[Homme blanc à abattre] – Les sorcières en renfort

Les néoféministes, jamais à court de recyclages et de soupes périmées sorties de leurs chaudrons rouillés, nous resservent en continu ce brouet réchauffé des années 70 : « Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas pu brûler, ouin ouin ouin ».

Paris, 2017. Féministes anarchistes du « Witch Bloc ».

Ces féministes patinent tellement comme des hamsters dans leurs boucles spatio-temporelles qu’elles n’ont toujours pas remarqué que les nouveaux inquisiteurs qui allument aujourd’hui la totalité des bûchers médiatiques… ce sont elles, toujours elles ! Sans parler de leurs appels répétés à l’éradication des hommes, uniquement coupables d’être des hommes : 

Lyon, septembre 2020. Bûcher prend un circonflexe, bande d’incultes !

Mona Chollet et le battage féministe sur les sorcières

Le livre de Mona Chollet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes (Paris, 2018), nous valant depuis quatre ans une déferlante médiatique de mythologie féministe sur les sorcières, j’ai pensé qu’il était temps de regarder d’un peu plus près les dessous de ce discours – d’autant que l’ouvrage nous est présenté par France Culture, Le Monde, Libération et tous leurs relais gauchisto-féministes 2.0 comme un ouvrage sérieux prenant ses sources dans l’histoire des temps modernes.

Il n’en est rien, évidemment – comme son titre pouvait déjà le laisser présager –, puisqu’il ne s’agit que d’un énième manifeste anticapitaliste écoféministe d’extrême gauche. Comme l’écrit Isabelle Marlier dans Causeur (« Pour lutter contre le patriarcat, devenez lesbienne », janvier 2020), son livre défend surtout une « thèse téléologique (les chasses aux sorcières de la Renaissance sont des crimes de masse misogynes visant à exclure les femmes du travail salarié en vue de l’avènement du capitalisme) » qui ne tient pas la route un instant, pour peu que l’on se penche sur les travaux de véritables historiens.

Car l’ouvrage n’est rien moins que scientifique. Les sources bibliographiques, dans la première partie qui se veut historique, ignorent les spécialistes français du sujet (Robert Mandrou, Robert Muchembled, Jean-Patrice Boudet…), pour ne faire la part belle qu’aux auteurs féministes (Silvia Federici, Mary Daly…) ou à Guy Bechtel (journaliste non universitaire). Les autres chapitres ne tirent leurs références que de la presse féminine, des médias de gauche et des pires féministes radicales américaines des années 70-80 (Susan Faludi, Gloria Steinem, Adrienne Rich…) ou françaises contemporaines, indigénistes de surcroît (Françoise Vergès, Christiane Delphy… – lesquelles se contentent comme toujours de plagier servilement leurs maîtresses à penser américaines d’il y a presque 50 ans). On a donc vu mieux pour nous parler de l’histoire des campagnes au XVIIe siècle dans l’Europe du nord protestante ! Le survol de la table des matières ne fait qu’appuyer ce constat : il s’agit essentiellement de littérature de magazine féminin du type MadMoiZelle ou Grazia et plus que tout, de militantisme politique d’extrême gauche. Que le livre soit continuellement encensé comme un ouvrage d’histoire sur France Culture ou même recensé comme s’il était sérieux par la Revue d’Histoire Critique en dit long sur le niveau d’emprise du féminisme idéologique dans les milieux culturels et intellectuels (et sur le reflux d’un véritable travail historique).

Il faut rappeler tout de même que Mona Chollet n’est pas une historienne mais une journaliste très marquée à gauche qui officie au Monde Diplomatique et une militante féministe très active. Caroline Valentin nous apprenait dans cet article, « Les ambiguïtés d’Elisabeth Badinter» ou la rhétorique intellectuelle des islamo-gauchistes », que Mona Chollet, non contente de publier sur le site des Indigènes de la République, s’attaquait aussi à Elizabeth Badinter et à Fausse route, son ouvrage de référence sur les dérives du néoféminisme – ce qui nous situe un peu le personnage. On comprend d’emblée à quel râtelier elle va manger et pourquoi on risque fort de la voir partir en croisade contre ce qu’on appelle désormais le « blantriarcat » … Ce qui ne manque évidemment pas de se produire.

Dans Sorcières, Mona Chollet met donc sur le même plan le vieillissement des femmes dans les pays riches d’aujourd’hui, les « féminicides » (mot qui ne veut rien dire) et les bûchers d’il y a 400 ans. Comme si la mode « silver » (porter ses cheveux gris sans les teindre passé la cinquantaine) avait quelque chose à voir avec les grandes peurs du tournant du XVIIe siècle…

Lio en mode silver (2016) ou quand le ouin ouin féministe voit des sorcières partout (surtout chez les grandes bourgeoises).

La misogynie… mais bien sûr…

À la suite des féministes radicales sus-citées, Mona Chollet surinterprète donc la figure de la sorcière en voyant dans les victimes des bûchers « des femmes non subordonnées à un homme mais autonomes et émancipées des schémas habituels ». Il est vrai que si certaines sorcières étaient parfois célibataires, veuves ou âgées, cet archétype semble dans les faits davantage participer de la mythologie féministe qu’autre chose (nous verrons plus bas ce qu’il en est réellement). Le lien avec les « féminicides » est également l’habituelle manipulation féministe pour servir la complainte victimaire. Elle analyse ensuite à sa manière le fait que ces femmes étaient parfois guérisseuses ; nous verrons aussi ce qu’il en est, ainsi que de la question des infanticides et du refus de la maternité. De plus, en présentant les bûchers comme un complot des hommes contre les femmes, Mona Chollet oublie non seulement que beaucoup d’hommes ont aussi été condamnés, mais que les femmes ont toujours fait partie des dénonciatrices, en particulier d’autres femmes.

Mona Chollet ramène notamment les chasses aux sorcières des époques passées à un phénomène de misogynie qui se serait développé à la suite de la « querelle des femmes » – ce qui n’est encore que fantasme féministe. La « querelle des femmes » ne désigne pas tant la « misogynie systémique » (qui obsède nos féministes) que la prise en compte du statut de la femme et de l’égalité entre les sexes en Occident depuis le XVe siècle (et même avant), ainsi que la démarche intellectuelle visant à les corriger. Ces questionnements et ces polémiques démontrent surtout en creux le souci des femmes dans l’histoire de nos sociétés : « Des études récentes menées par la Siefar ont montré que, dès le XVe siècle, des acteurs de la haute société s’engagent à défendre l’égalité entre les hommes et les femmes, comme on le voit par exemple avec Christine de Pizan dans La Cité des dames, en 1405 ». Ces débats en faveur des femmes, portés tout autant par des hommes, se poursuivront sans discontinuer aux siècles suivants, jusqu’aux luttes féministes du XXe siècle. Il est donc malhonnête de ne parler à cet égard que de misogynie et de patriarcat tout-puissant quand c’est exactement l’inverse qui s’affiche. On attend d’ailleurs toujours que nos féministes indigénistes nous présentent les avancées de la « querelle des femmes » au sein de leur islam bien aimé…

Les fausses assertions de Mona Chollet

Il se trouve que la presque totalité des sources d’époque (notamment les actes des procès) ont été brûlées au XVIIe siècle, ce qui rend toujours très difficile d’expliquer (et de chiffrer) dans son intégralité le phénomène des bûchers. Les féministes s’engouffrent donc facilement dans ces lacunes de la documentation pour imposer leur logique victimaire, leurs extrapolations chiffrées et leurs explications misandres écrites à l’avance. Faire de tous les martyrs des bûchers passés les pendants des féministes toutes puissantes d’aujourd’hui est tellement outré que cela mérite un débunkage en règle.

À partir d’une vidéo de France Culture reprise par Positivr avec ce titre ridicule de propagande, « La sorcière, une femme rebelle victime du patriarcat » (mais bien sûr…), où Mona Chollet déroule son prêche victimaire bien rodé, je vais reprendre les différents points qu’elle évoque et sur lesquels elle dit à peu près n’importe quoi – ce qui n’est pas pour étonner quand on sait que les féministes ont habituellement un rapport très distendu avec l’objectivité et la recherche de la vérité (on pourra aussi se reporter à leur enfumage sur l’écart salarial ou les mâles tueurs par exemple).

Mona Chollet y égrène les approximations et les contre-vérités. Elle commence par ce raccourci grossier : « Traiter une femme de sorcière, c’est la condamner à mort ». Toutes les femmes traitées un jour de sorcières n’ont pas fini sur un bûcher, loin s’en faut, y compris au plus fort des persécutions. Et on ne parle pas du XXIe siècle…  Elle présente ensuite la sorcière comme une « rebelle victime du patriarcat », ce qui est ridicule : la vérité historique nous apprend au contraire que si les bûchers ont cessé, c’est justement grâce à ce qu’elle appelle le « patriarcat » : c’est-à-dire l’autorité de l’Église, des juges et surtout de Colbert et du roi Louis XIV. La réalité, c’est que ce sont le « patriarcat » et l’autorité centrale qui ont sauvé les « sorcières » ; autant de faits impossibles à envisager pour celles qui ont fait profession de leur statut de victimes imaginaires.

