[Culture du voile] – En défense de Catherine Deneuve

L’affiche de l‘exposition de l’artiste visuel Youssef Nabil à l’Institut du Monde Arabe de Tourcoing (du 5 octobre 2019 au 12 janvier 2020) est en train de scandaliser dans certains rangs de la laïcité ; ce qui vaut à Catherine Deneuve un nouveau déferlement d’insultes.

La photo choisie pour l’affiche est un portrait de l’actrice réalisé par l’artiste égyptien Youssef Nabil en 2010 :

Youssef Nabil, « Catherine Deneuve », Paris, 2010

Catherine Deneuve y apparaît avec un voile noir transparent de type mantille, voile de deuil ou voile de la Renaissance, comme nous l’indique la présentation en ligne de l’exposition de Tourcoing : « Faisant fi des revendications d’identité, l’œuvre de Youssef Nabil souhaite incarner un monde « méditerranéen » sans frontières, où le voile arboré par Catherine Deneuve ou Isabelle Huppert n’est plus le sujet d’un débat d’actualité mais retrouve la douceur des Madones de la Renaissance. »

Le voile dans la culture visuelle

Ce voile peut en effet évoquer le voile noir translucide qui enveloppait la Joconde, pour prendre un des exemples les plus célèbres de l’histoire de l’art occidental :

Léonard de Vinci, La Joconde, 1503-1519 (Paris, Musée du Louvre)
Détail : le voile noir est bien visible sur les cheveux de Mona Lisa

Le voile de la Joconde n’était pas nécessairement un voile de deuil mais plutôt un atour traditionnel de l’époque. Sur cette copie de la Joconde conservée au Musée du Prado et réalisée dans l’atelier de Léonard en même temps que le tableau du Louvre, on voit que ce voile léger est d’une taille imposante car il enveloppe tout le buste de Mona Lisa :

Atelier de Léonard de Vinci, La Joconde, 1503-1516 (Madrid, Musée du Prado)

Si Catherine Deneuve sur la photo de Nabil peut faire  penser à une Joconde contemporaine, elle remet surtout en mémoire sa beauté surnaturelle (et voilée) sur les images du film Tristana de Luis Buñuel (1970)  :

Catherine Deneuve dans Tristana de Luis Bunuel, 1970

Il ne faut donc pas s’emballer trop vite avec l’utilisation du voile dans l’art ou dans l’histoire. Il fait partie intégrante des accessoires de la toilette féminine depuis la nuit des temps et le voir exclusivement comme un symbole de la soumission des femmes est tout aussi simpliste que réducteur. Cela enferme dans une vision misérabiliste de la femme qui voudrait faire d’elle exclusivement une pitoyable serpillière soumise à la domination masculine depuis le néolithique –suivant la (ré)vision féministe fantasmatique de l’anthropologie.

Je rappelle d’ailleurs aux clowns féministes qui colportent le mythe du patriarcat (soi-disant apparu au néolithique en même temps que l’invention de l’agriculture) qu’au paléolithique supérieur, les femmes étaient peut-être déjà coiffées d’une résille, d’une capuche ou d’une perruque destinée à couvrir leurs cheveux :

« La Dame de Brassempouy » ou « Dame à la capuche », vers 23000 avant J.-C. (Saint-Germain-en-Laye)

La « Dame de Brassempouy » est le plus ancien visage sculpté conservé de l’histoire de l’humanité. Il est difficile de dire à quoi correspond exactement la coiffure de cette femme, mais l’implantation au niveau du front et des tempes laisse penser à un couvre-chef (d’où son nom de « Dame à la capuche »).  Les féministes vont-elles lancer des imprécations et faire des moulinets avec leurs bras parce qu’elle n’aurait pas les cheveux libres ?

Et sans remonter aussi loin, rappelons que le voile de la mariée est toujours aujourd’hui un symbole apprécié et recherché pour sa beauté, sa symbolique et bien entendu, son érotisme.

Le voile de mariée est un accessoire hautement érotique.

Le travail de Youssef Nabil

Youssef Nabil est un photographe et cinéaste d’origine égyptienne qui vit actuellement à New York et dont les oeuvres visuelles témoignent d’une esthétique orientaliste et onirique de bon aloi. Rien ne laisse penser dans son travail qu’il militerait pour l’islam politique ou pour le voilement des femmes. Il s’attache simplement à restituer des atmosphères cinématographiques vintage et esthétisées, voire ouvertement érotiques.

Il a ainsi réalisé dans les années 2010-2013 ces portraits voilés, à l’esthétique rétro/kitsch, de plusieurs grandes actrices françaises sans que cela émeuve qui que ce soit :

Isabelle Huppert, Paris, 2011
Fanny Ardent, Paris, 2010
Charlotte Rampling, Paris, 2010
Isabelle Adjani, Paris, 2013

Mais il n’a pas portraituré ces femmes uniquement voilées, comme on peut le voir ci-dessous. Il s’agissait simplement d’hommages à leur beauté intemporelle et à leurs figures d’archétypes de la culture visuelle contemporaine, avec un clin d’oeil aux femmes de son enfance égyptienne.

