettes de femme chasseresses. Ce qui est caractéristique de la chasse, c’est que ses produits sont toujours repartis dans le groupe, tandis que les produits de la cueillette sont repartis dans l’unité domestique. Chez les chasseurs-cueilleurs, les femmes sont porteuses d’un élément d’individualisme familial alors que les hommes sont en responsabilité du collectif. Cela ne signifie pas du tout plus d’altruisme: le collectif, c’est l’organisation de grands travaux, mais c’est aussi la guerre.

C’est pourquoi, selon vous, l’émancipation des femmes est à lier avec l’effondrement des croyances collectives et l’affaissement de l’État-nation?

Le défaut de l’idéologie, c’est de croire qu’il se passe dans nos sociétés de grands phénomènes qui tombent du ciel et ne sont pas liés. D’un côté vous auriez l’émancipation des femmes, qui est super. De l’autre, l’effondrement industriel qui est un problème, l’affaissement des croyances collectives, qui est une bonne chose si on considère qu’on ne fait plus la guerre, mais une mauvaise chose si on ne peut plus agir en tant que nation sur le plan économique. Les deux grands mouvements de nos sociétés modernes sont l’émancipation des femmes et l’effondrement du sentiment collectif. J’essaie de montrer dans le livre qu’il ne peut pas ne pas y avoir de rapport entre les deux.

L’émancipation des femmes a un coût, dites-vous… vous regrettez le monde d’avant?

Pas du tout, je ne suis pas dans la nostalgie. Je bénis la révolution sexuelle, qui a rendu les rapports hommes-femmes beaucoup plus agréables. L’émancipation des femmes a permis la fin de l’homophobie, l’adoucissement des mœurs. Seulement, je montre qu’elle a eu aussi un coût. L’émancipation des femmes, leur accès à l’éducation supérieure a accéléré la tertiarisation de l’économie, et donc la chute des activités industrielles.

Résultat: vous avez certains pays féministes tertiarisés et consommateurs qui délocalisent leur production dans des pays où il y a encore une industrie, et une forme de patridominance, les pays de l’est de l’Europe et de l’Asie. David Cayla a bien montré la réindustrialisation des anciennes démocraties populaires (Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Roumanie), nations ouvrières devenues la Chine de l’Europe. Ce qui permet d’aller plus loin dans la consommation et dans la tertiarisation à l’Ouest, et donc d’accélérer l’émancipation des femmes à l’Ouest, tout en préservant des rôles masculins typés à l’Est. Les gens de l’Ouest sont totalement dépendants du travail des gens de l’Est tout en les insultant pour leurs attitudes culturelles rétrogrades: ils délocalisent leurs usines tout en voulant exporter leurs mœurs avancées. Il faut choisir!

La lutte des sexes a-t-elle remplacé la lutte des classes?

J’essaie de prendre en considération aussi bien l’économie que l’anthropologie. Il y a évidemment une composante de classe. Le féminisme de première vague, celui des droits civils qui venait de milieux bourgeois, défendait toutes les femmes. Idem pour la seconde vague de la révolution sexuelle, parti de milieux bourgeois, mais qui s’est répandue dans les classes populaires très rapidement. Mais le féminisme antagoniste de troisième vague ne défend pas toutes les femmes, c’est un conflit de classe entre les femmes (et leurs conjoints) des classes moyennes et la pellicule de patridominance des classes supérieures. L’idéologie du genre est une idéologie typique de la petite bourgeoisie, portée par des femmes de classes moyennes appartenant à l’université. Ces femmes éduquées supérieures, qui embrassent avec enthousiasme le concept d’intersectionnalité, constituent dans le secteur idéologique un groupe dominant. Le féminisme antagoniste est une idéologie au sens le plus fort du terme, au sens où elle n’est pas vécue: les classes qui promeuvent la lutte contre la domination de l’homme ne la subissent pas.

La tendance actuelle dans les classes moyennes éduquées, c’est la stabilisation du couple, souvent hypogame (femme plus éduquée que le conjoint), le doublement du salaire, l’impératif de survie économique du style chasseur-cueilleur. Pour les femmes des catégories populaires, où sont logées la majorité des familles monoparentales, la vision antagoniste du féminisme est une aggravation des conditions d’existence. Le couple humain est un système élémentaire d’entraide. La fonction du couple humain originel, c’est la survie, à la base de laquelle il y a la solidarité entre l’homme et la femme. Nous sommes dans une société en voie d’appauvrissement, notamment dans les jeunes générations. L’urgence ce n’est pas l’émancipation des femmes, qui a eu lieu, mais de revaloriser l’entraide dans le couple, et le sentiment collectif, qui s’effondrent.

«Pendant des siècles, l’Occident chrétien a considéré la sexualité comme le pire des maux de l’âme. Le voilà qui la pose, désormais, comme l’essence de l’âme.» L’obsession LGBT pour l’orientation sexuelle serait un produit du christianisme? Voilà qui est original!

L’Occident chrétien ne comprend pas sa propre histoire. Le christianisme se distingue par rapport aux autres religions par son obsession de la sexualité identifiée au mal. C’est encore plus vrai dans le protestantisme qui radicalise l’hostilité au plaisir sexuel. L’Occident chrétien est chargé sexuellement en un sens négatif. Les révolutions sexuelle et libertaire ont été un rejet violent de cet héritage. Ce rejet a produit une obsession sexuelle positive, et notamment dans l’univers anglo-américain marqué par le puritanisme, qui n’est pas du tout typique de toutes les cultures.

L’homosexualité humaine est une possibilité naturelle et universelle, mais le passage de l’homophobie au phénomène gay, c’est-à-dire d’un rejet de la sexualité à sa mise au centre de l’identité sociale, est typiquement chrétien. Regardez la Thaïlande bouddhiste du «petit véhicule» par exemple, où la fluidité des rapports sexuels n’induit pas une identité gay, ou le Japon, «bouddhiste du grand véhicule», où l’identité sexuelle est sans doute secondaire par rapport à l’identité au travail. C’est pourquoi je parle des gays comme une catégorie de chrétiens zombies (référence à un livre antérieur de l’auteur, NDLR) . Se définir politiquement et socialement par son orientation sexuelle implique une estimation haute de la sexualité qui est typiquement occidentale.

Où en sont-elles? Une esquisse de l’histoire des femmes (Seuil, 400 p., 23 € ).

[Affaire Nicolas Hulot] – La cité des oies blanches

Nicolas Hulot incarne une catégorie d’hommes : ce petit pourcentage de grands séducteurs un peu prédateurs sur les bords. Ce sont des psychologies paradoxales, des hommes à femmes qui bénéficient en général d’un physique avantageux dont ils usent et abusent – souvent avec l’air de ne pas y toucher (« Beau, moi ? Je ne sais pas… Si vous le dites… ») – pour obtenir tout ce qu’ils veulent, parce que la plupart du temps, ça paie, et ça paie même très bien. Grisés par cette facilité, qu’ils ont souvent pu expérimenter dès la sortie de l’adolescence, ils prennent alors ce pli, à la moindre occasion, de recharger leurs batteries avec du sexe facile et sans lendemain – jusqu’à en devenir plus ou moins sex-addicts. Quand des hommes moins favorisés par la nature boiraient un petit verre ou mangeraient un hamburger pour se retaper, eux ils lèvent une fille, parce que 99 fois sur 100, ça marche du feu de Dieu et que le sexe, pour ce type d’homme, est le meilleur booster et le meilleur antidépresseur qui soit.

Car ce sont également des profils psychologiques beaucoup plus fragiles qu’il n’y paraît – des hommes engagés dans des professions médiatiques surexposées particulièrement imprévisibles, extrêmement stressantes, où les projecteurs peuvent s’éteindre du jour au lendemain et le succès se transformer en oubli ou en curée pour des raisons qui vous échappent en grande partie. Autant le succès qui vous tombe dessus soudainement peut vous faire prendre la grosse tête ou vous faire basculer dans le « syndrome de l’imposteur », autant les craintes qu’il génère peuvent déstabiliser et installer en vous une profonde perte de repères et un rapport plus ou moins distendu avec la réalité.

Ceci pour dire encore que Nicolas Hulot représente une catégorie d’hommes particulière. Il n’est pas Monsieur tout le monde, il n’a pas le rapport aux femmes de Monsieur tout le monde, car quand lui a 50 femmes autour de lui en permanence, Monsieur tout le monde en a une ou deux, voire zéro – et rarement une armada de filles énamourées qui l’attendent à chaque sortie de studio TV. Il est surtout une pièce de la machine médiatique qui vous célèbre puis vous broie pour les raisons mêmes qui l’ont poussée à vous aduler. C’est le thème, vieux comme le monde, de la Roue de Fortune :

Paris, BnF ms fr. 130.

La Fortune a les yeux bandés, elle vous installe sous les sunlights, puis fait tourner sa roue et vous récoltez les crachats. Dans le cas de Mr Hulot, Marlène Schiappa, qui le défendait ouvertement en 2017 et le pilonne aujourd’hui, incarne parfaitement cette versatilité : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » (Jean de La Fontaine, Les Animaux malades de la peste).

Le profil des accusatrices

C’est toujours le même profil. Des jeunes filles en fleur, des groupies, des fans, toujours des oies blanches, plus ou moins sincères et inexpérimentées, qui peuvent n’avoir aucune idée des pulsions sexuelles qui peuvent traverser un Don Juan habitué à se servir à pleines mains – on parle ici de 3 filles qui se plaignent mais on ne parlera jamais des 1000 autres qui se sont bien amusées ou ont juste passé un bon moment avec lui.

Il est tout à fait vrai qu’entre 16 et 18 ans, on n’a pas forcément conscience de l’intérêt sexuel qu’on peut présenter pour un homme. C’est ce qu’on appelle en psychologie évolutionnaire le « biais de sous-perception » dont sont affligées les jeunes femmes : elles n’ont parfois aucune conscience des signaux sexuels qu’elles peuvent envoyer involontairement. Quant aux hommes, ils souffrent inversement d’un « biais de sur-perception » : ils vont interpréter comme des avances sexuelles, du consentement ou une ouverture à un rapport sexuel ce qui n’en est pas forcément, voire pas du tout.

Il existe donc réellement un quiproquo fondamental entre les sexes, et tout particulièrement entre les deux protagonistes de ce type d’affaire, fatalement faits pour se rencontrer : la jeune fille en fleur attire le séducteur comme un aimant et réciproquement, le séducteur attire les jeunes filles en fleur comme le fromage attire les mouches. Celles-ci tapissent les murs de leur chambre des photos de leur idole qu’elles cherchent parfois à tout prix à rencontrer, inconscientes de la situation dans laquelle elles vont se mettre ou des expériences qu’elles risquent de croiser et qu’elles ne seront pas toujours en mesure d’assumer. Maureen Dor en parle avec des mots assez justes. Elle a aussi l’honnêteté de reconnaître que cela ne l’a jamais traumatisée ni empêchée de poursuivre sa vie et sa carrière.

Il y a donc deux profils de filles : la traumatisée à vie qui ne se remettra jamais d’une petite pression sur la nuque et d’un « suce-moi » dans une voiture et celle qui haussera les épaules et repensera toujours avec indifférence (et plus de pitié qu’autre chose) aux hommes qui lui ont montré leur sexe quand elle faisait du stop ou aux expériences de bad sex qu’elle a traversées au même âge. C’est mon cas et c’est ce que j’écris sur ce site depuis le début : on peut choisir d’être traumatisée à vie par une bite – ou pas. On peut choisir de passer sa vie à se lamenter d’avoir excité involontairement un homme quand on était jeune et fraîche, ou s’en foutre et en rire. On peut se complaire dans la victimisation et apporter de l’eau au moulin de l’armada des féministes aigries qui extorquent les témoignages qu’elles ont envie d’entendre pour régler leurs comptes avec la gent masculine – ou bien refuser de se prêter à ce jeu malsain et cette chasse à l’homme en meute.