La récupération idéologique et politique de la sorcière au XXe siècle

Comme l’écrit Maurice Caveing dans « La fin des bûchers de sorcellerie : une révolution mentale », la sorcellerie est « le thème inépuisable de toute une littérature romancée, fantastique, voire érotique ou para-psychiatrique, qui sollicite chez le lecteur un intérêt fait de curiosité irrationnelle ». Il évoque également le « lyrisme romantico-révolutionnaire de Michelet [qui] dépeignait dans la sorcière l’incarnation d’une paysannerie aliénée, opprimée et misérable, dans la possédée la victime innocente du religieux suborneur et satanique », etc.

Le rôle de Michelet

Cette vision fantasmatique de la sorcière reprise par Mona Chollet pour en faire une « icône féministe ultime » se fonde en effet sur une mystification qui remonte à Jules Michelet, l’historien falsificateur de la fin du XIXe siècle. Dans La Sorcière (1862), ouvrage féministe avant l’heure qu’il a voulu comme une « hymne à la femme, bienfaisante et victime », il présente déjà toute femme comme essentiellement bonne, essentiellement victime, et fait arbitrairement de la sorcière, dans le but de réhabiliter son image, tout à la fois une révoltée et une victime. Mais Michelet est surtout viscéralement anti-catholique, car il fait porter le chapeau des chasses aux sorcières à l’Église catholique – alors que celles-ci étaient menées par des tribunaux non pas ecclésiastiques mais laïcs. Il les fait même remonter jusqu’au Moyen Âge en inventant éhontément les « millions de morts de l’Inquisition ». Il ne faisait pas ici travail d’historien mais d’idéologue afin de noircir l’Église et de construire la vision sombre et fantasmatique du Moyen Âge – époque où on ne brûlait pourtant pas de sorcières. Du pain béni pour les féministes depuis un siècle et demie, donc… (et une preuve supplémentaire que les femmes n’ont pas attendu les Suffragettes hystériques pour être défendues).

La sorcière « icône féministe » et la mythologie féministe de la sorcière

La première féministe à exhumer l’histoire des sorcières et à revendiquer elle-même ce titre a été l’Américaine Matilda Joslyn Gage (1826-1898). Dans Femme, Église, État (1893) elle propose une lecture féministe de la chasse aux sorcières en suggérant de remplacer le mot « sorcière » par le mot « femme » pour mieux se rendre compte de l’étendue du phénomène : « Quand, au lieu de « sorcières », on choisit de lire « femmes », on gagne une meilleure compréhension des cruautés infligées par l’Église à cette portion de l’humanité », écrit-elle. On voit tout de suite l’habituel tour de passe-passe féministe et la classique manipulation sexiste sur fond de généralisation victimaire.

La falsification féministe prolonge de nouveau l’oeuvre de Michelet lorsqu’au début du XXe siècle l’anthropologue pseudo-scientifique Margaret Murray soutient dans The Witch-Cult in Western Europe (1926) « que les assemblées décrites par les accusées relateraient des rites réels et que la sorcellerie serait une religion très ancienne, un culte préchrétien de la fertilité que les juges réduisaient à une perversion diabolique. Margaret Murray s’inspirait en cela des thèses émises dans Le Rameau d’or (1911) de Sir James Frazer. Si presque tous les historiens de la sorcellerie s’accordent aujourd’hui sur le fait que les travaux de Murray sont non scientifiques et fondés sur une manipulation volontaire des documents, ils eurent à l’époque une large diffusion puisque ce fut à Murray que fut confiée la rédaction de l’article « Witchcraft » de l’Encyclopædia Britannica » (d’après Wikipedia).

Mona Chollet recycle simplement en français les élucubrations de la féministe radicale Mary Daly, lorsque celle-ci écrivait : « Les féministes comprirent rapidement que des centaines de milliers de femmes n’avaient pas pu être massacrées et soumises aux plus cruelles tortures sans avoir menacé la structure du pouvoir. Elles réalisèrent aussi qu’une telle guerre contre les femmes, menée sur une période de plus de deux siècles, était un tournant dans l’histoire des femmes en Europe, le « péché originel » du processus d’avilissement social subi par les femmes avec l’avènement du capitalisme. Il fallait revisiter ce phénomène si l’on voulait comprendre la misogynie qui imprègne toujours les pratiques institutionnelles et les relations hommes-femmes. » La misogynie systémique, les chiffres farfelus, le discours néo-marxiste, la lutte des classes devenue lutte des sexes, etc., il ne manquait déjà rien – en 1978, donc.

L’historienne Alison Rowlands, spécialiste des chasses aux sorcières, l’écrit sans détour : « Les interprétations féministes les plus radicales de la chasse aux sorcières ont émergé dans un contexte d’activisme politique féministe hors de la sphère académique, et étaient par conséquent polémiques et historiquement imprécis. [Les historiens] critiquent le présupposé des féministes radicales selon lequel les chasses aux sorcières étaient des “chasses aux femmes”, la sur-dépendance de leurs analyses au manuel de démonologie Le marteau des sorcières (Malleus Maleficarum), leur réticence à travailler sur les archives des procès de sorcières, et leur usage anhistorique des termes “misogynie” et “patriarcat” qui minimise la spécificité historique de la culture et de la société de la Renaissance » (Source : Wikipedia). On ne saurait mieux dire.

Ce que disent vraiment les dates et les statistiques

On sait parfaitement aujourd’hui que les affaires de sorcellerie ne concernent pas tant le Moyen Âge que l’époque moderne – principalement entre 1560 et 1630, après une première vague moins mortelle de 1480 à 1520. Le contexte général est donc plutôt celui des guerres de religion en Europe et de l’affaiblissement de l’Église catholique.

Combien de morts exactement ? Nul ne le sait. On n’a que des estimations, qui plus est fort variables d’un auteur à l’autre. On propose 40 000 exécutions (Ronald Hutton, 1999), parfois 50 000 (Anne Barstow, 1995), parfois 60 000 (Brian Levack, 1993), mais toujours sans preuves, puisqu’on ne dispose d’aucun registre pour l’ensemble des procès – dont le nombre lui-même reste inconnu (Levack parle de 110 000 procès en Europe en cinq siècles). Un chiffre donc toujours très variable, qui diminue fortement avec l’avancée des recherches, mais qui vient au moins corriger les estimations délirantes qui couraient jusque-là, des « plusieurs centaines de milliers » de femmes de Daly au million de morts de Michelet.

80% de femmes, vraiment ?

Sur quoi repose le chiffre d’« environ 80% de femmes, âgées le plus souvent de plus de 40 ans » victimes de la répression ? Ici encore, il faut nuancer selon les époques et les lieux. Pour les XIVe et XVe siècles, dans cet article très complet, « Aux sources du sabbat« , Jean-Patrice Boudet fait état, selon les sources connues actuellement, de 1411 personnes passées en jugement, dont 926 femmes et 485 hommes, avec au moins 527 exécutions « (soit 37,35 %), dont 369 femmes et 148 hommes, soit une proportion de 65,63 % de femmes parmi les accusé(e)s, de 70,02 % parmi les personnes exécutées, de 39,85 % de condamnations à mort pour les femmes et de 28,08 % pour les hommes. » Il ne s’agit toujours que d’estimations, mais elles sont déjà plus contrastées que les 80% à la louche, toutes périodes confondues.

M. Ostorero, dans son article « La sorcellerie dans l’arc alpin (XVe-XVIIsiècle) : un crime féminin ? » (1999), fait remarquer la forte proportion d’hommes parmi les accusés et les condamnés en pays de Vaud alors que c’est l’inverse à Lucerne.  C’est donc surtout le cas de Lucerne qui illustre les statistiques généralisatrices : 91 %  de femmes pour l’ensemble des procès recensés entre 1398 et 1551, menés par des tribunaux laïcs et visant surtout des femmes âgées, veuves ou guérisseuses, alors que dans le pays de Vaud, entre 1430 et 1530, on rencontre une proportion de deux tiers d’hommes contre un tiers de femmes parmi les personnes poursuivies. Ainsi à Vevay, en 1448, 40 hommes sont accusés de sorcellerie contre 25 femmes ; cinq hommes et deux femmes sont brûlés. Comme l’écrit Jean-Patrice Boudet, ce sont les études dans le Dauphiné, où les chasses aux sorcières sont menées par des tribunaux laïcs qui voient, entre 1424 et 1520, 69 % de femmes, dont la plupart sont « pauvres, âgées de plus de 50 ans et isolées familialement : la réalité judiciaire correspond donc dans une certaine mesure au stéréotype de la vetula, même si ce type social dominant n’est pas le seul possible, puisque la sorcière peut très bien être jeune ou appartenir à un lignage enraciné et nombreux ».

