Lucrèce Borgia – Entre le vice et la vertu

Lucrèce Borgia, figure de l’ambivalence

Lucrèce Borgia (1480-1519) incarne toujours à son corps défendant le stupre qui sévissait à la cour des Borgia au tournant du XVIsiècle.

Elle était en réalité bien plus vertueuse que ce que les ragots colportaient déjà de son vivant.

A-t-elle inspiré  l’énigmatique tableau de Bartolomeo Veneto ? On ne le sait, même si on aimerait le croire.

Bartolomeo Veneto. Flora (c. 1520). Städelsches Kunstinstitut, Frankfurt. Huile sur toile, 44x 35 cm.

Cette oeuvre pourrait être un portrait idéalisé d’une jeune aristocrate (Lucrèce ou une autre), dépeinte sous les traits de Flora, l’antique déesse italique du printemps.

Flora, déesse et courtisane

Entre chasteté et érotisme, la déesse Flora est, tout comme Lucrèce, une figure ambivalente. Elle symbolise le renouveau de la nature et l’éternel féminin (elle partage certains traits avec Vénus), mais aussi la licence érotique.

Dans la mythologie, Flora était une courtisane et les Floralies (les fêtes qui lui étaient dédiées dans l’antiquité romaine), mettant les prostituées à l’honneur, étaient le théâtre de débauches.

Dans l’art, elle acquiert la notoriété au tout début du XVIsiècle grâce à Léonard de Vinci en personne. Si sa Flora n’est pas parvenue jusqu’à nous, pas plus que ses dessins préparatoires, elle pourrait tout de même nous avoir été transmise par ses élèves. Ainsi, cette représentation d’un peintre anonyme (est-ce Giovanni Pedrini ? Bernardino Luini ?) passe-t-elle pour être une imitation de la Flora de Leonardo.

Flora, d’après Léonard de Vinci, début du XVIe siècle (Collection privée).

Cette Flora séductrice, cherchant du regard le spectateur, anticipe les portraits des courtisanes vénitiennes qui se feront peindre en Flora – par Titien notamment, puis par Veneto. Son bouquet de fleurs symbolise l’offrande (et le plaisir) de son corps. Mais, toujours ambivalente, elle semble du même geste l’offrir et le retenir. Déesse ou femme réelle, on ne sait trop non plus la situer.

Pour leur culture, leur talent ou leur position sociale, certaines courtisanes de la Renaissance italienne jouissaient d’un véritable prestige. Célébrées comme héroïnes, inspiratrices ou femmes d’exception, elle constituaient en quelque sorte une « aristocratie de la prostitution »,

La « Lucrèce » de Veneto, avec son corps dénudé, son regard de côté et son petit bouquet présenté de manière coquine s’inscrit dans la tradition de la Flora Meretrix (= prostituée) de Leonardo. Cependant, la couronne de myrte sur son voile pourrait aussi évoquer la déesse du printemps ou bien la vertu du mariage. Énigmatique à jamais…

. François Villon, Ballade des dames du temps jadis (c. 1460) 

Au XVsiècle, le poète français François Villon célébrait lui aussi la beauté de la courtisane Flora :

« Dites-moi, où et en quel pays
Est Flora, la belle romaine,
Alcibiade et Thaïs
Qui fut sa cousine germaine ?
La nymphe Écho*, qui parle quand même on fait du bruit
Au-dessus d’une rivière ou d’un étang
Et eut une beauté surhumaine ?
Mais où sont les neiges d’antan ? »

*Sur la nymphe Écho, voir aussi « Hylas et les Nymphes ».

. Self Portrait – Hommage à Lucrèce (2017)

Mon petit clin d’oeil personnel à Lucrèce 😉

Autoportrait en Lucrèce ou Flora (Aquarelle, décembre 2017) – Work in progress

. L’Écho des palais morts (2018)

La « légende noire » de Lucrèce Borgia, popularisée principalement par Victor Hugo, donne lieu ici à une mélopée sensuelle dont la mise en images transpose les amours maléfiques de Lucrezia dans la Venise intemporelle du film Nosferatu à Venise (avec Klaus Kinski dans une scène érotique).

– Lucrezia Borgia (maquette, 2007). Musique : Jonathan Capdevielle ; Paroles et voix françaises : Jean-Patrick Capdevielle.
– Nosferatu à Venise, film de Mario Caiano (1988) avec Klaus Kinski.
– Filippo Rossato, Eromachie. Giochi di lotta e d’amore (sculpture, 2007)
Iconographie et montage : Lucia
[plus sur cette vidéo] 

. Tentacles of Love ad Death (2016)

Cette précédente mise en images de la même composition musicale recourait déjà à une iconographie allant explorer les zones obscures de l’érotisme.

  • Flora, Zéphyr et les Floralia

On pourra encore retrouver Flora, son amant Zéphyr et une évocation des Floralia dans l’illustration de ces deux extraits du « Langage oublié » de Gérard Manset (2003) :

[Les légendes des tableaux utilisés dans ces deux montages vidéo sont à retrouver ici et ici].

2 réponses sur “Lucrèce Borgia – Entre le vice et la vertu”

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