La cité des oies blanches

Comment en est-on arrivé à la multiplication de telles affaires ? Parce que le féminisme puritain et les oies blanches ont pris le pouvoir, tout simplement. Parce que le féminisme occidental a produit des générations de femmes fragiles qui restent dans leur tête des adolescentes de 16 ans traumatisées à vie parce qu’elles auront un jour croisé une bite ou un mufle qui n’aura pas mis les formes. Bien sûr que ces méthodes – pour autant qu’elles soient avérées dans l’affaire qui nous occupe – sont grossières et inappropriées, mais il est FAUX, comme le prétendait Laurence Rossignol sur le plateau d’Envoyé Spécial, qu’on ne puisse pas s’en remettre et que c’est un profond traumatisme. C’est faux : je suis passée par ce genre d’expériences et je n’ai jamais été traumatisée.

Parce qu’on peut choisir de vouloir vivre avec un chaperon juridico-féministe et un ordre moral victorien sur le dos, comme une petite chose fragile et impressionnable, terrorisée et démolie pour toujours par des avances cavalières, ou au contraire d’assumer sa liberté et de faire la part des choses. On peut passer sa vie à se construire un profil de malheureuse victime et ressortir à point nommé de vieilles histoires qui ne nous ont en réalité jamais empêché de dormir pour aller grossir le troupeau des hyènes qui chassent en bande – ou pas.

Quant à la justice sauvage qui se rend sur les plateaux TV pour pousser sans autre forme de procès un homme au suicide sur des accusations invérifiables – alors que ces femmes, contrairement à ce qu’elles prétendent, ont eu des années pour en parler et déposer plainte –, il faut souhaiter que les procès en diffamation se succèdent pour arrêter ces lynchages. L’opportunisme et la quête du quart d’heure de gloire médiatique sont ici flagrants. La plupart des séducteurs qui ont eu une gloire publique, artistique ou politique, vont désormais devoir rendre des comptes à la foule de leurs coups d’un soir tapis dans l’ombre, qui pourront raconter tout et n’importe quoi, du moment qu’il y a le mot « sexe » dedans. Notre société qui ne baise déjà plus pourra ainsi se venger et se délecter, à travers ce voyeurisme revanchard, de ses passions tristes.

  • Petite précision sémantique. Selon le Code pénal (article 222-23), la définition du viol est la suivante : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ».

Selon ce qu’il semble, Nicolas Hulot n’a commis aucun acte de pénétration sexuelle dans les cas qui nous occupent – même pas sous la forme d’une fellation, puisque Sylvia a expliqué ne pas avoir pratiqué la fellation. Rappelons également que « fellation forcée  » est un oxymore : une fellation est un acte pro-actif, dans une voiture qui plus est, où il était pratiquement impossible à NH de lui fourrer de force son sexe dans la bouche. Dans le pire des cas, on peut donc sans doute parler ici d’agression sexuelle. Mais pas de viol, car les mots ont un sens.

[à suivre…]

David Geary : « Les stéréotypes ne font que décrire les comportements typiques des garçons et des filles »

Article paru dans Le Point du 22/10/21

Propos recueillis par Laetitia Strauch-Bonart

ENTRETIEN. Le chercheur américain David Geary revient sur l’importance de la biologie pour comprendre les différences comportementales entre les deux sexes.

Selon un récent rapport parlementaire sur l’égalité hommes-femmes remis le 6 octobre à la Délégation aux droits des femmes, les « stéréotypes de genre » à l’oeuvre depuis l’enfance seraient le point de départ des inégalités et des violences à l’encontre des femmes. Une position qui n’a rien d’original, puisqu’elle est majoritaire parmi les responsables politiques et les sociologues. Problème : peut-on se contenter, pour expliquer les comportements humains, du seul prisme de la culture, sans en passer par la nature ? En aucun cas, selon David Geary, professeur de sciences psychologiques à l’université du Missouri et auteur de l’ouvrage de référence sur les différences biologiques entre les sexes, Male, Female. The Evolution of Human Sex Differences (American Psychological Association), qui a consacré sa carrière à la compréhension du phénomène, au croisement des sciences cognitives, de la biologie évolutionnaire et de la psychologie.

Le Point : Qu’est-ce qu’un stéréotype ?

David Geary : Les stéréotypes sont des croyances génériques sur le comportement ou les pensées de certains groupes. Par exemple, dans le cas des garçons et des filles, on pense que les garçons aiment faire certaines choses et les filles d’autres choses. Selon certains, comme les auteurs de ce rapport, les stéréotypes agissent dans la société pour provoquer des différences entre les sexes. Mais en réalité, ils ne font que décrire les comportements typiques des garçons et des filles.

Les auteurs du rapport basent leurs recommandations sur des concepts issus de la psychologie sociale, comme la « menace du stéréotype ». De quoi s’agit-il et qu’en pensez-vous ?

Il s’agit de l’hypothèse suivante : si vous êtes une fille et que vous savez qu’il existe un stéréotype voulant que les filles aient des difficultés en mathématiques, vous aurez peur, face à un exercice de mathématiques, de confirmer le stéréotype et vos performances vont en pâtir. Mais ce résultat, quand il est testé, ne tient pas statistiquement et, pire, il n’a pas été répliqué.

Le rapport cite également l’« effet Pygmalion ».

C’est l’effet inverse : l’idée que, lorsque quelqu’un croit en vous, vous allez vous conformer à ses attentes et vous dépasser. Mais dans l’ensemble, tous ces prétendus « effets » sont typiques de modèles explicatifs qui accordent bien trop d’importance à l’influence de l’environnement. Ils partent à tort du principe que les individus sont des blocs d’argile vierge, des pages blanches entièrement façonnés par la socialisation.

Parce qu’ils ne le sont pas ?

Non, si l’on en croit la recherche en sciences cognitives et en psychologie évolutionnaire. Or, le rapport ne mentionne que des chercheurs en sciences sociales. Il ne cite aucune recherche sur les bases biologiques des différences entre les sexes. Les chercheurs en sciences sociales ignorent ces travaux, car ils estiment que toutes les différences entre les garçons et les filles et entre les hommes et les femmes sont socialement construites. Ils s’attendent à ce que les garçons et les filles soient identiques, et quand ils ne le sont pas, ils y voient le signe de socialisations distinctes. Je suppose d’ailleurs que, dans ce rapport, personne n’a demandé aux enfants leur avis sur leurs préférences : mais si vous interrogez des filles sur leur désir de devenir des garçons, et vice et versa, la quasi-totalité vous répondra par la négative. Les gens sont en général très à l’aise avec leur genre et les comportements typiques qui les accompagnent.

Quels déterminants biologiques influencent le comportement différencié des deux sexes ?

Plusieurs études sur des anomalies génétiques ou des mesures hormonales dans le liquide amniotique ont examiné l’exposition prénatale aux hormones. Il existe aussi un pic postnatal d’exposition aux hormones sexuelles dans les six premiers mois de la vie qui commence à être mieux étudié. Les garçons reçoivent une forte dose supplémentaire de testostérone vers le deuxième ou le troisième mois de vie, tandis que les filles sont périodiquement exposées à l’oestradiol. Ces études ont montré que les différences dans l’ensemble des activités typiques des deux sexes, comme les jeux – « jeux brutaux » versus « jeux doux » et « maternants » avec poupées -, sont influencées, du moins en partie, par l’exposition aux hormones.

Comment s’y prend-on, scientifiquement, pour faire la différence entre le fondement biologique et culturel d’un comportement ?

Chez les non-humains, les primates et les rongeurs, cela a été étudié au moins depuis les années 1950, via notamment des manipulations hormonales prénatales, postnatales ou lors de la période pubertaire. On peut donner, par exemple, aux femelles des hormones mâles ou aux mâles castrés de l’oestradiol. Ainsi, quand on donne de la testostérone aux femelles ou quand on castre les mâles, l’effet sur la nature du jeu – brutal ou doux – est fort. On ne peut évidemment pas faire de même avec les enfants, bien sûr, d’où l’emploi de moyens détournés, comme l’étude d’anomalies génétiques ayant une influence sur les hormones.

Vous estimez donc que, dans l’ensemble, l’effet de ces différences biologiques est plus important que celui des stéréotypes.

Les enfants génèrent essentiellement leurs propres comportements. Ils ont leurs propres intérêts et sont assez catégoriques pour les exprimer. Vous ne pouvez pas les mener par le bout du nez et les forcer à devenir ou faire ce qu’ils n’ont pas envie. Mais l’influence sociale a, bien sûr, une importance. Prenons le jeu brutal des garçons. Un trio de garçons aura tendance à se bousculer et à se pousser. Dans certaines cultures, les parents atténuent un peu ce type de comportement. Dans d’autres, où les bagarres entre hommes sont courantes, les parents, à l’âge adulte, les encouragent pour les rendre plus agressifs. Vous ne pouvez pas créer ce comportement, mais vous pouvez socialement l’atténuer ou l’exagérer.

Vous mentionnez des études sur les animaux. Que répondez-vous à ceux qui estiment que notre qualité d’humain nous place à part ?

Que ces comportements précoces ont été conservés au cours de l’évolution. Sans cela, il faudrait conclure que c’est par hasard que les humains ont évolué de la même façon que les autres mammifères, avec un cerveau comparable. L’argument évolutionnaire est le plus pertinent, car il est le plus parcimonieux.

Le rapport critique l’idée d’une « vocation maternelle » chez les femmes. Qu’en pensez-vous ?

Les chercheurs en sciences cognitives n’emploient pas ce vocabulaire, mais formulent cette question de la façon suivante : si on regarde les primates, et plus généralement les mammifères, la plupart des mâles ne s’occupent absolument pas de leur progéniture. La nature de la biologie reproductive – de la gestation interne à l’allaitement – fait que l’investissement parental penche largement vers les femelles. Mais chez les humains, les mâles contribuent parfois substantiellement au bien-être de leurs enfants. On constate une grande variation : d’un investissement nul à un investissement presque aussi fort que les mères. Mais dans toutes les cultures, il n’y a jamais d’équivalence et encore moins de dépassement. Certes, le lait maternisé et les petits pots pour bébé vont peut-être changer la donne, mais lentement. Ces innovations n’ont que quelques décennies et à l’échelle de l’évolution, c’est plus que négligeable.

Le rapport énonce : « Des études réalisées au Royaume-Uni ont ainsi montré que les parents qui essaient d’élever leurs enfants sans égard à leur sexe (gender neutral) risquent davantage l’échec. » Or, il explique ce phénomène non par des différences naturelles, mais par… les normes culturelles, considérées comme trop pesantes. Quand un fait invalide vos hypothèses, il faut abandonner celles-ci, et non l’inverse. Pourquoi cette approche aussi peu scientifique ?

C’est un cas typique de biais de confirmation. Face à des informations qui pourraient réfuter votre point de vue, vous avez deux options : en changer ou trouver une explication post hoc qui vous permet de ne pas le faire. C’est ce qui se passe ici. Sans compter que de telles études ont aussi été menées aux États-Unis, voici une trentaine d’années. Elles portaient sur des enfants élevés dans des familles traditionnelles, où le père travaillait et la mère restait à la maison, et des familles où les parents avaient décidé d’élever leurs enfants sans distinction de sexe, en donnant des voitures aux filles et des poupées aux garçons. Vers 5 ou 6 ans, les enfants élevés dans des foyers à éducation « unisexe » affichaient et, surtout, déclaraient effectivement une gamme comportementale plus diverse. Mais lorsque ces enfants étaient lâchés dans la nature, pour ainsi dire, et jouaient avec d’autres enfants, cette neutralité disparaissait. Mieux, à la maturité sexuelle, la division genrée était entièrement installée. En résumé, ce genre d’éducation permet de faire changer les croyances temporairement, pas les comportements à long terme.

Ou alors, pour espérer atteindre une égalité parfaite, par exemple dans les choix professionnels, il faudrait une politique excessivement oppressive. Pensez-vous que les auteurs de ce rapport aient conscience des conséquences de leurs désirs ?