Au XIVe siècle, il y a relativement peu de procès et les hommes y sont majoritaires : 127 accusés masculins et 107 féminins : 67 hommes (sans compter les Templiers) contre 50 femmes pendant la première moitié du siècle ; 60 hommes contre 57 femmes pendant la seconde moitié. Les hommes sont plus nombreux car ils pratiquent davantage la magie rituelle que les femmes.

Pour les siècles suivants, Alison Rowlands écrit : « Il existait néanmoins des variations régionales considérables en ce qui concerne le sexe des individus persécutés. (…) Les hommes étaient majoritaires en Islande, en Normandie, en Estonie et en Russie ; hommes et femmes étaient poursuivis sensiblement dans les mêmes proportions en Finlande, en Bourgogne et dans les régions françaises qui dépendaient du Parlement de Paris ». (Alison Rowlands, “Witchcraft and Gender in Early Modern Europe”, in Brian P. Levack (dir), The Oxford Handbook of Witchcraft in Early Modern Europe and Colonial America, 2003)

Ensuite, il y aura possiblement davantage de femmes. Mais « une difficulté pour comprendre les grands procès de sorcellerie au cours des siècles suivants, c’est de décider dans quelle mesure il est permis d’extrapoler à partir de ce qui subsiste », est-il aussi rappelé. On n’a pas non plus de traces écrites des lynchages spontanés, ni de toutes les dénonciations derrières lesquels se trouvaient aussi des femmes, notamment à travers leurs commérages et leurs désirs de vengeance (voir plus bas).

Le Marteau des Sorcières

On a beaucoup monté en épingle la supposée influence misogyne du Marteau des Sorcières, le Malleus Maleficarum, ouvrage  publié à Strasbourg en 1486 par deux inquisiteurs dominicains. L’ouvrage évoque aussi les sorciers et son titre ne doit donc pas pousser aux surinterprétations. Dans les faits, « l’ouvrage fut interdit par l’Église catholique peu après sa parution. Il fut mis à l’Index car contraire aux enseignements catholiques en matière de démonologie. Le pouvoir des démons de causer des catastrophes naturelles, par exemple, est une idée qui fut déclarée fausse lors du premier concile de Braga vers 561 dans le canon 8. » Comme l’explique également cet article, « Le Malleus Maleficarum à la lumière de l’historiographie : un Kulturkampf ?’ (2003), l’importance du Malleus est très surestimée, jamais vraiment questionnée et le recours à cet ouvrage a surtout été utilisé de manière idéologique afin de dénigrer abusivement l’Église catholique. Le rôle de cet ouvrage dans la chasse aux sorcières est en réalité très discuté par les historiens. Bien que très répandu, il ne semble pas à l’origine d’une augmentation immédiate du nombre de procès, même s’il a pu rendre les juges sensibles au crime de sorcellerie.

Le rôle du christianisme et du catholicisme

Mona Chollet évite de trop creuser les chiffres et surtout omet de faire remarquer que si l’inquisition catholique a brûlé une centaine de sorcières (59 en Espagne, 36 en Italie, 4 au Portugal), c’est très peu en comparaison des pays protestants, où l’on en aurait brûlé 25 000 en Allemagne, 300 au Liechtenstein (soit 10% de la population), 4000 en Suisse, 1350 au Danemark et Norvège et 10000 en Pologne et Lituanie.  « La chasse aux sorcières est un phénomène surtout présent dans les pays protestants, et nettement moins dans les pays catholiques », comme le rappelle ce site.

De fait, il saute aux yeux que le « patriarcat » n’est pas responsable ! Pourquoi la « misogynie systémique et patriarcale » décimerait-elle les femmes au nord de l’Europe mais pas au sud ? Ou alors, le sud ne serait pas patriarcalo-misogyne ? Pourquoi ne pas plutôt relever ce qui semble l’évidence, à savoir que plus on se rapproche de la Rome papale et plus les bûchers s’éteignent ? La bonne question à se poser serait donc : pourquoi les pays catholiques avec une Église forte et un pouvoir central puissant sont-ils épargnés par ces massacres ? Pourquoi sera-ce le roi Louis XIV et son ministre Colbert (des catholiques centralisateurs) qui dans les années 1680 mettront en France un terme définitif à ces exactions en se montrant inflexibles ? Quand Mona Chollet écrit dans son livre que « les protestants, malgré leur image de plus grande rationalité, ont traqué les sorcières avec la même ardeur que les catholiques », c’est faux !

Beaucoup d’hommes d’église se sont également illustrés dans la défense de ces malheureuses victimes. Même si en 1318, suite à une tentative d’empoisonnement, le pape rédige une première bulle pour intenter des procès aux sorciers (des hommes) et que 50 ans plus tard, une seconde bulle d’Innocent VIII (Summis desiderantes affectibus, 1484) lance le signal de la chasse aux sorcières, l’Église essaiera par la suite de la désamorcer et d’aider les victimes – mais les catholiques n’avaient pas de pouvoir sur les tribunaux laïcs en pays protestant. Il est à noter que le christianisme grec n’a pour sa part pas été touché par le phénomène. C’est donc bien un phénomène propre à l’Europe occidentale, et encore, du nord, essentiellement.

Dans sa vidéo de France Culture, quand elle parle du Moyen Âge, Mona Chollet oublie aussi de dire que les sorciers mentionnés dans les textes sont prioritairement des hommes et que d’une manière générale, la doctrine de l’Eglise médiévale ne prenait pas au sérieux le commerce avec le diable – au contraire, elle la condamnait comme une superstition païenne (on a des témoignages de ce scepticisme dès l’époque carolingienne). Quand elle dit que « la perception des sorciers devient négative avec le christianisme », c’est donc encore un raccourci très inexact. Elle sait pourtant comme tout le monde que ce n’est pas l’Église mais les tribunaux laïcs qui ont allumé les bûchers de l’époque moderne. Les historiens qui ne sont pas idéologiquement antichrétiens savent que le christianisme n’est pas coupable en soi mais qu’au contraire, son fonds culturel allait justement à l’encontre de la croyance au pouvoir réel du diable et des sorciers. Les deux historiens Ruth Martin et E. W. Monter notent eux aussi que « l’inquisition méditerranéenne, notamment les procès de Venise sont relativement modérés dans leurs condamnations des actes de sorcellerie par rapport aux tribunaux civils ».

Le rôle du « patriarcat »

Dans sa vidéo, Mona Chollet parle des sorcières en général comme de « femmes qui ne sont pas sous le contrôle d’un homme », alors que les pauvres femmes qui ont brûlé étaient plus exactement des femmes isolées ou de « mauvaise réputation » qui n’étaient pas sous la protection d’un homme ou d’une communauté – la protection, pas le contrôle ! On touche ici un point fondamental de l’idéologie féministe victimaire, de sa paranoïa et son déni du réel. Car dans les faits, ce qui pouvait sauver une femme du bûcher, c’était justement la présence d’un homme, ou de ce fameux « patriarcat ». Les féministes bourgeoises du XXIe siècle sont toujours incapables de comprendre cette loi humaine fondamentale : la complémentarité des sexes devient vitale quand les temps sont troublés. Ce qui était le cas dans les campagnes protestantes au tournant du XVIIe siècle. Dans un monde pacifié comme le nôtre, les femmes peuvent vociférer seins nus dans la rue déguisées en prostituées pour réclamer des droits pour leurs clitoris ou leurs poils pubiens, cela fait rire tout le monde. En période de guerre, d’épidémie ou de disette, on n’a pas le temps pour ce genre de facéties, particulièrement au fond des villages de l’époque moderne, aux marges du pouvoir central, où les conditions de vie étaient féroces et le désœuvrement féministe bourgeois impensable. Le problème des féministes est toujours le même : elles ne font de l’histoire qu’en plaquant leur confort matériel et leurs obsessions névrotiques sur des femmes qui avaient bien d’autres chats à fouetter. Rappelons encore que cette société pacifiée sur laquelle elles prospèrent aujourd’hui, nos féministes furibondes ne la doivent qu’au sacrifice de millions de gamins de 20 ans à Verdun par exemple. Les féministes savent fustiger les hommes, mais ce sont toujours les hommes qui se sacrifient et meurent en masse pour elles – jamais le contraire. Leurs vociférations n’en sont que plus indécentes.