C. Deneuve, 2010
Isabelle Adjani, 2013

Les autres oeuvres de Nabil ressortissent du même esprit érotico-esthétique vintage et témoignent surtout d’une grande attention et même d’une véritable tendresse envers la culture occidentale et orientaliste du XXe siècle.

Youssef Nabil, Natacha fume le narguilé, Le Caire, 2000

Le choix de l’IMA de Tourcoing

La photo de Catherine Deneuve coiffée d’une mantille noire ne pose en soi aucun problème. Si moi-même j’ai envie de sortir demain dans la rue avec une mantille en dentelle noire ou un foulard sexy sur mes cheveux façon Fifties parce que je trouve ça rigolo et très féminin, je tiens à pouvoir le faire librement (d’ailleurs je me suis moi-même dépeinte – assez maladroitement, je le concède – avec un voile). Il ne faudrait quand même pas sombrer dans une stigmatisation aussi intégriste que celle que l’on combat.

Ce qui peut toutefois poser question avec l’affiche de l’IMA, c’est le choix de cette photo parmi toutes celles de l’oeuvre de Nabil – qui n’a pas fait que des femmes voilées, loin s’en faut. Est-ce un calcul pas très subtil pour cibler les femmes voilées extrêmement nombreuses à Roubaix-Tourcoing afin de les attirer vers cette expo d’art contemporain ? C’est fort possible. Mais après tout,  même si c’est le cas, pourquoi pas ? L’oeuvre de Nabil n’est pas une oeuvre intégriste de l’islam politique et elle aurait plutôt comme effet d’ouvrir l’esprit des salafistes sur la culture visuelle occidentale :

Youssef Nabil, Self-portrait with Botticelli, Florence, 2009
Youssef Nabil, I Saved My Belly-Dancer number XII, 2015 (Hand-coloured gelatin silver-print)

Il reste à se demander si l’IMA (de Paris comme de Tourcoing) pourrait être une vitrine présentable de l’islam politique, qui participerait à l’islamisation rampante de la société française. Derrière la diffusion tout à fait défendable de l’art et de la culture islamiques, se cacherait-il un tout autre agenda ?

À titre personnel, j’en doute. Car la promotion de l’art, de l’histoire et d’une culture au croisement des influences méditerranéennes ne peut pas faire le jeu des salafistes. Les salafistes et les intégristes de l’islam haïssent toute forme d’art car par définition, l’art est un espace de liberté, d’évasion et d’enrichissement mutuel des cultures. L’art est souvent, comme ici, un espace de sensualité où les corps et les visages féminins et masculins, nus ou partiellement voilés/dévoilés, réaffirment leur beauté éternelle et – même (et surtout) sous une mantille noire – leur pouvoir érotique. Catherine Deneuve, ici comme dans l’ensemble de ses actions et positions, n’incarne en rien la soumission de la femme.

[à suivre…]

  • Catherine Deneuve est par ailleurs UNE TRÈS GRANDE DAME qui a signé la Tribune des 100 et dont les prises de position répétées en faveur de Woody Allen ou de Roman Polanski lui valent régulièrement des stormshits internationaux. Elle a toute mon admiration pour son courage intellectuel, sa liberté de pensée, sa grandeur et sa classe en toutes circonstances. Je reviens sur l’affaire Polanski dans cet article consacré aux féministes et au cinéma (il y a beaucoup à dire !) :

[Festival de Connes] – Le cinéma des féministes

  • Sur Catherine Deneuve, voir aussi :

[Bouche d’égout] – Camelia Jordana se répand sur Deneuve et Bardot

  • Belle de Jour

Le célèbre film de Luis Buñuel (1967), qui dans cet extrait met en scène la sublime Catherine Deneuve – avec le tout aussi sublime Pierre Clémenti –, est aujourd’hui encore une occasion unique d’explorer le paradoxe insondable des fantasmes érotiques – notamment ceux qui recourent à la prostitution et à la violence physique. Autant d’occasions de faire capoter les féministes, dont le cerveau disjoncte automatiquement sur ces sujets depuis plus de 50 ans. Quelques articles encore en gestation reviendront prochainement sur les rapports du néoféminisme avec le BDSM.

. Sur le voile islamique, voir aussi :

[Féminisme islamique] – Et si l’islam était autant un matriarcat qu’un patriarcat ?

Les françaises voilées sont des militantes, pas des victimes

. Pour retrouver le cinéma de Buñuel (Le Fantôme de la Liberté, 1974):