Je pense qu’ils sont surtout naïfs ou même un peu limités intellectuellement. Ils ne tiennent pas compte des contre-preuves factuelles et croient probablement que si le gouvernement met en place ce type de politiques, il suffira d’une génération ou deux pour que leur vision utopique se réalise. Sauf que cela ne marchera pas ! Cela changera ce que les gens disent ou croient, pas ce qu’ils font. C’est là que l’oppression peut en effet entrer en jeu : la tentation de forcer, au sens strict, des gens à faire ce dont ils n’ont pas envie. Les Suédois ont essayé, pendant un temps, de forcer les filles à agir comme des garçons bagarreurs et turbulents, et les garçons à préférer les bavardages et les jeux maternants. Le plus grand effet en a été de stresser les enseignants et d’énerver les enfants.

De telles interventions peuvent-elles aussi renforcer des comportements typiques de façon pathologique ? On entend, par exemple, que la misogynie débridée qui s’exprime dans ce qu’on appelle les « incels » (involuntary celibate, célibataire involontaire) ou la « manosphère » pourrait être un effet adverse d’une éducation dégenrée.

Des études de privation menées sur les rongeurs montrent que, lorsqu’on leur refuse la possibilité d’exprimer des comportements typiques, en termes de jeu, par exemple, puis lorsqu’on leur en donne à nouveau l’occasion, les comportements s’accroissent de façon spectaculaire pour ensuite retomber à des niveaux normaux. Je ne serais donc pas surpris que l’on observe une augmentation des comportements stéréotypés après que l’on a empêché les enfants de s’y adonner. J’ai aussi le sentiment que la manosphère est un retour de bâton, du moins en partie, mais je n’ai lu aucun article scientifique à ce sujet.

Il ne faut pas confondre égalité de résultat et égalité d’opportunité. Les différences d’orientation professionnelle et de choix entre carrière et vie privée sont surtout le choix de préférences distinctes.

Ce rapport parlementaire part du principe que les stéréotypes genrés génèrent des inégalités. Des travaux scientifiques confirment-ils cette assertion ?

Il ne faut pas confondre égalité de résultat et égalité d’opportunité. Les différences d’orientation professionnelle et de choix entre carrière et vie privée sont surtout le choix de préférences distinctes. Par exemple, des études menées sur des surdoués en mathématiques, hommes et femmes, montrent que, à la trentaine, les hommes travaillent plus d’heures et avancent plus loin dans leur carrière. Ce n’est pas parce qu’ils sont meilleurs, mais parce qu’une grande partie de ces femmes ont réduit leur temps de travail pour se consacrer à leur vie de famille. Mais ni ces hommes ne se plaignent de travailler davantage ni ces femmes de progresser plus lentement dans leur carrière. Les deux groupes sont satisfaits de leur vie. Voilà ce que sont ces « inégalités » : des choix différents pour mener la meilleure vie possible selon ses propres critères. Ils ne voudraient pas qu’un bureaucrate, à Paris ou Washington, vienne leur dire comment organiser leur vie.

Dans votre travail, rencontrez-vous des difficultés à parler de la base biologique des différences comportementales entre les sexes ?

Heureusement pour moi, je suis têtu et assez insensible socialement. Je peux continuer à travailler parce que je pense être sur la bonne voie. Mais je connais des chercheurs qui ont baissé les bras et changé d’orientation de recherche, car c’est effectivement difficile et frustrant. Pour vous donner un exemple, nous cherchons à faire publier avec un collègue une étude rassemblant des données sur 475 000 adolescents à travers 80 pays, avec des échantillonnages aléatoires, sur les différences professionnelles, où l’on trouve beaucoup de « stéréotypes » dont nous avons parlé. Nous l’avons envoyée à quatre revues scientifiques. Le rédacteur en chef de la première nous l’a renvoyée sans même la lire, et encore moins l’envoyer en processus de révision par les pairs. Dans les trois autres publications, nous avons reçu des commentaires proprement hostiles qui n’avaient rien de scientifique. Nous sommes en attente de la réponse d’une cinquième…

Êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste ?

Je suis optimiste dans le sens où je pense qu’il y a des différences réelles entre les sexes et qu’il y a encore bien des choses à comprendre. Cela dit, nous traversons une période, du moins dans le monde occidental, où le désir d’« égalité de résultats » biaise notre interprétation de la réalité, ce qui pourrait se traduire, comme nous l’avons évoqué, par des politiques oppressives.

  • Voir aussi :

« Pourquoi les femmes boudent les mathématiques », Le Point, 7/10/18 (article en accès libre)

« Peggy Sastre – Stéréotypes de genre : les contre-vérités ont la vie dure », Le Point, 15/10/21 : « À l’appui de leur épouvantable constat, Le Bohec et Lebon évoquent des recherches en psychologie sociale isolant trois effets : l’effet d’étiquetage, la menace du stéréotype et l’effet Pygmalion. Malheureusement pour leur démonstration, il s’agit de concepts ayant eu à souffrir lourdement de la crise de la reproductibilité touchant ces sciences humaines depuis une bonne dizaine d’années. En d’autres termes, les études qui pensaient les isoler ont, au mieux, une puissance statistique bien trop faible pour attester de leur réalité et, au pire, sont le fruit de chercheurs peu scrupuleux ayant bidonné leurs travaux. »

[La Voix de son Maître] – Osez le Guenonisme et les Miss France

Chez les géladas, un grand singe proche du babouin vivant dans la corne de l’Afrique, il a été démontré, à partir de l’analyse hormonale des déjections de guenons, que plus de 80% des femelles d’un groupe donné faisaient une fausse couche spontanée dans les semaines suivant l’arrivée d’un nouveau mâle dominant (cf. Peggy Sastre, La Domination masculine n’existe pas, Paris, 2015, p. 122-123). Les femelles redeviennent ainsi rapidement fertiles afin de pouvoir engendrer des petits avec leur nouveau maître car, selon la loi de l’hypergamie féminine (qui s’applique également aux femmes), « les femelles préfèrent se reproduire avec les meilleurs mâles ».

Des femelles qui avortent spontanément pour mieux se soumettre au nouvel arrivant, donc. Il est tentant de faire le parallèle avec les féministes occidentales qui n’ont que l’avortement à la bouche, refusent d’enfanter, méprisent la maternité, la paternité, les hommes et les enfants – pour autant qu’ils soient blancs –, mais n’ont de cesse de tresser les louanges des nouvelles cultures qui s’installent entre leurs murs – pourvu qu’elles soient « racisées », comme elles disent, en parfaites néo-racistes qu’elles sont. On a tous compris que les néoféministes étaient des guenons comme les autres, ayant soupesé qui était le plus fort dans le conflit de civilisations que nous traversons actuellement et ayant en conséquence choisi leur camp depuis le début. Leurs pancartes dans leurs manifs parlent pour elles :

« Je ne suce que du noir ». Pourquoi pas, après tout… (c’est un constat, pas une critique)

Ou bien :

« Une bite noire uniquement »

Bien. Venons-en aux Miss, maintenant.

Cela fait quelques années déjà que j’évoque la guerre inlassable menée par les néo-féministes contre la jeunesse, la fraîcheur et la beauté féminines – incarnation de tout ce que la féministe aigrie ne peut que haïr maladivement : l’existence du désir hétérosexuel, évidemment. La seule idée qu’un homme puisse admirer et désirer une jeune femme qui expose à son regard sa beauté hors du commun, ou se présente devant lui comme l’archétype (un idéal le plus souvent inaccessible) de la jeune vierge prête à marier, ne peut que faire s’étrangler de haine et de fureur l’armée des vieilles punaises, frustrées et laiderons de tous poils qui peuplent les bataillons d’Osez le Féminisme.

Mauvaise joueuse !

Le conte populaire de la jeune et jolie Blanche-Neige sur le point de convoler, cible de la maléfique reine-sorcière qui tente de l’assassiner perfidement (le prototype de la néoféministe allergique à la jeunesse, la beauté et l’hétérosexualité) pourrait aussi être interprété comme une préfiguration parfaite de la jalousie destructrice de l’armée des mal-baisées du XXIe siècle :

Osez le Féminisme cherche donc une fois de plus, comme tous les mois d’octobre, à détruire le concours Miss France, accusé de sexisme et de tous les maux, sans pouvoir comprendre qu’il n’est que la manifestation de ce qui fait que le monde est monde depuis toujours et qu’il existe encore : sur un plan évolutionnaire, le capital féminin en vue de la reproduction de l’espèce est tout entier logé dans la jeunesse, la fraîcheur et la beauté des jeunes femmes – car ce sont des gages inconscients et universels de santé et de fertilité, tout simplement. Comme Blanche-Neige, princesse d’une exceptionnelle beauté, les Miss d’aujourd’hui incarnent cet idéal féminin qui transcende ; elles sont cette image de la beauté féminine pure qui éclaire le monde, tire hommes et femmes vers le haut et invite depuis l’aube des temps l’humanité à poursuivre son chemin.

April Benayoum, Miss Provence 2020, la beauté absolue qui aurait remporté le concours Miss France 2020 sans une odieuse campagne antisémite qui n’a pas fait bouger un ovaire chez les soi-disant défeuseus.e.s des femmes (jalousie, quand tu nous tiens…).

Les féministes à front de taureau auront beau fulminer de rage et de dépit et même faire disparaître le concours Miss France, elles ne changeront rien à la marche du monde : les mêmes réflexes profonds (car il s’agit en réalité de nos gènes qui nous pilotent) feront que les hommes continueront d’être attirés instinctivement par la jeunesse et la beauté féminines et que ces mêmes jeunes beautés continueront à faire valoir leurs charmes et leurs appâts afin de séduire et sélectionner les meilleurs géniteurs. C’est ce qu’explique aussi François de Smet dans Eros Capital, Les lois du marché amoureux, Paris, Flammarion, 2019. C’est la vie, les filles, c’est comme ça, désolée pour l’armée de féministes et de lesbiennes nihilistes qui voudraient voir disparaître l’humanité en même temps qu’elles, mais l’instinct de survie et de reproduction sera toujours le plus fort et c’est tant mieux.

[Sur ce thème, lire: « Pourquoi Darwin avait raison sur nos choix amoureux », Le Point, 08/01/21 (article pour abonnés : me demander une copie par mail en cas de besoin)]

Fini le concours Miss France

A côté de cela, nombre d’observateurs ont relevé à juste titre le double standard d’Osez le Féminisme, qui d’un côté fustige les femmes dénudées et de l’autre soutient le port du voile, à l’exemple de David Desgouilles dans Marianne : « Osez-le-féminisme vs Miss France : « Puritains de tous les pays, unissez-vous ! » (20/10/21):

« Ces parangons de vertu, dont la courageuse Mila a peu entendu le soutien, et qui manifestent avec le CCIF, illustrent très bien par leurs actes ce que Karl Marx avait appelé « donner une claque à sa grand-mère ». Il est plus facile de douter du libre arbitre de jeunes femmes qui s’inscrivent de leur plein gré au concours de Miss France que d’aller soutenir celles qui sont contraintes par leur milieu familial ou par leur voisinage de se voiler de la tête aux pieds. Le voile, c’est tellement mieux que le dégradant maillot de bain avec lequel les candidates au titre de Miss France défilent chaque année. »

Le petit jeu des néo-bigotes pro-islam ne fait plus mystère pour personne. Je ne peux que le rapporter à cette forme de guenonisme dont je parlais en introduction : cracher sur Miss France, c’est évidemment cracher sur la France, puisque le mot « France » est dans Miss France et que cela fait plus d’un siècle que ce concours fait partie de ses meubles – on a le droit de l’apprécier ou pas, de regarder sa retransmission TV ou pas. Et c’est bien sûr envoyer des gages et un signal de soumission au nouvel arrivant qui lui non plus, n’aime pas beaucoup le concours Miss France : chacun sait que la femme pudique ne doit pas défiler en maillot de bain, pas plus sur les podiums qu’à la piscine ou à la plage. Osez le guenonisme assume donc sa reddition et obtempère fidèlement à la voix de son maître.