On a donc pu constater que « les régions latines (Portugal, Espagne, Sud de la France, Italie) ne semblent pas prendre au sérieux l’éventualité d’une sorcellerie féminine » : sont-elles pour autant moins « patriarcales » ? Dans leur article de 2014, les deux hercheurs de l’université de Chicago établissent que c’est en réalité grâce à un gouvernement central plus fort et disposant de plus de ressources, que les accusations de sorcellerie ont commencé à décroître dans la France du XVIIe siècle : « Les procès de sorcellerie qui s’y sont déroulés sont des symptômes d’un système juridique faible » et « c’est dans des régions où des magistrats s’écartaient des statuts juridiques établis que les sorcières risquaient le plus d’être jugées et condamnées ». Si bien des « sorcières » ont perdu la vie, c’était donc moins à cause de la misogynie que de l’absence d’un système politique centralisé, « patriarcal », comme diraient nos féministes.

Le rôle de Louis XIV

À partir des années 1620 déjà, le Parlement de Paris interdisait aux juridictions provinciales de pratiquer les chasses aux sorcières, ce qui, par le jeu de l’appel, arrachait à la mort la plupart des condamnées des juridictions inférieures. Des magistrats et des policiers ont même été condamnés à mort, sous Louis XIII, pour avoir fait brûler un sorcier.

Mais c’est en 1682 que les bûchers s’éteignent définitivement en France, lorsque le Parlement de Paris décriminalise la sorcellerie. Comme l’écrit Maurice Caveing, « c’est l’Etat louis-quatorzien, centralisateur et autoritaire, ennemi du désordre, de l’excès et du scandale, qui délivre la France de la chasse aux sorcières, vérité historique qui appelle bien des réflexions. »

Robert Muchembled le rappelle également dans Le Roi et la Sorcière, l’Europe des bûchers, XVe – XVIIIe siècle (1993) : « la cause principale de la fin des bûchers est le développement de l’État royal centralisé : le pouvoir accroît son contrôle et met au pas les mouvements populaires, dont les chasses aux sorcières sont un aspect ». Et comme on le verra plus bas, les « mouvements populaires » comptaient aussi leur part de femmes.

En France, le peuple des villes va même parfois se retourner. On voit ainsi, en septembre 1731, les peuples de Marseille, Toulon et Aix descendre dans la rue pour manifester contre les Jésuites et contre le parquet d’Aix qui avaient requis la peine de mort à l’encontre de Catherine Cadière, 22 ans, séduite et accusée par son confesseur, le Père Girard. Les hommes aussi étaient descendus dans la rue ; ce n’était donc pas une « guerre des hommes contre les femmes », comme l’écrit abusivement Mona Chollet.

Il vaudrait mieux, comme le préconisent certains, parler de « procès en sorcellerie » plutôt que de « chasses aux sorcières ». Ces procès en sorcellerie continueront d’ailleurs dans les régions d’Europe où l’État était faible, comme en Allemagne.

Les hommes sur les bûchers

À entendre les féministes, seules les femmes auraient brûlé pour cause de misogynie congénitale dans l’Occident chrétien et comme toujours avec elles, la souffrance des hommes est passée par pertes et profits. Il s’agit là d’un réflexe bien implanté (cf. « La vie d’un homme vaut-elle moins que celle d’une femme ? » (Le Point, juillet 2019). Rappelons simplement quelques faits :

  • On a vu que c’est en 1326, par une bulle pontificale du pape Jean XXII, que commence la persécution des sorciers : « Nous apprenons avec douleur l’iniquité de plusieurs hommes, chrétiens seulement de nom. Ils traitent avec la mort et pactisent avec l’enfer, car ils sacrifient aux démons. »
  • En 1577, le Parlement de Toulouse aurait fait brûler 400 sorciers/hérétiques. Des sorciers, donc.
  • Le « Torquemada lorrain », Nicolas Rémy, se vantait de ses mises à mort qui touchaient à parts égales hommes et femmes. Trois mille exécutions capitales lui sont imputables en trente ans (1576-1606) en Lorraine. Il publiera en 1595 sa Démonolâtrie qui poussera à condamner encore davantage de personnes.
  • Un peu plus tard en Franche-Comté, Boguet provoquera une trentaine de procès en une dizaine d’années. Si l’on ignore le nombre exact de ses victimes, on sait qu’il a réussi à « débarrasser le pays des réfugiés savoyards… ». Pas que des femmes, donc.
  • Conseiller au Parlement de Bordeaux, Lancre déclare en 1609 que « tous les habitants de la Navarre [sont] sorciers » et fait monter prêtres et paroissiens des paroisses pyrénéennes sur le bûcher.
  • La Bretagne, relativement épargnée, semble elle aussi s’être spécialisée dans la recherche des prêtres-sorciers.
  • Quant à la Normandie, si elle a aussi ses prêtres-sorciers, c’est que le diable s’est réfugié dans les couvents ; dans les campagnes, elle s’obstinera à voir bergers-sorciers et empoisonneurs de bestiaux jusqu’au XVIIIe siècle.
  • Il faut savoir encore qu’une loi anglaise de 1677 condamnait au bûcher les météorologues, taxés de sorcellerie. Cette loi qui ne fut pas appliquée à la lettre fut abrogée seulement en 1959.

Les hommes n’ont donc jamais cessé d’être condamnés, ce qui, par ce seul fait, met à mal l’explication purement misogyne des féministes.

Le « pouvoir » des sorcières

Le discours de Mona Chollet concernant l’absence de pouvoir des femmes dans les siècles passés est pétri de contradictions et d’incohérences. Contrairement à ce qu’elle prétend, pendant les siècles du Moyen Âge (un millénaire) et même au-delà, les femmes détenaient un réel pouvoir – comme le révèle en creux la complainte d’Eva Dorlin dans le dossier de l’Obs ; un pouvoir sur la pharmacopée, la santé, le soin, le care, dirait-on aujourd’hui. Les remèdes des guérisseuses se basaient sur une pharmacopée traditionnelle, breuvages, infusions, décoctions de racines et d’herbes : les « simples ». Ce pouvoir posait si peu de problèmes à l’Église et au « patriarcat » qu’il a même été officialisé dans les jardins des monastères à travers la culture des simples et les traités de botanique compilés par les moines. Il est donc faux d’affirmer que les femmes rebouteuses et « bonnes » sorcières étaient sans pouvoir dans la société. Comme l’écrit Isabelle Marlier, « les ‘cunning folks’ avaient au contraire beaucoup de pouvoir, celui qu’on leur prêtait pour, en résumé, affecter la santé et la reproduction des bêtes et des gens. (Remarquons d’ailleurs qu’il est ensuite question de la « trop grande liberté » qu’on reprochait aux sorcières : aucun pouvoir mais trop de liberté ?) Mais ce pouvoir était risqué, forcément, à cause des clients pas satisfaits ou floués. »

Alison Rowlands, l’historienne de la sorcellerie, explique que l’accusation comme quoi le « patriarcat » aurait exécuté les guérisseuses afin de défendre la médecine rationaliste et masculine procède « (…) de mythes sans base factuelle forgés par des auteurs du XIXe et du XXe siècle, que les féministes ont adopté de manière acritique pour servir leurs propres agendas. (…) Les historiens ont réfuté l’idée que les sages-femmes et les guérisseuses aient été les cibles spécifiques d’une chasse aux sorcières orchestrée par les élites. Il arrivait que les sages-femmes soient poursuivies pour sorcellerie, mais elles avaient beaucoup plus de chances de participer à des poursuites pour infanticide que de se voir elles-mêmes accusées d’user de sorcellerie pour tuer les enfants qu’elles avaient mis au monde ».

« Les occupations « magiques » des sorciers et sorcières étaient souvent ambivalentes : guérisseurs, envoûteurs-désenvoûteurs, devins et si les sorcières cherchaient aussi à améliorer le sort de leur entourage, il ne faut pas pour autant en faire des précurseurs ou des martyres de la cause féministe », rappelle également Jean-Patrice Boudet.

La question des infanticides

D’après les sources, les femmes accusées de sorcellerie se voyaient souvent reprocher d’avoir participé à des avortements ou des infanticides. Or l’infanticide est bien LE crime féminin par excellence et ce, de tous temps. Aujourd’hui encore, les chiffres témoignent de la spécificité de ce crime « genré », comme diraient nos apologistes du genre, tout d’un coup beaucoup moins loquaces au vu du sujet : « Infanticides, le profil des meurtriers analysé » (Le Figaro, 25/05/2018). L’étude de l’ONDRP révèle en effet qu’entre 1996 et 2015 « la justice recense 325 condamnations pour homicides sur mineur de moins de 15 ans, dont 70 % prononcées à l’encontre des femmes (227 condamnations). » Sur le sujet, voir aussi : « Pourquoi les meurtres d’enfants sont-ils majoritairement commis par des femmes ? » (20 Minutes, 25/10/17).