L’appel du muezzin
  • Voir aussi :

Sabine Prokhoris : « La promesse d’un paradis féministe est une illusion »

Article paru dans Le Point du 10/10/21.

Propos recueillis par Laetitia Strauch-Bonart

ENTRETIEN. La philosophe et psychanalyste publie un livre coup-de-poing contre #MeToo et ses suites, dans lesquels elle voit un mouvement totalitaire.

Sabine Prokhoris n’a pas froid aux yeux. La psychanalyste et philosophe, qui a peu apprécié le mouvement #MeToo, a décidé de le faire savoir sous la forme d’une démonstration minutieuse mais passionnée. Dans Le Mirage #MeToo (Le Cherche Midi), elle cible, par un ton enlevé et parfois même emporté, un mouvement dont l’ambition bénéfique cache selon elle une volonté de puissance destructrice.

Difficile d’accuser cette féministe inclassable – qui défend dans le même temps la gestation pour autrui (GPA) – de conservatisme. Mais il est sûr que celle qui avait déjà su démonter avec brio, dans Au bon plaisir des « docteurs graves » (Puf, 2017), la philosophie de Judith Butler, figure de proue des études de genre, ne goûte guère le féminisme à tendance vengeresse.

Le Point : Certains ont loué #MeToo. D’autres ont critiqué ses « dérives ». De votre côté, vous vous distinguez par une condamnation sans appel du mouvement dans son entièreté. Pourquoi ?

Sabine Prokhoris : C’est plutôt contre-intuitif en effet. En me mettant vraiment au travail – en allant « au fond de la mine », comme dit Foucault -, et donc en dépliant, pour les analyser, les logiques intellectuelles de #MeToo et leurs conséquences, je me suis aperçue qu’il s’agissait d’un mouvement structurellement vicié, de nature totalitaire : une « révolution culturelle » revendiquée, visant à fabriquer le meilleur des mondes « féministe ». Il s’inscrit d’ailleurs dans une mouvance plus vaste, celle des luttes dites « intersectionnelles » qui juxtaposent les figures de « dominés » et prétendent extirper du monde la « domination ». C’est de même nature que les mouvements qui ont conduit récemment à pratiquer des autodafés de livres, non pas à Kaboul, mais au Canada, les cendres des ouvrages « malfaisants » revenant à la terre-Mère (sic), une transmutation du mal en bien s’opérant grâce à cette « purification ».

Comment et quand avez-vous regardé ce mouvement d’un mauvais oeil ?

Bien sûr les agissements dont était accusé Harvey Weinstein m’ont paru odieux. Mais face à #BalanceTonPorc, puis à #MeToo, et à l’ampleur incontrôlable de la vague qui a suivi, j’ai vite eu des réticences, sans pouvoir clairement les fonder. La violence des réactions contre la tribune Deneuve, sur laquelle j’avais quelques réserves mais qui avait le mérite de faire entendre autre chose, m’a tout de suite alertée sur le refus de #MeToo d’un débat démocratique autour de ces questions. Comme l’a très bien dit Catherine Deneuve, on ne peut pas se réjouir d’effets de meute. Ils conduisent au pire.

Vous évoquez trois temps du mouvement : #BalanceTonPorc et #MeToo, le départ d’Adèle Haenel de la cérémonie des César et son « témoignage » sur Mediapart contre le réalisateur Christophe Ruggia, enfin la publication du livre de Vanessa Springora, Le Consentement. Pourquoi vous attardez-vous sur le cas d’Adèle Haenel, qui ouvre votre livre ?

Ce moment à proprement parler sidérant a, je pense, constitué un tournant dans le mouvement. Au-delà des protagonistes impliqués dans cette séquence étrange qui a hypnotisé la France entière – ce qui en soi est déjà un phénomène qui méritait qu’on le questionne, et j’ai commencé par là -, il fait apparaître au grand jour les ressorts et les logiques qui gouvernent le #MeToo-féminisme. Il donne aussi à #MeToo une inflexion spécifique, qui va propulser le mouvement à l’avant-garde de ces luttes « intersectionnelles », autour d’un noyau militant se revendiquant – politiquement avant tout – lesbien avec insistance. Pour toutes ces raisons, il fallait étudier précisément ce qui s’est joué dans cet épisode. On ne comprend pas les choses si on en reste à des idées générales. Il faut décrire et analyser des faits et leurs circonstances.

Vous critiquez l’acharnement à l’encontre de Roman Polanski et parlez même, en y voyant un renversement particulièrement malsain, d’une « shoahtisation » des atteintes sexuelles. Que voulez-vous dire ?

Que Polanski soit un doudou maudit de la détestation irrationnelle de certaines féministes, ce n’est pas récent. Rappelez-vous la rétrospective à la Cinémathèque il y a quelques années. Mais la fixation délirante sur le « cas Polanski », empreinte d’une haine fanatique assortie de slogans antisémites particulièrement choquants, véritable basse continue dans l’épisode Adèle Haenel, ne peut qu’interroger. Car dans le même temps, les glissements les plus pervers s’opéraient : un universitaire, médiocre certes mais ayant pignon sur rue, ne craignait pas de comparer Adèle Haenel à Primo Levi. Les victimes auto-proclamées se désignent comme des « survivantes ». Les associations militantes exigent l’imprescriptibilité pour le crime de viol, défini par un autre universitaire comme « génocide individuel ». L’inceste, transgression majeure en effet, aux conséquences le plus souvent ravageuses, est défini par des intellectuels et par certains magistrats biberonnés aux théories douteuses de Muriel Salmona, « experte » en « victimologie traumatique », comme « crime contre l’humanité ». Or cette « shoahtisation », formule qu’Alain Finkielkraut avait également utilisée à propos d’accusations visant de façon posthume Élie Wiesel, mué dès lors en « bourreau », a ceci de grave qu’en convoquant de cette façon indigne la mémoire de la Shoah, elle la banalise, jusqu’à l’effacement. Ce qui dévoile la façon intellectuellement frauduleuse dont #MeToo aborde la question des faits et de la vérité.

#MeToo et ses suites françaises ont fait apparaître en effet un glissement dans la compréhension de la vérité. Ce qui sort de la bouche d’une « victime » (qui n’est même plus une plaignante) qui expose son « traumatisme » devient « vrai » par définition. Comment analysez-vous ce phénomène ?

Je l’analyse en relation avec ce que je viens de souligner, et avec la promotion contemporaine des « identités-victimes ». Leurs « récits » sont source de vérité parce qu’ils sont censés renverser la « domination ». Et quand un président de la République, garant de l’État de droit, croit bon de tweeter : « Victimes, on vous croit ! », reprenant un slogan des Colleuses, ce sont les principes fondamentaux de la justice dans un État démocratique qui sont jetés par-dessus bord, à commencer par la présomption d’innocence. C’est très alarmant.

Que répondriez-vous à des femmes qui vous diraient que #MeToo les a libérées ? Leur a fait du bien ?

Comme psychanalyste, je constate plutôt l’inverse : risque d’enfermement dans la blessure pour celles qui ont subi en effet des atteintes graves. Panique sexuelle pour les autres, hommes et femmes.

Un des épisodes précurseurs de Mai 68, en 1967, était la revendication étudiante de pouvoir circuler librement dans les chambres de cités universitaires entre les zones des garçons et celles des filles. Que s’est-il passé pour que plusieurs décennies plus tard, les femmes soient considérées comme des êtres faibles qu’il faut constamment protéger ?

Peut-être un oubli peureux des exigences, forcément déceptives, de la liberté. J’ajoute que cette posture de faiblesse est en réalité une position d’attaque. C’est le psychanalyste Ferenczi qui parlait de « terrorisme de la souffrance »…

Estimez-vous que notre époque se caractérise par une forme de ressentiment féminin ? Les femmes ont obtenu presque tout ce qu’elles voulaient, et pourtant…

La vigilance féministe est toujours de mise, car rien n’est jamais définitivement acquis. Mais ce ressentiment, comme vous dites, n’est-il pas le signe qu’un mouvement qui se veut total bute toujours sur le fait que ça ne peut pas marcher ? Frustration, et rage vengeresse, alors ?

Et pour finir, pourquoi parler de « mirage » à propos de #MeToo ?

Parce que la promesse d’un paradis féministe est une illusion, dont l’envers grimaçant est un monde de paranoïa sexuelle. Lorsque les suicides de David Hamilton, du chef Taku Sekine, du chorégraphe Liam Scarlett apparaissent comme des victoires du féminisme, on peut s’inquiéter.

  • De Sabine Prokhoris, voir aussi :

Elisabeth Lévy, « Sabine Prokhoris : “Metoo est une section d’assaut”. Entretien avec l’auteur de Le Mirage #Metoo » (Le Cherche-Midi, 2021) », Causeur, 15/10/2021 (article payant ; me demander une copie par mail)

« #MeToo : prenons garde aux Sirènes » (Mezetulle, 16/09/2022)

[Hypogamie féminine] – Un prince charmant sinon rien : pourquoi les féministes sont condamnées à épouser leur chat

Mon dernier article sur le livre de Mona Chollet (« Mona Chollet – Réinventer le célibat »), ainsi que les échanges qu’il a suscités sur mon Facebook m’ont donné l’occasion de réfléchir à nouveau au problème du célibat chez les féministes – au moment où l’actualité est justement saturée de postures féministes « célibattantes » : « Je ne veux plus passer mon temps à éduquer mes compagnons » : pour des femmes, le choix d’un célibat « libérateur » (Le Monde, 24/09/21) ; « Célibataires volontaires : le nouveau militantisme féministe ? » (Sud Ouest, 24/07/21) ; « Quand les femmes hétéros embrassent le célibat volontaire » (Philosophie Magazine, 30/09/21), etc., la liste est encore longue. On peut même citer cet article pas si mauvais de Elle (comme quoi) : « Amour : mais où sont passés les hommes ? » car il soulève, bien que rapidement, le problème central, d’un point de vue sociologique, que je vais aborder ici :

« DU CÔTÉ DES FEMMES (52 % DE LA POPULATION), RÉUSSITE RIME SOUVENT AVEC CÉLIBAT. »

« Plus une femme est diplômée, plus elle risque de rester seule ». Professeur à l’ESCP, Elisabeth Tissier-Desbordes pointe la différence des célibats masculin et féminin. « Schématiquement, entre 30 et 50 ans, la majorité des femmes célibataires appartiennent aux catégories supérieures, tandis que les hommes célibataires sont plutôt ouvriers ou employés. » Pourquoi ? « Parce que, traditionnellement, la mobilité sociale matrimoniale des femmes est supérieure à celle des hommes », remarque Pascal Lardellier, professeur, spécialiste de la communication, ce qui signifie qu’elles se marient souvent légèrement au-dessus de leur condition, alors qu’elles sont peu nombreuses en haut de l’échelle sociale à se lier avec un homme moins nanti. « Un couple formé d’une femme très diplômée et d’un homme qui a le niveau bac reste une transgression », souligne Pascal Lardellier. »

L’hypogamie féminine, l’effet pervers des victoires féministes

Mais une « transgression » pour qui, sinon pour la femme elle-même ? Car dans les faits, ce n’est pas « la société », mais bien la féministe elle-même qui ne peut accepter de revoir ses prétentions à la baisse (je dis « la féministe » plutôt que « la femme », car les premières sont beaucoup plus exigeantes et intransigeantes que les secondes). C’est en tout cas un état de fait que le féminisme conquérant avait omis d’anticiper, un de plus (voir « Les féministes et le coup d’après »).

Alors que l’hypergamie (le fait pour une femme d’épouser un homme de condition légèrement à très supérieure à la sienne) est une donnée anthropologique quasiment inscrite dans ses gènes – une donnée évolutionnaire en tout cas –, les féministes n’avaient pas prévu qu’en diplômant quasiment 100% des femmes et en leur offrant à grande échelle un statut salarial et économique égal, voire supérieur à celui des hommes, cette égalité leur fermerait petit à petit toute possibilité de pratiquer l’hypergamie.

C’est sans doute aussi une des raisons qui expliquent que les féministes soient toujours aussi haineuses vis-à-vis des hommes cadres ou chefs d’entreprise : non seulement elles veulent empocher leurs salaires et occuper leurs postes et leurs statuts qu’elles jalousent férocement, mais surtout, elles ne leur pardonnent pas de ne plus les épouser. Car quand il en a la possibilité, l’homme cadre supérieur choisit en général d’épouser une femme jeune avec qui faire des enfants et ce, quel que soit son âge à lui – plutôt qu’une virago carriériste de plus de 35 ans, surtout si cette dernière est en prime féministe, anti-maternité et lectrice de Mona Chollet.

Les femmes de carrière hétérosexuelles se voient donc confrontées au problème de l’hypogamie : accepter un partenaire moins diplômé, moins argenté, moins ambitieux ou d’une classe sociale inférieure à la leur. Les hommes ont pratiqué sans se plaindre l’hypogamie depuis l’aube de l’humanité – parce que cela leur offrait en échange l’accès au corps d’une femme jeune et fertile afin de fonder un foyer dont les ressources dépendraient en grande partie d’eux (mais pas seulement, car les femmes ont toujours travaillé ou contribué à leur manière aux ressources économique de la famille). C’était donc tout autant une affaire de ressources que d’envie et de nécessité de vivre en couple et de se reproduire. Et même une affaire de sentiments, car n’en déplaise aux nouvelles féministes, l’amour et l’attirance réciproques ont toujours existé entre les sexes – ce qu’il semble quasiment réac aujourd’hui de rappeler.

La « libération de la femme » a donc fait voler en éclats ce schéma éprouvé. Aujourd’hui, les hommes n’ont plus aucune utilité économique ni même reproductive ; les femmes ayant désormais tous les pouvoirs – contrairement à ce qu’elles prétendent à grands renforts de torrents de larmes antipatriarcales. Et comme leur pouvoir ne se partage pas (surtout pas avec des hommes, leurs ennemis de classe), il ne leur reste que leurs yeux pour pleurer sur leur solitude et leur célibat.

Le refus féministe de l’hypogamie

Sans en avoir conscience, le livre rempli à ras bord de récriminations de Mona Chollet est l’illustration même de cet état de fait. Mona a cru toute sa vie au Prince charmant ; Mona s’imagine, comme toutes ses coreligionnaires, que les relations de couple peuvent être passées à la moulinette de son féminisme punitif, rééducatif et déconstructionniste ; que les hommes n’attendent que des viragos toutes puissantes viennent leur apprendre à marcher droit et à se mettre à genoux pour leur manger dans le creux de la main. Autant dire qu’elles se préparent des lendemains encore plus désenchantés.

Les hommes n’en peuvent déjà plus de leurs exigences et de leurs névroses. À part quelques écolos masochistes et déconstruits prêts à ramper pour recevoir des coups de fouet (« Oh oui, frappe-moi encore, Sandrine, une teigne avec une trique, ça m’exciiite »), les hommes sont de plus en plus nombreux à jeter l’éponge et se détourner de cette comédie ; de plus en plus nombreux à rejoindre les mouvements dits « masculinistes », laissant de plus en plus de femmes et de féministes se demander « mais où sont passés les hommes ? ».

En réalité, les féministes n’aiment pas le changement

Autant il a toujours été évident pour un homme de suer sang et eau en échange d’une femme et d’un foyer, y compris pour une femme de condition inférieure à la sienne, autant l’inverse est impensable. Élevées comme des princesses Disney attendant leur prince charmant (aujourd’hui en version déconstruite, c’est-à-dire en pièces détachées qu’elles monteront elles-mêmes selon leurs exigences), les féministes du XXIe siècle ne peuvent envisager un seul instant d’abaisser leurs prétentions, ni même, aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd’hui, d’épouser des hommes qui ne gagnent pas suffisamment, même – surtout – si elles-mêmes gagnent très bien leur vie.

Cette étude récente « The Ideal Husband? A Man in Possession of a Good Income » (05/10/21) montre ainsi que rien n’a changé : plus un homme gagne de l’argent et plus il aura de chances de se marier, ce qui n’est pas vrai pour les femmes. Donc malgré l’ascension économique des femmes, celles-ci continuent de sélectionner prioritairement les hommes en fonction de leurs revenus :

« Comme l’illustre la figure 1, pour les hommes, à mesure que le revenu augmente, la probabilité de mariage augmente également, de sorte que les hommes de la catégorie de revenu la plus élevée sont environ 57 points de pourcentage plus susceptibles de se marier que les hommes de la catégorie de revenu la plus faible. Il n’en est pas de même pour les femmes. Les hommes à revenu élevé sont plus susceptibles que les hommes à faible revenu de se marier, tandis que le revenu n’est pas lié au mariage pour les femmes. Étant donné que le mariage implique un choix de la part de l’homme et de la femme, ces résultats suggèrent que les femmes sont plus susceptibles de choisir d’épouser des hommes ayant de bonnes perspectives financières, tandis que les perspectives financières d’une femme sont moins importantes pour les hommes lors du choix d’une partenaire. »

Et : « Non seulement les hommes à revenu élevé sont plus susceptibles de se marier, mais ils sont également plus susceptibles de rester mariés. La figure 2 montre la probabilité de divorce pour ceux qui ont été mariés au moins une fois et révèle que pour les hommes, la probabilité de divorce diminue à mesure que le revenu augmente, de sorte que les hommes de la catégorie de revenu la plus élevée sont environ 37 points de pourcentage moins susceptibles de divorcer que les hommes. dans la catégorie de revenu la plus faible. (…) Pour les hommes, les résultats suggèrent que les femmes sont plus susceptibles de divorcer des hommes à faible revenu que des hommes à revenu élevé. »

De même « les hommes à revenu élevé sont également plus susceptibles d’être « recyclés » sur le marché matrimonial. La figure 3 montre que si les hommes à revenu élevé divorcent, ils sont plus susceptibles de se remarier que les hommes à faible revenu. Les hommes du groupe de revenu le plus élevé sont environ 38 points de pourcentage plus susceptibles de se remarier que les hommes du groupe de revenu le plus faible. Encore une fois, cela suggère que les hommes à revenu élevé sont considérés comme des partenaires à long terme par les femmes. »

Ensuite, « non seulement les hommes à revenu élevé sont plus susceptibles de se marier que les autres hommes, mais mon étude a également révélé qu’ils sont plus susceptibles de devenir pères biologiques : les résultats montrent que les hommes à revenu élevé sont plus susceptibles d’avoir des enfants que les hommes à faible revenu. (…) L’inverse est vrai pour les femmes : les femmes à revenu élevé sont plus susceptibles de ne pas avoir d’enfants. »

Autrement dit, les femmes resteront hypergames aussi longtemps qu’elles le pourront, l’hypogamie ne semblant pas près d’être inscrite dans leurs gènes. Raison donc pour laquelle, devant la pénurie actuelle de princes charmants argentés – ou plus argentés qu’elles – prêts qui plus est à les supporter, les féministes militent en chœur pour le célibat. « L’égalité » n’a strictement aucun sens pour elles : aujourd’hui qu’elles ont accédé à l’égalité de statut, de salaires et de diplômes, il reste inenvisageable pour une féministe militante d’inverser les rôles et d’imiter les hommes jusqu’au bout, c’est-à-dire en entretenant sans ronchonner un conjoint qui s’occuperait de ses enfants ou resterait un peu trop longtemps au chômage ou pire, sans revenus ou avec de trop faibles revenus.

Je parle ici surtout des féministes qui militent pour le célibat, car dans la vraie vie, beaucoup de vraies femmes acceptent cette situation et sont les principales pourvoyeuses de revenus dans leurs foyers (j’en connais bien des exemples autour de moi, y compris dans des foyers solides qui durent depuis très longtemps). Les féministes ont simplement (et comme toujours) plus de mal que les autres avec la réalité et avec les conséquences de leur militantisme. Le célibat n’a donc pas fini de leur tendre les bras.

De l’hypergamie à l’homogamie puis à l’hypogamie et au célibat, ou comment les féministes descendent l’escalier de la conjugalité

En règle générale, comme expliqué dans cet article du Figaro qui s’appuie sur les derniers chiffres de l’Insee en France (« Le mariage favorise-t-il encore la promotion sociale ? », 21/09/21), c’est la règle de l’homogamie qui préside à la plupart des unions :

« Si les féministes ont tout lieu de se féliciter de la fin de l’« hypergamie féminine » dont pouvait se prévaloir le « deuxième sexe », comme l’appelait Simone de Beauvoir, les sites de rencontre numériques – il en existe des milliers en France – contribuent paradoxalement à renforcer l’homogamie des mariages. Ces sites ouvrent à l’infini les possibilités de faire connaissance entre partenaires de toutes origines, géographiques, sociales et culturelles. Or les critères de sélectivité renforçant l’homogamie la plus décomplexée reviennent au grand galop. La vieille loi, « qui se ressemble (socialement) s’assemble », perdure plus que jamais avec le numérique. » (…) « Les affinités culturelles, les pratiques langagières, photographiques, mais aussi les codes de séduction, différenciés selon les milieux sociaux, favorisent les contacts et les appariements entre personnes socialement proches ».

Les sociologues de l’article n’ont pas évoqué l’hypothèse de l’hypogamie féminine, car celle-ci n’existe pas encore et a bien peu de chances de voir le jour. Les féministes se réjouiraient à les entendre de « la fin de l’hypergamie féminine », alors que dans les faits, ce n’est pas tellement ce que l’on constate. On voit plutôt en ce moment les féministes pleurer à chaudes larmes sur l’hétérosexualité et sur leur célibat en essayant de se convaincre qu’il est leur choix – ce qui ne trompe évidemment pas grand monde. La fin de l’hypergamie et la difficulté croissante pour elles d’accéder ne serait-ce qu’à l’homogamie est en réalité un piège qui se referme chaque jour définitivement un peu plus sur elles.

Du refus de l’hypergamie à la vénalité assumée

La vénalité féministe s’affiche au grand jour à travers les récentes jérémiades de Lucile Quillet dans son livre au titre on ne peut plus évocateur : Le prix à payer. Ce que le couple hétéro coûte aux femmes (octobre 2021). Voici donc encore une féministe qui s’en prend à l’hétérosexualité, mais sous un angle (un prétexte) financier cette fois. Elle incarne parfaitement les femmes dont je parle dans cet article ; des féministes qui ne savent que calculer, recalculer, re-recalculer, toujours, tout le temps, qui n’envisagent désormais un homme que comme une source de dépenses ou qui confondent histoire de couple et bilan comptable. Ceci est également à mettre en lien avec le refus de l’hypogamie : alors que les femmes d’aujourd’hui gagnent plus facilement leur vie que les hommes, pour ces calculatrices, avec leur mentalité mesquine et narcissique, il est hors de question qu’il y ait la moindre redistribution au sein du couple. Le titre de l’article s’applique donc parfaitement à elles : épousez votre chat, les filles, vous aurez le plaisir d’être riche uniquement pour payer ses croquettes et changer sa litière et ça, c’est un vrai projet de couple, délivré qui plus est de l’hétérosexualité. Qu’est-ce que vous faites encore sur le marché amoureux ?