Dans l’histoire, il en allait naturellement de même. Robert Munchembled relève qu’aucun autre crime mis à part celui de l’infanticide n’est documenté comme ayant fait majoritairement l’objet de procédures envers des femmes (80 % des inculpations). La récurrence de ce crime a donc toujours suscité la réprobation et les poursuites.

Il est aussi l’occasion de remarquer que le sexe féminin ne recule pas devant le meurtre et n’est pas naturellement dénué de violence, comme le sous-entendent pourtant les féministes. Si les femmes tuent plus d’enfants que d’hommes et davantage que les hommes eux-mêmes, c’est surtout parce que leur force physique ne leur permet pas de s’en prendre aussi directement aux seconds. Le réel est toujours plus prosaïque que les échafaudages idéologiques des féministes.

Les femmes dénonciatrices de sorcières

Dans la vidéo de France Culture, Mona Chollet imagine un « effet disciplinaire sur les femmes d’en voir une autre brûler », ce qui est de nouveau pur fantasme, comme on le va voir. Une chose frappante qui ressort des sources historiques documentées, justement, est la place des femmes dans les dénonciations de sorcières, phénomène naturellement ignoré par les féministes en général, et par Mona Chollet en particulier, comme on pouvait s’y attendre.

L’histoire nous apprend en effet que les dénonciations pour sorcellerie provenaient surtout des campagnes et des milieux très frustes, où le commérage féminin allait forcément bon train. Mona Chollet, tout à son complot misogyne, feint d’ignorer que les femmes se dénoncent souvent entre elles. Qui n’a jamais entendu parler des commères, des jalouses, des mauvaises langues, des affabulatrices, spécialité officiellement bien plus féminine que masculine ? Que les femmes aient fait partie intégrante des dénonciateurs, les exemples qui suivent le montreront. La calomnie féminine est aussi vieille que le monde, surtout dans les temps troublés. On sait que l’arme favorite des femmes, c’est justement le verbe, comme le rappelle cet article de Peggy Sastre, « Différences entre les sexes : Darwin avait raison » : « Les travaux analysés par Archer révèlent un lien avec l’importance accrue que les relations sociales revêtent pour les femmes. À l’adolescence, la dépression est aussi corrélée à l’agression indirecte (ragots, médisances, ostracisation), dont font davantage usage (et sont davantage victimes) les femmes ». Alors, pourquoi ne pas corréler aussi cela aux phénomènes de « chasses aux sorcières » ?

Comme le dit aussi Isabelle Marlier dans un statut Facebook, « il y a une peur très ancienne de la parole des femmes, mais cela n’a rien de misogyne. De l’Antiquité à nos jours, le pouvoir de nuisance des rumeurs et des commérages est historiquement attesté, et sa crainte justifiée : l’agression indirecte, relationnelle, sociale, qui tend à limiter la prise de risques pour l’auteur en maximisant les coûts pour la cible, est typiquement féminine – coucou, Sandra Muller. » Et comme elle le rappelle, « s’il y a eu bien davantage de femmes brûlées que d’hommes durant les chasses aux sorcières, la part des femmes dans les délations menant au bûcher reste à ce jour inconnue, même si dans certaines affaires bien documentées elles constituent les principaux accusateurs ». Ce qui n’est également pas sans susciter un parallèle évident avec #MeToo et #Balance ton porc aujourd’hui.

Il est établi que derrière l’accusation de magie ou de sorcellerie, « les raisons principales qui poussent à la délation sont la peur, la mythomanie, l’appât du gain ou le désir d’assouvir des haines personnelles ». Pourquoi donc seuls les hommes seraient-ils seuls comptables de ces sentiments ? L’appât du gain est un mobile bien documenté, car on sait que les délateurs de « sorciers/sorcières » étaient rétribués au nombre d’inculpés (article Chasse aux sorcières).

Les documents conservés regorgent de femmes délatrices, dont on peut citer quelques exemples, tirés de l’article déjà cité de J-P. Boudet (JPB):

  • « Comme j’étais inquisiteur des hérétiques dans le comté de Forez, un prêtre m’amena une de ses paroissiennes, qui dénonçait plusieurs personnes. (…) Elle les désignait par leurs noms. (…) Mais après avoir conversé avec un des hommes dénoncés par cette femme, homme de bonne réputation et qui m’a paru être de bonne vie, je n’ai rien trouvé à son sujet qui me permît de le présumer capable de telles choses.
  • « (…) en Auvergne (…), une femme, arrêtée pour certains maléfices, accusait plusieurs personnes. Elle racontait, en versant des larmes, qu’elle avait une maîtresse qui souvent la menait en un lieu souterrain, éclairé par des torches et des cierges. Elle y rencontrait une multitude d’hommes et de femmes, rangés autour d’une grande coupe pleine d’eau, au milieu de laquelle était fichée une lance. Le maître de ces gens adjurait Lucifer, par sa barbe et sa puissance, de venir auprès d’eux. Sur cette adjuration, un chat très noir descendait le long de la lance. Avec sa queue, il aspergeait d’eau tous les assistants. Puis il éteignait toutes les lumières. Cela fait, chacun saisissait celui ou celle qui lui tombait sous la main et ils s’accouplaient honteusement. Pour cette raison, ces gens étaient emprisonnés. Tous niaient ces faits, bien que la femme soutînt les avoir vus souvent assemblés en cet endroit (Étienne de Bourbon († vers 1261), Tractatus de diversis materiis predicabilibus (JPB). Comme le remarque l’auteur, dans ces deux cas, « le mécanisme de la dénonciation semble venir de la base » – et des femmes, qui plus est. Mais Étienne de Bourbon ne s’y est pas laissé prendre.
  • Un des rares registres conservés, datant des années 1365-1374, mentionne 47 dénonciations dans les évêchés de Gérone, Urgel, Lérida et Vich, 38 sur des hommes, 9 sur des femmes. 25 dénonciations sur les 47 sont anonymes et 22 nominales. Parmi les 22 dénonciateurs connus, figurent deux femmes (JPB, note 118). Elles sont donc minoritaires, certes, mais pas absentes. Et leur seule présence démonte à lui tout seul le mythe de l’explication misogyne.
  • Au moment du procès de Philippe Calvet au parlement de Paris, en 1442, l’une des femmes qui l’accusent pense « que telz gens avoient acoutusmé de chevaucher le balay le jeudi », etc. (JPB, note 187)
  • Riccola di Puccio, qui brûle à Pérouse en 1347, a été « dénoncée par la maîtresse de l’une de ses clientes » (JPB, note 255).

Mais comme on va le voir, les femmes sont par la suite allées beaucoup plus loin.

Jean-Jacques Lequeu, Nonne (1793)

Quand les femmes sont les bourreaux et les manipulatrices

Pour l’époque moderne, on dispose de davantage de documentation sur les femmes accusatrices, notamment dans les villes et lorsque l’on remonte l’échelle sociale. À l’occasion de quelques procès qui ont défrayé la chronique au XVIIe siècle, on a pu voir des femmes devenir les bourreaux des hommes. Leurs cibles sont les homosexuels, les gens du voyage, les hommes « sorciers » qu’elles font exécuter, mais aussi et surtout, les prêtres. Elles ont poussé la tactique accusatrice jusqu’à de tels excès que ce sont ces affabulations mêmes qui mèneront à l’interdiction définitive des bûchers. Il est inutile de chercher leurs noms dans l’ouvrage de Mona Chollet, elle ne s’aventure pas à les citer.

Les manipulatrices

Les tactiques de manipulation féminines apparaissent en effet au grand jour dans les procès documentés du tournant du XVIIe siècle. Et si l’on avait pu conserver aussi les documents pour les campagnes, il y a fort à parier qu’on y trouverait des choses similaires. Pourquoi seules les femmes des villes et de la haute société seraient-elles accusatrices et pas les autres ? En voici les exemples les plus connus :

  • Paris, 1599 : Marthe Brossier se déclare depuis plus d’un an possédée du malin par les maléfices d’une voisine qu’elle dénonce et qui se retrouve en prison. Le père promène alors sa fille d’église en église pour la faire exorciser en public et quand le spectacle est bien au point, il monte le jouer à Paris. Mais le démon de la jeune femme fait des fautes de latin, parle avec l’accent du bocage normand, accuse les gens à tort et à travers et provoque un tel tumulte que la jeune fille se fait arrêter et renvoyer dans sa campagne avec son père. Celui-ci retente cependant sa chance en Auvergne et même jusqu’à Rome, mais le numéro de Marthe ne prend plus et elle se fait expédier au couvent. L’affaire a toutefois permis de se poser de bonnes questions : Marthe était-elle tourmentée par un démon, malade ou simulatrice ? Les suites de cette affaire seront que le Parlement de Paris tendra à atténuer en appel les condamnations prononcées par les juges locaux.

Les possédées du XVIIe siècle

  • Aix-en-Provence, 1610-1613 : L’une des affaires les plus célèbres du tournant du XVIIe siècle est celle de Madeleine Demandols, jeune nonne qui accuse Gaufridy, son confesseur et amant, de l’avoir ensorcelée et le fait exécuter. On parle à ce sujet des « possessions d’Aix-en-Provence » car il s’agit d’une affaire d’hystérie collective. Demandols est aussitôt imitée jusqu’à Lille et plus d’une religieuse dans le secret de ses rêveries se persuade d’avoir rencontré Gaufridy au sabbat.
  • En 1634 à Loudun, Jeanne des Anges, la prieure des Ursulines, ainsi que la quasi totalité de ses religieuses accusent de sorcellerie un prêtre célèbre, Urbain Grandier. Celui-ci sera condamné le 18 août 1634 et exécuté le même jour devant six mille personnes accourues de toutes les villes voisines. Jeanne s’identifie également à Madeleine Demandols et met en scène une forme de névrose collective. Grandier, que se disputaient toutes les dames de la ville, avait simplement refusé d’être le confesseur des Ursulines ; offense qu’il paiera de sa vie.
  • À Louviers, Madeleine Bavent fait parler d’elle, de 1642 à 1647, dans une affaire très semblable mais heureusement moins dramatique. Elle fait condamner au bûcher le cadavre de feu Mathurin Picard, curé du Mesnil Jourdain, et de son vicaire Thomas Boullé pour sorcellerie, alors qu’elle est elle-même inculpée pour divers méfaits. Elle finira dans les cachots d’Evreux.
  • Il existe encore d’autres affaires : A Nancy, Elizabeth de Ranfaing provoque trois bûchers.
  • Six jeunes femmes de Chinon dénoncent la ville entière et deviennent rapidement suspectes.
  • D’autres cas à Toulouse, en Bourgogne, en Bretagne, font écho à la grande trilogie de la possession baroque, et l’on comprendra l’ampleur des polémiques soulevées (Source : M. Caveing).

Dans la plupart de ces affaires, on retrouve un « prêtre-sorcier » dont l’instrument essentiel serait la luxure. Ces femmes, en général de bonne famille et aisées, se liguaient entre elles pour accuser à tort le même homme. Le tapage que provoquaient ces affaires jusque dans les plus hautes sphères participait d’une forme de « vedettariat » de l’époque en faveur des accusatrices. La supercherie avait bien mieux fonctionné avec les citadines éduquées qu’avec Marthe Brossier, simple paysanne qui n’avait su faire illusion très longtemps. On fera facilement le rapprochement entre ces affaires et les actuelles accusations de type MeToo – toujours le fait de femmes issues des classes supérieures ou de starlettes maîtrisant parfaitement les codes médiatiques et attaquant en bande comme quoi nous ne sommes pas si éloignés du XVIIe siècle (cf. « Festival de connes : le cinéma des féministes« ).

Naissance de la psychiatrie au pied des bûchers

Ces affaires qui se multiplient dans les couvents des villes du XVIIe siècle reflètent une sociologie assez nouvelle pour l’Église catholique de la Contre-Réforme. Les couvents nouvellement créés, où il était à la mode « d’avoir une fille chez les Ursulines » car cela faisait partie du « standing », accueillaient des jeunes filles présentant des troubles divers dont les familles ne savaient que faire, ou qui n’auraient rien eu à faire dans un couvent. Tout était donc en place pour ces crises d’hystérie collective manifestement liées à la frustration sexuelle. C’est justement dans ce contexte que les premiers médecins « psychologues » commenceront à se questionner sur « l’hystérie » – en laissant toutefois trop de côté les tendances naturelles à la simulation, la duplicité ou la fourberie. Ces médecins qui se sont interrogés sur ce que sont les fantasmes, la possession, les visions ou les hallucinations ont tous conclu au désordre mental, rejetant les démons. En 1657, la maladie mentale sera reconnue par décret pontifical.

Quand Mona Chollet résume tout cela dans son livre en écrivant que « les accusations ont longtemps épargné les classes supérieures et, quand elles ont fini par les atteindre à leur tour, les procès se sont rapidement éteints », elle oublie d’expliquer le principal ! Les bûchers se sont surtout éteints quand les stratagèmes de ces femmes ont été par trop visibles…

« De tout cela, conclut-elle un peu plus bas, il paraît difficile de ne pas déduire que les chasses aux sorcières ont été une guerre contre les femmes. » Mais bien sûr…

Les vraies raisons des bûchers – les hypothèses

Si les chasses aux sorcières ne sont pas une « guerre généralisée des hommes contre les femmes », il reste tout de même à en proposer une série d’hypothèses un peu plus valides.

On a déjà pu voir esquissée la diversité des causes, des espaces géographiques, de la sociologie, des périodes : autant de contextes qui interdisent de donner une explication unique et simplificatrice à des événements qui n’ont pas forcément une cause commune et n’obéissent pas aux mêmes déclencheurs.

Parmi les principales raisons avancées, on trouve surtout la peur, le principe du « bouc émissaire » et des lynchages collectifs, le manque d’autorité morale et/ou centrale, les difficiles mutations de l’Église de la Contre-Réforme et des pays protestants dans une période particulièrement difficile (guerres, disettes…) ; tout ceci pouvant peut-être même être théorisé par le biais d’une explication évolutionniste apparue tout récemment, la « mémétique » (voir plus bas).

La peur

Ces phénomènes seraient donc globalement à relier à la peur, une peur du diable devenue délirante à l’époque moderne, qui n’avait que très peu à voir avec la civilisation médiévale – où comme on le voit dans l’iconographie des tympans des églises (ci-dessous), le diable faisait plutôt sourire qu’autre chose. Ses manigances étaient toujours implacablement démontées par les forces du bien et malgré les mises en garde, l’espoir du salut l‘emportait toujours, et de loin.

Saint-Lazare d’Autun. Tympan du Jugement dernier (vers 1130). Le Pèsement des âmes. Malgré toutes ses ruses pour faire pencher la balance de son côté, le diable est toujours mis en échec.

L’épidémie de Peste Noire qui décime l’Europe au XIVe siècle, puis surtout les guerres et l’incertitude touchant les XVe et XVIe siècles on fait redouter la mort ; le désespoir a fait surgir le diable de partout. Cette psychose collective a pu exacerber les anciennes superstitions, tandis que les esprits les plus fragiles en arrivaient à se croire sorciers ou possédés. Une culture de la peur et de la délation (à laquelle les deux sexes ont participé) a pu ainsi se mettre en place. L’essor de la médecine et la stabilisation de la société feront que peurs et maladies s’estomperont, rendant le besoin d’un bouc-émissaire surnaturel caduc. On assiste alors dans le courant du XVIIe siècle à un recul de la peur et à une montée de la raison.

Comme le rappelle Marion Sigaut, les bûchers pourraient être davantage la conséquence de la perte du sentiment religieux plutôt que de son excès : la peur des sorcières pourrait en réalité être liée à la perte de la foi, car « là où Dieu sort, le diable prend la place ».

Le principe du bouc émissaire et les lynchages collectifs

Comme on le sait, « l’immense majorité des « sorciers » ou « sorcières » ont été victimes de lynchages par des villageois qui en ont fait les responsables d’un incendie, d’une maladie ou d’une mauvaise récolte, cela sans aucun procès. » Suivant la théorie de René Girard sur le bouc émissaire, certains, comme Esther Cohen, ont aussi proposé d’établir un lien entre le processus de civilisation et la barbarie, progrès et violence marchant de pair ; les sorcières étant alors un des boucs émissaires de la modernité. Il faut alors ajouter que les sorciers également.

Il suffisait parfois qu’une personne tombe malade, qu’une grange brûle ou qu’une vache meure sans cause apparente, pour que la communauté villageoise désigne un coupable que son comportement ou sa marginalité avaient rendu suspect — souvent un berger (qui vit à l’écart), ou le meunier ; parfois une vieille femme solitaire… Les tribunaux et la centralisation ont fini par mettre un terme à ces comportements, même si dans un premier temps, les villageois ont continué à se faire justice eux-mêmes. Et comme le rappelle M. Caveing : « Si la condamnée a des biens, et l’on soupçonne parfois derrière les dénonciations et les poursuites la croyance à de fabuleuses fortunes, il y a confiscation : une part pour la Justice et une pour la communauté villageoise : le zèle est récompensé. En fait, la sorcellerie prolifère sur la misère, une misère hallucinogène ».