« Ma cassette, ma cassette ! »

Il ne reste donc aux femmes de carrière « célibataires et sans enfant par choix » (uh uh ! ) qu’à s’enorgueillir d’être plus riches que les hommes déclassés dont elles ne veulent pas, voire même des hommes bien classés qui eux, ne veulent pas d’elles (la vraie réalité de leur problème et leur tabou ultime et inavouable) : « Les femmes célibataires sans enfant s’enrichissent davantage que les hommes » (Slate, 3/09/2022). Un démenti cinglant, au passage, à leur habituelle pleurnicherie sur les écarts salariaux (« Ouiiinn, les femmes gagnent moins que les hommes ! »). Mais comme la cohérence n’est jamais ce qui étouffe la féministe…

En 2022, les médias regorgent encore de témoignages en mode méthode Coué (« Je suis seule et malheureuse comme une pierre mais je vais dire que je suis heureuse parce qu’il le faut bien – et puis, si ça me permet de vendre des livres au passage, c’est toujours ça de pris ») mais où, derrière la vitrine alléchante (« Suis libre, je fais ce que je veux ! », cf. Marie Kock, Vieille Fille, Paris, 2022), pointe une réalité beaucoup plus amère. Il n’existe en effet aucune possibilité pour une femme seule d’acheter sur Paris et proche banlieue, sinon à manger des pâtes seule entre ses quatre murs pendant 25 ans – ce qui veut dire qu’une part importante de son salaire partira toute sa vie dans des loyers exorbitants. Et surtout que l’attendra une fin de vie garantie seule, l’aspect certainement le plus triste à mes yeux et la raison pour laquelle je dénonce vigoureusement ces campagnes pro-célibat à vie menées auprès des jeunes femmes :

Le militantisme pour le célibat et celui pour l’euthanasie répondent à une même logique : celle de la déréliction

Car que reste-t-il à une personne isolée et sans descendance, une fois l’âge venu, sinon à contrôler et gérer elle-même sa disparition ? Si l’euthanasie est un désir aujourd’hui si prégnant dans nos sociétés, c’est à mon sens parce qu’il est la seule garantie pour une personne seule de ne pas croupir oubliée dans un coin ou de ne pas rendre son dernier souffle dans des conditions incontrôlables, seule chez elle.

Le combat pour l’euthanasie est incarné en France par Line Renaud notamment, une femme charmante et admirable qui a toute mon admiration, mais qui n’en est pas moins très représentative du candidat type à l’euthanasie : célibataire et sans descendance. C’est en constatant cela que je me suis fait ces réflexions et que je me suis demandé si une personne âgée, entourée de ses enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants, militerait aussi activement pour sa propre euthanasie, ce dont je doute fortement – je n’en connais pas d’exemple autour de moi, en tout cas.

La fin sordide de Shulamith Firestone (1945-2012), féministe radicale fanatique, célibataire sans enfant ayant fustigé toute sa vie les liens familiaux pour mourir de faim à 67 ans, recluse dans son appartement new-yorkais, illustre jusqu’à la caricature le plaidoyer féministe pour l’euthanasie. Eh bien, ce n’est ni de cette vie, ni de cette mort que nous voulons pour nos filles !

[à suivre…)

  • Voir aussi :

. Sur le même sujet :

« Les femmes sont victimes du manque d’hommes riches », par Philippe Gouillou (septembre 2019) :

http://www.evopsy.com/abstracts/mariage-hypergamie-pauvrete.html

Mona Chollet – Réinventer le célibat

Un sentiment étrange m’a envahie à la découverte, non pas du dernier opus de Mona Chollet – une énième tartine féministo-paranoïaque entièrement téléphonée, j’y reviens un peu plus bas –, mais de ses déclarations et attitudes corporelles lors de la promotion de cet ouvrage sur les plateaux TV et radio. Je l’ai observée dans La Grande Librairie (22/09/21), si hésitante et balbutiante, si mal à l’aise et peu sûre d’elle qu’elle semblait presque chancelante dans ses convictions. Serait-elle sur le point de réaliser qu’elle raconte un peu n’importe quoi dans son dernier livre, voire même que le féminisme l’égare depuis des décennies ? Serait-on à la veille d’assister à un aggiornamento ou à la chute des écailles qu’elle a sur les yeux ? Même si c’est sans doute trop espérer, c’est tout le bien que je lui souhaite.

Je me dis que ce n’est pas impossible, puisque après tout, elle est bien revenue à la raison sur la question de la pénalisation des clients de la prostitution. Après avoir été abolitionniste en 2014, elle écrit dans Réinventer l’amour « regrette[r] amèrement d’avoir pris position, il y a quelques années, pour la pénalisation des clients de la prostitution, en croyant aux promesses qui étaient alors faites de garantir la sécurité physique et matérielle des personnes prostituées » (Wikipedia). Elle reconnait donc avoir été naïve et déconnectée du réel (le propre des féministes puritaines abolitionnistes) ; il ne lui resterait alors qu’à appliquer le même regard critique au reste de ses affirmations et croyances. Je pense qu’elle en est capable car j’ai ressenti, derrière son inconfort évident en interview, une authentique quête de sincérité et d’honnêteté – on n’est peut-être pas loin d’une véritable dissonance cognitive, en somme.

J’ai vu ensuite que Stéphane Édouard, qui l’a observée pour sa part sur les images d’une interview dans les locaux de France Inter (« L’escroquerie intellectuelle Mona Chollet »), a eu un ressenti tout à fait comparable au mien. Lui aussi a été frappé par la platitude et le vide de ses réponses, de même que par son regard toujours fuyant (un peu comme si elle était en panique intérieure) et son attitude auto-dépréciative (par le fait notamment qu’elle pose son sac à main à même le sol – je ne connaissais pas cette interprétation, je ferai désormais attention où je pose le mien, du coup 😉).

Réinventer le célibat, euh, l’amour

J’avoue ne pas avoir encore trouvé le courage (ou le masochisme) de m’infliger son dernier ouvrage, Réinventer l’amour, ne sachant que trop ce qu’elle y raconte (« Ouin ouin, les pôôvres Fâââmes sont victiiiimes des méchants zhoms, mécétroporrible, quand cela cessera-t-il, bouhouhou, la domination masculine, mécétropinjuste, han han, ouin ouin, le patriarcââât… »). Mathieu Bock-Côté a heureusement chroniqué l’ouvrage à plusieurs reprises dans le Figaro (« L’amour au “Wokistan” ») et sur CNews avec des mots parfaitement justes comme toujours, dénonçant le projet de déconstruction de l’homme, de l’hétérosexualité et des relations amoureuses qu’il défend – le leit-motiv des néoféministes depuis plusieurs années.

La difficulté des relations H/F est sans conteste le sujet le plus rebattu depuis les origines de l’humanité ; elle est au cœur de toute sa production artistique et littéraire – et même de mon propre site, puisque mon concept d’éromachie concerne précisément la lutte amoureuse entre les sexes, un combat immémorial envisagé non pas sous le regard borgne de la complainte victimaire féministe, mais sous l’angle d’une « bonne guerre » des sexes parfaitement assumée, car mettant en œuvre les principes de « l’équilibre asymétrique des désirs » d’une part et des lois biologiques du dimorphisme sexuel de l’autre (et de bien d’autres choses encore que je développerai au fil du temps).

Le problème avec les féministes est que, confrontées au moindre pépin, leur solution, en tant que gauchistes radicales post-marxistes, est toujours, après avoir répandu des bassines de larmes, de tout « déconstruire » (en clair : tout détruire). Écoutons Mélanie Gourarier sur l’hétérosexualité, justement : « L’hétérosexualité comme système, ça n’est pas que le couple. L’hétérosexualité, c’est aussi un processus historique qui s’inscrit dans les structures à grande échelle que sont les institutions familiales, économiques et plus largement politiques. C’est à celles-ci qu’il faut s’en prendre en premier lieu ». S’en prendre aux institutions familiales, économiques, politiques, rien que ça, donc. Sans oublier de détruire (enfin, « déconstruire ») les hommes, bien sûr, ajouteraient Alice Coffin et Sandrine Rousseau, exactement sur la même ligne.

Je n’ai pas eu envie de lire le livre, le placard sur la couverture suffisant pour que j’aie ma dose dès la première phrase : « Nombre de femmes et d’hommes qui cherchent l’épanouissement amoureux ensemble se retrouvent très démunis face au troisième protagoniste qui s’invite dans leur salon ou dans leur lit : le patriarcat. » Soupir… J’ai souvent expliqué ce que je pensais de ce fameux « patriarcat » imaginaire qui vient traquer les pauvresses féministes jusqu’au fond de leur lit. Au moins, grâce au livre de Mona Chollet, les néo-féministes perpétuellement écrabouillées par la domination masculine auront désormais un petit viatique pour y faire face : place donc aux comprimés contre les renards, pardon, contre le « patriarcat », développés spécialement pour elles par le docteur Mona.

Dans La Grande Librairie (à 23’), Mona Chollet présente justement ses propositions pour « actualiser l’hétérosexualité ». J’ai du mal à croire que de telles idées creuses puissent être réellement prises au sérieux, mais admettons. Elle propose ainsi le « refus de cohabiter » (comme si c’était nouveau) qu’elle rebaptise pour l’occasion la « décohabitation » ; le « refus de se faire petite pour se protéger » consistant à « ne pas prendre une voix de bébé pour parler à un homme » (là je me frotte quand même un peu les oreilles) ; ainsi que « davantage d’audace et moins de complaisance dans les postures neurasthéniques ». Et là je rigole franchement, car dans le genre neurasthénique, la boss ultime, c’est quand même la féministe, je ne sais pas à qui ça aurait encore pu échapper.

Une (bonne) surprise pour moi est tout de même de la voir produire un livre entier sur l’hétérosexualité sans nous bassiner avec les délices et merveilles de l’amour lesbien (la dernière chose, moi qui suis une hétéro enchantée de l’être, que j’aurais envie de tester – que l’on me permette de ne pas être cliente, merci). Malgré tous ses efforts et son conditionnement mental misandre pluri-décennal, Mona Chollet semble donc ne pouvoir s’y résoudre elle non plus, à son grand désespoir et avec toutes les excuses requises (la vie serait tellement plus simple dans une cauchemardesque Cité des femmes, entre féministes hystérico-dépressives se crêpant le chignon H24, n’est-ce pas). Preuve s’il en était en tout cas que l’ORIENTATION SEXUELLE NE SE COMMANDE PAS (Biologie 1- Idéologie du genre 0).

Ha ha !

Cela ne l’empêche pas pour autant de dire un peu n’importe quoi sur les relations lesbiennes dans une interview au Temps (« Les femmes sont conditionnées à placer l’amour au centre de leur vie »). À la question de la journaliste : « Est-ce à dire que les relations entre femmes sont dépourvues de toute oppression patriarcale ? », elle répond : « Il peut bien sûr y avoir des rapports de domination au sein des couples lesbiens, mais il ne s’agit pas d’une domination structurelle comme la domination masculine », ben voyons ! La domination d’une personne sur une autre n’est pas liée à un fumeux « patriarcat » mais appartient à la psyché humaine la plus profonde. Les violences conjugales lesbiennes, psychologiques notamment, sont aussi fréquentes que dans les couples hétérosexuels, à tel point que cela ne peut même plus être dissimulé (cf. Campagne contre les violences conjugales dans les couples lesbiens).

Je continue la lecture du placard de couverture : « Au cœur de nos comédies romantiques, de nos représentations du couple idéal, est souvent encodée une forme d’infériorité féminine, suggérant que les femmes devraient choisir entre la pleine expression d’elles-mêmes et le bonheur amoureux. »

Mais n’importe quoi… comme si l’expression de soi et le bonheur amoureux s’excluaient mutuellement. Je ne me suis jamais autant exprimée qu’en étant amoureuse – y compris sous emprise amoureuse, un des états les plus addictifs que je connaisse. Je ne me suis jamais sentie inférieure aux hommes dans mes histoires d’amour, j’ai au contraire toujours joué de la différence sexuelle ; j’ai souffert, j’ai laissé des plumes, certes, et alors ? Les hommes aussi en laissent, des plumes. Je me suis remise debout et j’ai continué à aimer les hommes, d’autres hommes, d’autres catégories d’hommes – parce qu’il n’y a pas que le bad boy ou le piège à femmes dans la vie.