Une sorcellerie rurale et un phénomène des marges

Pierre Chaunu (« Sur la fin des sorciers au XVIIe siècle ») relève « cet essentiel qu’est, en fait, la sorcellerie rurale ». La grande poussée de satanisme de la fin du XVIe siècle correspond en France, à la liquidation des Guerres de Religion (1580-1610). La sorcellerie a été davantage rurale qu’urbaine car l’espace urbain était plus profondément christianisé, plus étroitement contrôlé. Il semblerait aussi qu’avec l’essor de l’imprimerie, un corpus de pensée propre au monde rural et à la culture orale ait fait tout à coup irruption dans l’univers des clercs et de l’écrit, se soit codifiée et de fait, rigidifiée : « L’imprimerie, au XVIe siècle, fige autant qu’elle diffuse ». Ensuite, les auteurs de la seconde moitié du XVIIe siècle « tenteront de contrecarrer les passions répressives des couches inférieures de la population », écrit Pierre Chaunu.

Celui-ci rappelle également que la sorcellerie fleurit sur les marges, qu’elle « pousse plus volontiers sur les bords de la Chrétienté, à l’endroit où une culture regimbe et se pervertit dans une lutte sans espoir, au contact d’une Église presque inévitablement vecteur (…) d’une civilisation supérieure ». Les sorciers sont implantés à la périphérie du monde agricole et il viennent plutôt du dehors, comme le montre encore l’ordonnance de juillet 1682 : « L’exposé des motifs », écrit Robert Mandrou, « fait état curieusement d’une invasion de devins, magiciens et enchanteurs venant des ‘païs étrangers’ ».

Les causes économiques, l’antisémitisme, les enclosures, les querelles de pouvoir

La sorcellerie pousserait également, « pour emprunter au langage marxiste, sur un front de classe, ce qui est particulièrement évident dans le cas des bergers briards (1687-1691) et bas-normands (1692-1694), pour qui ont été conservées d’abondantes procédures ». On a même retrouvé, « très grossièrement, les rythmes de la conjoncture, en gros, décennale, céréalière des prix », écrit P. Chaunu.

On a pu mettre aussi en évidence un transfert du rôle de bouc émissaire des Juifs, ou encore des lépreux, vers les sorciers et sorcières.

Silvia Federici, l’historienne féministe que cite souvent Mona Chollet, met en lien le phénomène des bûchers avec le « mouvement des enclosures », aux XVIe-XVIIe siècles, lorsque des femmes se sont rebellées contre le pouvoir centralisateur qui les aurait privées d’un moyen de subsistance. Cette hypothèse d’ordre économique, « que Federici expose dans une grande confusion du vocabulaire, n’est guère tenable » (cf. cet article de C. Darmangeat)

Comme l’écrit Jean-Patrice Boudet, « actuellement, les historiens tendent à considérer la persécution des sorciers comme un enjeu stratégique entre les puissances laïques et ecclésiastiques et comme ‘un instrument de pouvoir’ ».

La « mémétique »

Il s’agit d’une hypothèse récente issue du darwinisme social et de la psychologie évolutionniste (cf. Peggy Sastre, « Comprendre les chasses aux sorcières grâce au darwinisme culturel »Le Point, 23/01/2020) et qui réinterprète l’hypothèse liée à la peur, elle-même fondée sur les disettes, les tensions socio-économiques et le « petit âge glaciaire » de la période 1550-1660 : « Conceptualisée pour la première fois par Richard Dawkins en 1976 dans son Gène égoïste, la mémétique part du principe que les mèmes sont aux cultures ce que les gènes sont aux espèces vivantes, à savoir les briques premières de leur évolution ».

« En ce qui concerne les chasses aux sorcières, Hofhuis et Boudry (dans cet article publié en juillet 2019 dans Cultural Science Journal) identifient plusieurs mèmes revenant quasi systématiquement au cours de leur histoire : le pacte avec le diable, le sabbat, des capacités contre-nature comme le fait de pouvoir s’élever dans les airs et la torture comme seul moyen d’extirper des aveux », écrit P. Sastre. Or, « plus les temps sont durs, plus votre transgression, peu importe qu’elle soit réelle ou non, sera perçue comme impardonnable et invitera à un châtiment violent. » C’est un peu ce que j’écrivais plus haut à propos des féministes en carton du XXIe siècle qui ont tout le loisir de provoquer et jouer les transgressives d’opérette – sans prendre aucun risque puisque les temps sont pacifiés.

Mais, « comme les gènes, les mèmes sont égoïstes et peuvent très bien être efficaces pour leur viralité tout en étant délétères à leurs hôtes – la société, la culture, la communauté dans lesquelles ils ont proliféré en générant une situation d’« extrémisme cognitif ». D’où le reflux final de ces comportements, une fois la société « vaccinée ».

Et comme ces auteurs le rappellent eux aussi : « En outre, on comptera en moyenne près de 25 % de victimes masculines, avec des variations régionales et temporelles très importantes – aux marges septentrionales et orientales de l’Europe (Islande, Finlande, Estonie, Russie), les « sorcières » chassées furent parfois à 70 % ou même à 95 % des sorciers. Une proportion « substantielle », notent les auteurs, qui « ne correspond pas à l’école de pensée faisant de l’oppression des femmes l’objectif ultime des chasses aux sorcières ».

On voit donc que la recherche est toujours en cours, que nous sommes encore réduits aux hypothèses et qu’il faut donc se garder de toute conclusion hâtive, simpliste, victimaire ou sexiste comme le féminisme en propose à la louche.

Des sorcières de la Renaissance aux vieilles lunes féministes des années 70 

La vieille femme et le « male gaze » : tout et son contraire

Francisco de Goya, Le Temps (Les Vieilles), 1820, Palais des Beaux-Arts de Lille

Dans l’interview de  France Culture, Mona Chollet déclare que « c’étaient aussi les vieilles femmes et beaucoup d’entre elles ont été brûlées à l’époque. La vieille femme, c’est aussi la femme qui n’est plus utile pour le pouvoir patriarcal. Elle a perdu sa force de travail souvent, elle ne peut plus faire d’enfant, elle n’est plus considérée comme agréable à regarder. »

On a vu que cela ne tenait pas au regard de l’état des connaissances sur les procès et les bûchers et que cela relève surtout d’une mythologie romantique et féministe élaborée à l’époque moderne, en extrapolant à partir des actes des procès en Dauphiné par exemple. En réalité, les femmes brûlées étaient aussi bien jeunes que vieilles, mais souvent prostituées, déclassées, de mauvaise réputation (mala fama) et surtout sans protection et livrées à la vindicte de tous les habitants des villages, femmes comprises.

Mona Chollet se focalise sur la « vieille femme » sans relever que le discours féministe sur le « male gaze » (le regard masculin désirant) est en réalité sans objet. Le male gaze est un leitmotiv de la complainte féministe. Que la femme soit jeune, jolie et désirable ou bien vieille et plus assez désirable, cela ne va jamais : soit on la regarde trop quand elle est jeune (et les féministes sont furax), soit on ne la regarde plus assez quand elle est vieille (et les féministes sont furax aussi). On atteint aujourd’hui la véritable hystérie féministe, puisqu’elles en sont  désormais à dénoncer le viol par le regard (« eye rape »).

La lutte féministe contre l’hétérosexualité et la complémentarité des sexes

Comme on peut le voir dans son livre aussi bien que dans la vidéo de France Culture, le seul sujet qui obsède véritablement Mona Chollet, ce sont les vieilles lunes du féminisme lesbien des années 70, à savoir la lutte contre le modèle dit bourgeois de la famille et de la reproduction hétérosexuelle. Les nombreux « sorciers » exécutés au cours de l’histoire lui importent en réalité bien moins que de dérouler ses vieux mantras contre le couple et le « modèle familial classique », autrement dit « l’hétéropatriarcat ».

« Bewitched’ (« Ma sorcière bien-aimée »), 1964-1972

Elle déplore que dans les années 50, la sorcière soit « apprivoisée » car elle renonce à ses pouvoirs pour l’amour (voir « Ma sorcière bien-aimée ») et devient une « gentille petite épouse » (l’horreur féministe) : toujours le même rejet pathologique de la vie maritale, toujours les mêmes vieilles rancœurs… Même si cela ne correspond aucunement aux souhaits de la très grande majorité des femmes… à tel point que de nouveaux mouvements se développent actuellement, précisément en réponse à cette guerre féministe contre ce à quoi la plupart des femmes aspirent en réalité : l’émergence d’un mouvement #tradwife, à l’opposé du féminisme aigri et revanchard.

Elle défend ensuite, comme toute féministe radicale qui se respecte, les bienfaits pour une femme de ne pas avoir d’enfant – refusant de constater qu’il est assez exceptionnel que cela rende les femmes heureuses. C’est une situation souvent davantage subie que choisie et les femmes heureuses sans enfant sont bien plus rares que ce que prétendent les « femistats » (statistiques féministes tordues dans le sens qui les arrange). Ainsi le battage médiatique du printemps 2019 voulant faire croire que les femmes célibataires sans enfants étaient les plus heureuses de toutes était-il fondé sur des interprétations erronées et une évidente malhonnêteté intellectuelle du chercheur [sur le sujet, voir : Totem et tabou – Féminisme et célibat].