Mona Chollet ne comprend pas le désir hétérosexuel, comme on pouvait s’y attendre ; elle ne comprend pas ses zones grises, ses ambivalences, ses désirs réciproques de soumission et de domination, pas plus que l’addiction et le plaisir recherchés comme une drogue lors de l’emprise amoureuse ; elle ne sait y coller que sa grille déprimante et réductrice de « domination patriarcale » et de vie de couple contractualisée, aussi sexy qu’un registre de bilans comptables . À propos de l’emprise, comme l’écrit Mathieu Bock-Côté : « Il n’y a pas, et ne peut pas avoir de pureté du désir, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de sincérité de l’amour. Celui qui saurait exactement pourquoi il désire une femme ne la désirerait probablement plus. L’inverse est aussi vrai. La transparence absolue des sentiments annonce leur inévitable assèchement. »

Le problème des féministes est aussi que comme elles ont souvent une très haute d’image d’elles-mêmes (liée à leur élévation sociale objective dans nos sociétés hyper-féminisées), elles sont plus encore que d’habitude attirées uniquement par ce qui brille : situation sociale, prestige, hauts revenus, physique avantageux (si possible tout à la fois). Or le marché amoureux n’est pas toujours à leur avantage et la vieille hypergamie (le fait pour une femme de se marier avec un homme plus élevé socialement qu’elle) de moins en moins possible à mettre en œuvre (voir plus bas). Réduites à pratiquer malgré elles l’hypogamie (épouser un homme moins diplômé et qu’elles devront parfois entretenir), leur colère et leur dépit n’en sont que décuplés ; leur célibat aussi.

Suite du placard : « Le conditionnement social subi par chacun, qui persuade les hommes que tout leur est dû, tout en valorisant chez les femmes l’abnégation et le dévouement, et en minant leur confiance en elles, produit des déséquilibres de pouvoir qui peuvent culminer en violences physiques et psychologiques ».

Cette manière d’établir un continuum entre le couple hétérosexuel et les violences conjugales dénote l’habituelle incompréhension féministe des mécanismes de la violence en général et des violences conjugales en particulier. Rapporter les violences conjugales au « patriarcat » ou à une « construction de genre » relève de l’idéologie pure. Comme évoqué dans cet article,  « Sébastien Dupont : Distinguer les violences faites aux femmes pour mieux les combattre », les violences conjugales ont des racines (alcoolisme, troubles de la personnalité, port d’armes, etc…) que les féministes sont incapables d’envisager.  

Cette paranoïa anti-homme ne laisse tout de même pas de me frapper. Dans quel cauchemar peuplé de mâles et de phallus effrayants ces féministes évoluent-elles en permanence ? Les mêmes interrogations me sont venues à la lecture de l’échange entre Alain Finkielkraut et Alice Coffin dans L’Obs, « Féminisme, patriarcat… On a fait débattre Alice Coffin et Alain Finkielkraut » (29/09/21). Les propos de Coffin ne sont qu’une interminable jérémiade de petite chose fragile et peureuse terrorisée par « la force et la violence masculines » qui s’exerceraient en tous lieux, écrasant systématiquement les pauvres femmes et leur parole : « On ne parle pas de cas individuels quand on parle de patriarcat, parce que toute la force et la violence du patriarcat, c’est d’être un système, une matrice qui infuse, qui infiltre chaque pan de nos existences », débite-t-elle. Personnellement, je n’ai pas peur de frayer avec les hommes et je n’ai jamais eu besoin d’une Miss Coffin pour me défendre ou me protéger de leurs assauts.

Poursuivons. « Même l’attitude que chacun est poussé à adopter à l’égard de l’amour, les femmes apprenant à le (sur ?) valoriser et les hommes à lui refuser une place centrale dans leur vie, prépare des relations qui ne peuvent qu’être malheureuses ».

Que de clichés, que de méconnaissance des relations humaines. On se croirait dans les colonnes d’un magazine féminin pour adolescentes, une impression récurrente également dans les déclarations de Mona Chollet, comme dans son entretien avec le Temps : « Les hommes, affirme-t-elle, ne pensent pas à leur rendre la pareille, car ils n’ont jamais appris que leur rôle était de se soucier du bien-être émotionnel de l’autre. S’interroger sur eux-mêmes, discuter de leurs relations, rechercher une meilleure communication et un mieux-être psychologique, cela ne fait pas partie de leur éducation, même s’il y a plein d’hommes très bien intentionnés, qui ne se ressentent pas du tout comme machistes ». Vraiment, on se croirait dans les colonnes d’OK Magazine dans les années 80 (« Ouin ouin, mon petit copain n’est pas à mon écoute, comment puis-je faire pour le rééduquer, han ? ».

« Sur le plan sexuel, enfin, les fantasmes masculins continuent de saturer l’espace du désir : comment les femmes peuvent-elles retrouver un regard et une voix ? »

Quel misérabilisme et quel déni de la réalité. Comme si les femmes étaient incapables d’exprimer leurs désirs et leurs fantasmes ; je ne comprends décidément pas sur quelle planète elle vit.

Extrait des notes de bas de page.

Un simple coup d’œil, même partiel, à la bibliographie permet encore de se rendre compte que les seules sources sont une fois de plus la presse de gauche (Télérama,…), les magazines féminins un peu bêbêtes et comme toujours, la floppée de radicales féministes américaines toutes plus caricaturales les unes que les autres (« bell hooks », Adrienne Rich, …).

Adrienne Rich, donc. Une des « têtes pensantes » des néo-féministes et de Mona Chollet.

La table des matières est un défilé de complaintes sur le thème d’une infériorité féminine et d’une supériorité masculine absolues, permanentes, mais totalement fantasmées. C’est également ce qui ressort de toutes ses interviews. Mona Chollet semble être restée une petite fille aussi naïve que niaise, enfermée dans des représentations de type Bisounours des rapports amoureux, ce qui est tout de même assez surprenant en 2021. On a l’impression qu’elle n’a jamais rien vécu ou qu’elle sort directement du Couvent des Oiseaux. Cette insondable candeur de béotienne et cette vision de la réalité directement sortie des contes de fées pourraient être mises en parallèle avec les lamentations victimaires de Manon Garcia (voir Manon Garcia ou la philosophie soumise à l’idéologie victimaire). À 15’ de La Grande Librairie, on découvre, tout aussi stupéfait, qu’elle vivait jusque-là « dans l’illusion que la domination et la violence étaient absente des relations sentimentales » et vraiment, on se pince.

« Sorcières » et le refus de la maternité

Comme je l’avais compris en chroniquant son ouvrage Sorcières, celui-ci n’était dans les faits qu’une tortueuse justification, basée sur la mythologie féministe sur les sorcières, de son refus personnel d’être mère – cette vieille obsession féministe faussement libératrice. Comme elle l’explique à Libération, l’objet de Sorcières était bien « l’envie d’écrire sur le choix de ne pas avoir d’enfants ».

Dans un article au titre aussi ridicule que putassier (« Le modèle actuel de l’amour hétéro ne fonctionne que lorsque les femmes ferment leur gueule »), Libération revient justement sur Sorcières et sur ses libertés prises avec la vérité historique : « Sorcières véhicule une idée de la sorcellerie qui n’est pas celle des historiens et historiennes d’aujourd’hui », témoigne ainsi Thibaut Maus de Rolley, professeur à l’University College London. Pour lui, l’essayiste « reprend pour l’essentiel les thèses des féministes radicales américaines des années 1970 (Barbara Ehrenreich, Deirdre English, Mary Daly), très largement diffusées dans le grand public anglo-saxon, qui ont contribué à faire de la sorcière une icône des combats féministes et une figure clé des mouvements new age et néopaïens ». Or, ces thèses ont été fortement contestées depuis, comme l’explique aussi le doctorant Maxime Gelly-Perbellini : « Mona Chollet se concentre sur la dynamique de domination hommes-femmes. Le système de répression est complexe et correspond à d’autres phénomènes qui se cumulent. » Pour le dire autrement, le profil type des victimes des persécutions donné par Mona Chollet – des sages-femmes, des guérisseuses, des femmes sexuellement affranchies, rebelles à l’ordre patriarcal – ne correspondrait pas toujours à ce que l’on trouve dans les archives des procès. » C’est exactement ce que j’écrivais dans mon article.

Réinventer le célibat

Donc, de la même manière que Sorcières parlait de manière détournée de ses propres choix de vie, Réinventer l’amour serait tout aussi autobiographique. Dans L’Obs, « Comment Mona Chollet est devenue une icône du féminisme », Mona Chollet explique que chacun de ses livres a pour point de départ sa situation personnelle et que pour Réinventer l’amour, c’était le fait de « se retrouver de nouveau dans la situation de femme célibataire et d’être confrontée au regard social sur cela pour la première fois depuis très longtemps ». Dans le livre, elle explique ainsi « avoir laissé mourir une relation en plaçant la considération pour elle-même au premier plan ».

Voilà qui pourrait donc éclairer d’un jour intéressant l’inconfort visible de Mona sur les plateaux TV. Ne serait-elle pas tout simplement en train d’expérimenter le MUR, le fameux mur, ce moment où les reines féministes, habituées à faire valser les hommes autour d’elles comme des marionnettes, se prennent soudain la réalité en pleine poire ? Aujourd’hui seule et sans enfants par choix, il va lui falloir assumer le célibat subi, la cinquantaine approchant à grands pas et les cheveux gris par choix également (pour mieux incarner la fausse sorcière). Et avec les critères qui sont les siens pour retrouver l’âme sœur, on lui souhaite sincèrement bonne chance.

Car quel est le profil du prince charmant version Mona Chollet ? Un « homme déconstruit », pardi ! Improbable hybride mi-homme mi-serpillière et re mi-homme derrière, cet énergumène post-moderne (dont Ivan Jablonka pourrait faire figure d’étalon universitaire) grenouillerait aux dernières nouvelles dans les bas-fonds de l’écologie et du gauchisme – chez les éco-féministes très précisément, comme chacun l’a découvert récemment. Sinon, si les rares exemplaires existants sont déjà par trop déconstruits, il lui restera à se le fabriquer elle-même, soit en démontant psychologiquement un homme (la grande spécialité des féministes « rééducatrices »), soit en remettant des piles à son vibromasseur – car autant aller directement à l’essentiel, ce qui, avec le mâle sur pattes déconstruit, n’est pas gagné d’avance.

Dans son interview au Temps, l’engagement amoureux d’une femme envers un homme est selon elle « une des formes d’exploitation de la force et de l’énergie des femmes » et le pendant du travail domestique invisibilisé. Quelle complainte pitoyable… Comme si tous les comportements amoureux d’une femme revenaient à faire le ménage… Les féministes ne savent décidément se voir qu’en éternelles Cendrillon condamnées à récurer la cuisine ad vitam, jusqu’à ce que leur prince déconstruit vienne les enlever sur son cheval blanc.

Bref. Mona entreprend de nous expliquer l’amour hétérosexuel au moment même où elle se ramasse un râteau mémorable sur le sujet. On a beau savoir que ce sont les cordonniers les plus mal chaussés, mais tout de même… Bien sûr, la pirouette consiste ici à tout mettre sur le dos du « patriarcat », mais la ficelle est assez grosse. Evidemment, tout le monde peut se faire larguer ou voir échouer sa relation, même les non-féministes, même moi ; tout le monde ou presque passe par des déboires amoureux au cours de sa vie. Mais la différence entre moi et Chollet, par exemple, c’est que je n’ai jamais envisagé de détruire les relations hétérosexuelles dans le monde entier pour me venger. Au contraire, j’ai positivé, je me suis remise en selle et j’ai reconsidéré mes critères de sélection. Exit le coq au milieu de la basse-cour, le piège à filles ou le bad boy (parfois les trois en même temps, ce fameux « pervers narcissique » qui fait tant saliver les féministes) et bienvenue aux hommes intelligents avec du cœur et avec qui on peut discuter (et ce n’est pas ce qui manque).

Sur le sujet des PN, justement, Mona Chollet nous la fait à l’envers. Elle écrit que ceux qu’on appelle les « pervers narcissiques » seraient les « enfants sains du patriarcat », alors qu’ils sont aujourd’hui précisément les enfants éclopés du féminisme élevés tant bien que mal par une mère toute-puissante mais dépassée (et au final impuissante), car ayant détruit la figure paternelle. J’en ai parlé dans cet article et c’est mon hypothèse : l’immaturité psychique incurable de beaucoup d’hommes et de femmes d’aujourd’hui aurait beaucoup à voir avec le fait qu’ils n’ont jamais eu de modèle parental sain pour se construire. L’absence de père ou de figure incarnant la fonction masculine paternelle serait ainsi à mettre en lien avec l’individualisme croissant chez les deux sexes, de même qu’avec les troubles mentaux des féministes. Enfants sans pères et sans repères, n’ayant jamais eu de modèle de couple structuré et aimant sous les yeux, ils errent ensuite dans la vie comme des âmes en peine. Je suis convaincue que c’est la destruction par les féministes d’un « patriarcat sain », celui que Paula Wright appelle par exemple le « patriarcat réformé », qui fait entre autres le lit des « pervers narcissiques ».

L’amour hétérosexuel dans les faits

La vision féministe radicale des rapports amoureux est toujours en porte-à-faux avec la réalité. Quand Mona Chollet déroule par exemple ce lieu commun : « A l’opposé, il existe aussi une forte censure sociale pour celles qui voudraient avoir des relations sexuelles sans s’investir émotionnellement. C’est le fameux stigmate de la salope », elle semble ignorer que les statistiques ne vont pas toutes dans son sens, loin s’en faut. Des études ont ainsi montré que plus une femme a de partenaires sexuels, plus son indice de dépression est grand et plus elle prend d’antidépresseurs (cette étude et celle-ci). Selon les statistiques, on apprend aussi que les femmes, contrairement aux hommes, ne rêvent pas d’avoir des dizaines de partenaires sexuels dans leur vie : la plupart en souhaitent seulement deux ! (voir l’article d’Aristide Renou).

« Il est paradoxal et contradictoire qu’il y ait de l’amour entre les hommes et les femmes », s’étonne-t-elle dans La Grande Librairie (14’), ce qui en dit long sur son profond mal-être et probablement son insondable désespoir. Elle égrène ensuite les lamentations féministes habituelles, à grand coups de clichés tout droit sortis des magazines féminins ; des affirmations qu’elle semble tenir pour acceptées par tous et qu’elle combat à ce titre dans son livre :

« L’intelligence fait fuir les hommes ». C’est faux, évidemment, puisque ça dépend de quels hommes on parle. Il est vrai que certains hommes se sentent rassurés par des femmes plus bêtes qu’eux (il faut reconnaître à leur décharge que certaines femmes intelligentes peuvent aussi être particulièrement casse-couilles – là je parle de moi, mais c’est pire encore quand la femme est féministe) ; mais il en reste suffisamment à qui l’intelligence convient parfaitement et pour lesquels elle est même un critère de choix. Raison pour laquelle les couples formés par des partenaires aux QI élevés sont statistiquement plus stables et divorcent moins que les autres (voir plus bas).

« Une femme doit être plus petite qu’un homme pour pouvoir être aimée ». Voici une manière particulièrement sournoise de retourner les choses dans le sens de la complainte féministe. La réalité est évidemment que celui qui a la plus grosse pression et l’interdiction quasi absolue de ne pas avoir la taille idoine, c’est l’homme. On sait tous ce que vivent les hommes de moins d’1,80m sur les sites de rencontre ; pourquoi Mona Chollet ne prend-elle pas clairement leur défense au lieu de victimiser encore les femmes et ne pas reconnaître que ce sont ses copines féministes qui sont les premières à cracher sur les hommes qui n’ont pas les critères physiques du Pince charmant ?

« Une femme doit être mince pour ne pas prendre trop de place dans le couple ». Ben voyons… L’accusation de grossophobie est surtout le moyen d’encourager les jeunes femmes à ruiner leur santé pour toute leur vie en entretenant un surpoids installé beaucoup trop tôt.

« Une femme ne doit pas réussir aussi bien qu’un homme ». C’est un cliché éculé qui ne correspond plus du tout à la réalité (voir plus bas). Mona semble ignorer que beaucoup d’hommes aujourd’hui recherchent au contraire une femme qui non seulement gagne de l’argent, mais en gagne plus qu’eux, puisqu’ils ont été dépossédés de tout rôle symbolique de subsistance. Beaucoup se sont de ce fait adaptés et n’ont plus de scrupules à se faire entretenir par leur femme – d’une certaine manière, les féministes ont ce qu’elles méritent.

En conclusion de son interview à La Grande Libraire, elle pense que « l’amour n’existe pas », « parce que le réel ne lui convient pas », elle qui « ne voudrait que des happy end »… Elle préfère finalement « se passer d’amour que de vivre un amour trop inégal » ; une défense du célibat et de la solitude – délirante mais très à la mode chez les féministes ; une manière surtout de reconnaître que l’affaire est pliée et qu’elles peuvent épouser leur chat. Je trouve cela infiniment triste et cela ne fait que renforcer mon dégoût pour l’idéologie féministe qui les a menées là.

L’hypergamie en 2021 et les conséquences du féminisme sur la nuptialité et la pauvreté

Des études et des articles se font l’écho régulièrement des paradoxes du mariage et de l’influence négative du féminisme sur la nuptialité (par exemple Le mariage, nouveau marqueur des inégalités sociales (Les Échos, 6/08/19) ou cette traduction réente d’un article anglais par Aristide Renou, « Féminisme et classes sociales », 29/09/21) qui donne ces chiffres pour les États-Unis : « Les personnes les moins diplômées sont moins nombreuses à être mariées et ces mariages ont deux fois moins de chances de durer. Environ 65 % des femmes les moins diplômées étaient mariées en 1990, mais seulement 50 % en 2017. (…) Près de 80 % des mariages homme-femme dans lesquels les femmes ont fait des études supérieures devraient durer jusqu’à la mort, alors que cela ne devrait être le cas que de 40 % de ceux impliquant des femmes sans diplômes universitaires. »

Une enquête récente publiée dans le Figaro, « Le mariage favorise-t-il encore la promotion sociale ? » (21/09/21) confirme ces chiffres, en France, cette fois : « Alors que 80 % des ouvrières de 35 à 44 ans et 71 % des femmes cadres vivaient en couple en 1990, la proportion s’est inversée à partir des années 2010 (respectivement 68 % d’ouvrières mariées ou pacsées et 73 % pour les cadres), souligne l’Insee dans son étude « Couples et familles ». (…) Le débat fait rage aux États-Unis sur le thème : « Le déclin du mariage chez les classes moyennes accroît les inégalités », tout comme le phénomène des familles monoparentales concerne exclusivement les catégories les moins favorisées. »

Dans l’hypergamie – le fait de se marier avec quelqu’un d’un milieu social « supérieur », « les démographes ont longtemps vu un schéma éprouvé de promotion sociale » : « Les femmes cherchaient, dans le choix de leur conjoint, à assurer une plus forte sécurité pour leurs enfants ; les hommes préféraient épouser des femmes dont la position sociale ne leur faisait pas concurrence au sein du foyer » (on parle alors d’hypogamie), résume l’économiste-géographe Laurent Davezies. Et tout en reconnaissant qu’il s’agit d’une vision quelque peu patriarcale, il juge que « l’hypergamie n’a pas que des défauts : elle a constitué, au fil du temps, un mécanisme majeur de redistribution et de cohésion sociale, de « fusion », pourrait-on dire, entre familles de milieux différents ». Or, les choses ne fonctionnent plus ainsi. « La tendance à l’« hypergamie féminine », selon laquelle les femmes se mettent en couple « vers le haut », avec un conjoint d’une classe supérieure à la leur, ne tient plus. Depuis 2000, les femmes sont plus diplômées en moyenne que les hommes. Et même si ces derniers occupent encore des professions plus « élevées » et ont des salaires supérieurs, l’écart en faveur des hommes diminue », explique Milan Bouchet-Valat. »

Il en résulte que sous la pression et les exigences des féministes, l’ascension sociale par le mariage n’est quasiment plus possible pour une jeune femme. Aujourd’hui « l’homogamie » des mariages domine clairement. Chaque classe sociale se marie entre soi, formant des milieux étanches. Sur les sites de rencontres, c’est très clair, où « les critères de sélectivité renforçant l’homogamie la plus décomplexée reviennent au grand galop ». De ce fait, les revenus des couples sont de plus en plus inégaux : « Loin d’être un facteur de réduction des inégalités salariales, comme il a pu l’être durant les Trente Glorieuses, le mariage tend au contraire à les exacerber ».

« Il y a deux raisons à cette « homogamie économique » : malgré les disparités salariales tant décriées entre hommes et femmes, les couples rassemblent de plus en plus des salaires de niveau comparable (l’avocat n’épouse plus sa secrétaire mais une avocate) et la multiplication des familles monoparentales est bien souvent gage de pauvreté. L’étude de l’Insee publiée la semaine dernière rappelle qu’en 2020 le quart des familles (avec enfant(s)) n’avait qu’un parent, que 4 millions d’enfants mineurs vivaient dans des foyers monoparentaux, dont 41 % en dessous du seuil de pauvreté (21 % pour l’ensemble des enfants). En France, comme aux États-Unis, les tendances décennales concordent : plus on dispose de revenus élevés et plus on continue de se marier, avec en outre une quasi-inexistence de familles monoparentales parmi les plus aisés ».

Autrement, dit, le mariage est devenu un marqueur social flagrant : seules les classes sociales supérieures et éduquées sont à même de le faire perdurer et d’offrir à leur progéniture des environnements stables. Inversement les classes sociales défavorisées voient le plus grand nombre de familles instables, de divorces et de mères isolées, accentuant leur pauvreté et leur déclassement social.

Et le féminisme là-dedans ? La lutte acharnée du féminisme contre la famille, la maternité, la paternité et désormais l’hétérosexualité et la masculinité a porté ses fruits mais fait les dégâts les plus considérables dans les milieux défavorisés, déjà pauvres et qui se voient encore plus appauvris. Ce féminisme déconstructiviste d’extrême gauche est définitivement une occupation de petites bourgeoises repues et désoeuvrées qui ont du temps à perdre à lutter contre un patriarcat fantasmatique pendant que dans des foyers explosés toujours plus démunis, des femmes et des enfants isolés vont payer le prix fort de leurs lubies. Pendant que les féministes des classes supérieures sauvent les meubles, du fait de leur éducation, les catégories sociales défavorisées vont appliquer malgré elles leurs préceptes fous, faute d’être suffisamment équipées pour surmonter le désastre que cette idéologie installe dans leur quotidien. On ne dit donc pas merci pour leur oeuvre aux Chollet et autres féministes déconstructivistes – car le réel contredit toujours leurs théories.

Suite de cet article :

[à suivre…]

  • Voir aussi :

. Sur Mona Chollet :

Alain Finkielkraut, « Le patriarcat n’existe plus »

Je mets ici le verbatim du passage d’Alain Finkielkraut sur le « patriarcat » (concept auquel je mets systématiquement des guillemets afin de rappeler qu’il s’agit essentiellement d’une chimère néo-féministe), le 15 septembre 2021 sur France Inter :

« Une femme est mariée; elle attend un enfant et le mari ou le compagnon veut le garder ; elle ne veut pas. Eh bien, elle a le dernier mot : ça, ça veut dire que le patriarcat n’existe plus.

D’ailleurs, la preuve, c’est la manière dont on invoque l’ordre patriarcal pour s’attaquer maintenant, non pas pour plus d’égalité, mais pour s’attaquer maintenant aux conquêtes de la civilisation.

On vous explique par exemple, dans le sillage de MeToo, qui instaure des procès hors du tribunal, que la présomption d’innocence est une insulte faîte aux victimes et un vestige de l’ordre patriarcal. La présomption d’innocence, le contradictoire, c’est le fondement de notre droit. Attention à ne pas confondre. »

[à suivre…]

. Sur le même sujet :