Mona Chollet défend dans la foulée les femmes qui regrettent d’avoir eu des enfants en faisant notamment référence à l’actrice Anémone qui s’était tristement illustrée en 2011 par ce discours empli d’aigreur (« Anémone a regretté toute sa vie d’avoir eu des enfants »). La méchanceté, le manque de tact et l’égoïsme de certaines femmes sont naturellement portés au pinacle. On voit moins ici le lien avec les sorcières de la Renaissance qu’avec l’habituelle névrose féministe, mais comme tout le livre n’est qu’un prétexte à cette forme de nombrilisme…

Le féminisme indigéniste en sous-main

Ce n’est pas pour rien que Mona Chollet affichait des accointances avec le PIR (le « Parti des Indigènes de la République »). Elle dénonce ensuite dans la vidéo « les sorcières souvent jeunes, blanches, blondes, mignonnes » des représentations occidentales et tout devient soudain clair : la « bonne » sorcière féministo-compatible ne doit pas être trop blanche. Indigénisme quand tu nous tiens… « On peut faire un rapprochement entre les femmes voilées et les femmes accusées de sorcellerie aux XVIe et XVIIe siècles, poursuit-elle ailleurs. Dans les deux cas, elles sont dépourvues de pouvoir mais accusées de miner la société ». On a vu plus haut que les « sorcières » avaient en réalité un véritable pouvoir. Les femmes voilées en ont un très puissant également, faut-il le rappeler : « Les françaises voilées sont des militantes, pas des victimes ».

On en vient donc pas à pas à l’actuelle idée fixe des néo-féministes : la lutte contre « l’hétéro-blantriarcat », autrement dit le mâle blanc occidental (et lui seul), nouvel ennemi affublé de toutes les tares. La dénonciation des chasses aux sorcières de l’époque moderne – qui mettrait en scène un bourreau blanc, mâle, patriarcal et occidental –  ne sert au final que l’habituelle propagande féministe de gauche qui trouve là un moyen supplémentaire de fustiger la civilisation occidentale et la  « culture de l’homme banc ». L’idéologie qui sous-tend ce discours est exactement la même que celle qui était à l’oeuvre lorsque des historiens de l’art s’en prenaient aux statues grecques, toujours sur France (In)Culture.

Les bûchers du XXIe siècle : silence radio des féministes

Nos néo-féministes indigénistes ignorent bien entendu les ravages actuels des chasses aux sorcières dans les contrées « non-blanches », donc parées de toutes les vertus. Celles-ci existent pourtant toujours en Afrique subsaharienne, dans l’Inde rurale du Nord ou en Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’Arabie Saoudite punit même encore de décapitation la sorcellerie. Pour autant, pas un mot dans l’ouvrage de Mona Chollet sur les deux jeunes saoudiennes mortes pour sorcellerie en 2010 et 2011.

Le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés rapporte que « la plupart des personnes accusées [de sorcellerie] sont des femmes et des enfants, mais aussi des personnes âgées ou marginalisées, comme les albinos et les personnes infectées par le VIH. Ces victimes sont souvent considérées comme des fardeaux pour la communauté, et sont souvent rejetées, affamées jusqu’à leur mort, ou tuées violemment, parfois même par leur propre famille dans une tentative de nettoyage social. Les causes de ces chasses aux sorcières sont à rechercher parmi la pauvreté, les épidémies, le manque d’éducation et les crises sociales ». On peut lire également que « les procès de sorcellerie en Afrique sont souvent le fait de membres de la famille cherchant à s’approprier les biens de la personne accusée. » Il va de soi qu’il en allait de même aux périodes anciennes en Occident et que tout rapporter à l’hétéro-blantriarcat ressort assez clairement de la fumisterie et de la névrose obsessionnelle.

« Audrey I. Richards, dans le journal Africa relate en 1935 une instance où une nouvelle vague de trouveurs et trouveuses de sorcières, les Bamucapi, apparaissent dans les villages des Bemba au Zambie. » Comme on le voit encore ici, le mécanisme d’accusation n’est pas le propre d’un sexe ou d’une civilisation.

Les sorcières et le courant écoféministe

Sur ces aspects du néoféminisme (attribuer le réchauffement climatique aux mâles uniquement et présenter les femmes comme un équivalent essentialiste de Dame Nature dans la plus pure tradition de la Wicca), on pourra se reporter à ces articles :

. Sur le sujet, voir aussi ce très bon article de Stéphane François, qui explique à quel point la néo-sorcellerie féministe est un bric-à-brac inconsistant, qui a même connu une forte impulsion grâce à l’Allemagne nazie, en tant que néo-paganisme anti-chrétien : « Les Sorcières, entre post-modernité et féminisme », Temps Présents, 22/01/19.

Sur les gourelles et l’éco-féminisme des sorcières en carton, voir également : Jean-Loup Adenor, « Du « féminin sacré » aux pseudo-médecines : comment les « sorcières » ont usurpé le féminisme »Marianne, 13/06/2021.

Les nouvelles chasses aux sorciers menées par les féministes elles-mêmes

Aujourd’hui, les mises à mort médiatiques et sur les réseaux sociaux ont remplacé les bûchers d’autrefois. La liste des noms des nouveaux sorciers (toujours des hommes) s’allonge quasiment chaque jour ou presque. On y retrouve le même principe de la justice immanente, sans autre forme de procès que la dénonciation publique ou la calomnie. Les lynchages collectifs s’enclenchent et se succèdent semaine après semaine, pendant que les néoféministes tirent les ficelles.

[article en préparation]

Quelques lecteurs, enfin, qui ne se sont pas laissé embobiner

Comme l’écrit pertinemment Serge Coosemans, dans Le Vif, « Sorcières de Mona Chollet : la puissance invaincue de la flemme » (22/10/2018), il s’agit d’un « livre bien fainéant », qui cite un peu trop « The Huffington Post, Nadia Daam, Blanche Gardin (…) alors que Robert Muchembled, Arthur Miller et Aldous Huxley sont pourtant complètement ignorés, malgré leurs ouvrages marquants sur les sorcières ».

Et de conclure : « parce que Sorcières est moins un ouvrage de sciences sociales et historiques qu’un simple bouquin de « self help » (…), un simple fourre-tout féministe où il est aussi question d’Harvey Weinstein, de confessions personnelles du genre « comment j’ai dépassé ma honte » et d’ode au new-age (qui) tient bien un peu de l’arnaque éditoriale ». Il évoque aussi « les amalgames douteux, les jugements à l’emporte-pièce, les oublis idéologiques et les caricatures débiles d’hommes. »

  • Et surtout, surtout…

Blanche Gardin qui ne se nourrit plus que de soleil, de prâna et de Mona Chollet, ce qui la fera basculer définitivement dans la folie et la conduira directement à l’asile :

[à suivre…]

  • Voir aussi :

– Mon entretien dans Atlantico sur l’écoféminisme (23/09/21) :

L’écoféminisme : une imposture intellectuelle sans aucun fondement scientifique 

. Sur le livre suivant de Mona Chollet, Réinventer l’amour (2021) :

. Dans la même série :

. Retour vers:

Voir aussi, au sujet de Caliban et la sorcière, le très mauvais livre de Silvia Federici qui a directement inspiré celui de Mona Chollet, la lecture critique d’une grande rigueur qu’en font Yann Kindo et Christophe Darmangeat. Ils en démontent point par point les approximations scientifiques, les erreurs flagrantes et le militantisme féministe qui confine souvent au délire.

3 réponses sur “[Homme blanc à abattre] – Les sorcières en renfort”

  1. Bonjour,

    Je viens de lire l’article, et je comprends un peu plus ce que tu voulais me dire à la page précédente. Ainsi donc, la réalité historique, si l’on réussit à entièrement la caractériser dans un futur proche, serait infiniment plus contrastée que ce que les féministes veulent nous faire croire. Ce que j’en retiens surtout, c’est que comme le préconiserait les adeptes de la pensée critique : il faut suspendre son jugement, le temps de laisser les historiens atteindre un certain consensus.

    Je te remercie pour cette lecture. C’est toujours intéressant de te lire.

    Cordialement,
    Idb

  2. Avez-vous écouté l’interview de Mona Chollet sur France Culture au sujet de son nouveau livre ?
    https://www.youtube.com/watch?v=ICpmJMqAyjk
    Le couple héro irait mal parce que les hommes ne se comportent en princes charmants qu’au tout début de la relation… no comment…. Tout pour fabriquer de la rancoeur et de la frustration chez des jeunes femmes. Sa voix, sa posture, sa gestuelle en disent long.
    Et la complaisance de la journaliste est hallucinante. Je rêverais de la voir interviewée par Sonia Mabrouk ou Natacha Polony :-))

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