Ce vocabulaire aux prétentions analytiques fait toujours la part belle à des rapports de domination envisagés de manière simpliste : les hommes contre les femmes, les blancs contre les « racisés », les hétéros contre les « non-binaires »… Cette polarisation extrême ne voit dans la société que des oppresseurs et des opprimés. Dans une telle sociologie sans nuance, les individus semblent déterminés par leur appartenance identitaire. Les cases sexuelles, raciales ou sociales emprisonnent chacun dans des affiliations catégorielles. Ces discours ressemblent à des entrées du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, dans lequel on lirait forcément : Domination : dire qu’elle est intersectionnelle et, réciproquement, Intersectionnalité : préciser qu’elle dénonce les dominations…
La critique militante elle-même ne repose que sur les identités qu’elle prétend démolir. Il faut bien un stéréotype hétérosexuel pour prétendre s’en distinguer – et il faut bien un stéréotype de blanc qu’on puisse massivement considérer comme « privilégié » pour s’estimer lésé. Dans ce cadre à la conscience politique prétendument suraiguë, on efface pourtant la complexité sociale et on la remplace par des classifications : on n’y critique les stéréotypes que pour les (re)produire. C’est un procédé rhétorique qu’on pourrait décrire comme l’effet de tunnel thématique : on prend un point de vue – racial ou sexuel, par exemple – et on en fait un principe explicatif radical qu’on alourdit d’une dimension accusatoire.
On part de faits complexes pour les simplifier, supprimer la multifactorialité et les poser selon le seul ordre de la domination. Là où une sociologie traditionnelle pourrait parler de capital culturel – qui est un concept possédant une certaine validité descriptive – le décolonialisme parlera de blanchité, racialisant le phénomène d’une manière clientéliste et séparatiste. De la même manière, le néoféminisme fera de toute différence sexuelle l’indice d’une domination, censée être résumée par le mot patriarcat. L’intersectionnalité ne fait que démultiplier l’effet de tunnel en superposant les thématiques accusatoires. Certains ont même parlé de grievance studies pour décrire cette sociologie du grief généralisé tant le champ de cette recherche ne semble se fonder que sur la boussole de la récrimination.
On n’en finit plus de lire que « le langage est un lieu de lutte » et le monde universitaire ne semble plus parler que de « combat », proposant de se diriger vers un avenir meilleur nécessairement « dé-colonisé » et « dé-masculinisé » : c’est donc une conception de la recherche comme action partisane qui se lit dans ces concepts. Les jeux d’oppositions chargent ainsi les dénominations d’une polarité asymétrique : « masculinisme » possède une valeur négative indiquant une forme de suprémacisme tandis que « féminisme » possède une valeur positive évoquant une saine justice. Aucun de ces concepts n’est pourtant clairement défini. Il en va ainsi de la nouvelle utilisation du mot patriarcat, employé comme blâme. En ethnographie, patriarcat signifie « type d’organisation sociale où l’autorité domestique et l’autorité politique sont exercées par les hommes chefs de famille ».
Or, concernant la société française, cette autorité n’existe plus dans le cadre juridique, ce qui est tout de même un fait remarquable sur le plan civilisationnel. On fait tout de même comme si cette définition s’appliquait encore : au passage, on aura substitué au sens d’origine, « autorité juridique », un nouveau sens : « domination symbolique ». On est passé de la description de « sociétés patriarcales » à « le patriarcat ». Cet emploi de l’article défini indique un ensemble de préconceptions implicites qu’on s’abstient justement de décrire. Dire le patriarcat, c’est être aveugle à la réalité des sociétés et de l’histoire. Le mot patriarcal servait à modéliser des structures sociales complexes, qui n’excluaient pas, par exemple, une filiation matrilinéaire. On fait donc comme si de la Sicile à la Norvège, de l’Antiquité tardive au XXIe siècle, on parlait d’une même réalité, identiquement « patriarcale ».
Au passage, les sociétés qui continuent de tenir les femmes dans une situation de sujétion, de tutelle et de contrôle radical ne sont jamais l’objet des critiques néoféministes – la grande prêtresse du néoféminisme radical, Judith Butler, va même jusqu’à considérer que les femmes qui résistent aux Talibans sont des collabos de l’impérialisme culturel américain (16)… Parler de patriarcat, c’est utiliser un terme qui nie la diversité sociale et historique, comme si la France de 2020 était structurée de la même manière que la France de 1920 ou de 1820 ; comme si les structures culturelles en France étaient identiques dans les familles auvergnates ou algériennes, chez les éditeurs du Ve arrondissement de Paris et les couteliers des vallées ariégeoises. Bref, c’est une sociologie qui se refuse à faire de la sociologie.
Le sens d’origine de patriarcat, dans le domaine du droit et de l’ethnologie, avait une valeur descriptive, il a désormais une valeur de jugement. La nouvelle utilisation de ce mot, pseudo-explicative mais en réalité systématiquement accusatoire, ne désigne plus un régime juridique mais renvoie à une vague forme de prestige, aussi caricaturale que diffuse. On est donc passé d’un sens objectivable à un sens subjectif, d’un sens descriptif à un sens axiologique (*1) . C’est ainsi que l’idéologie infléchit le cours des mots et impose son discours pour construire une vision strictement conflictuelle des rapports femmes/hommes. Il est désormais courant dans la recherche universitaire qu’on propose « une approche féministe » de tel ou tel sujet. Le féminisme n’est pourtant pas une discipline scientifique mais une revendication sociale, d’ailleurs fort hétérogène, et qui comporte sans doute des biais qui la distinguent de la simple revendication d’égalitarisme.
Le mot patriarcat a donc perdu toute pertinence conceptuelle à partir du moment où il est devenu un mot d’ordre, un slogan, voire la mise en scène d’une aversion puisqu’il est désormais possible d’écrire : « Moi, les hommes, je les déteste. » Il n’y a plus aucun frein à l’accusation patriarcale et l’on trouve même des cours (!) d’université qui donnent libre cours à leurs fantasmes en accusant « les sociétés patriarcales » de façonner « physiquement, par sélection artificielle, des chiens adaptés à un usage humain précis et des femmes plus petites, très mal adaptées, en revanche, à l’usage reproductif auquel on les destine (17) ».
(16) « Judith Butler n’a ainsi pas peur d’affirmer que les femmes afghanes, qui retiraient leur burqa après la chute des Talibans, étaient des “collabos” des Américains ; elles refusaient de comprendre “les importantes significations culturelles de la burqa, un exercice de modestie et de fierté, une protection contre la honte, un voile derrière lequel la puissance d’agir féminine peut opérer et opère effectivement” », V. TORANIAN, « Pour Mme de La Fayette, contre Judith Butler », Revue des Deux Mondes, 20 mars 2020.
(17) Voir S. PROKHORIS, « Du choix des symboles », Libération, 11 avril 2019. 17. Cours de Master consacré à « une étude comparée de la zootechnie canine et de la construction physique des caractéristiques féminines. Comment les sociétés patriarcales façonnent-elles physiquement, par sélection artificielle, des chiens adaptés à un usage humain précis et des femmes plus petites, très mal adaptées, en revanche, à l’usage reproductif auquel on les destine ? » (Paris 13-Villetaneuse, 2016-2017, « Créer des chiens et des femmes », p. 40 de la brochure de présentation).
*1. L’œuvre considérable de D. Sibony, P.-A. Taguieff et S. Trigano est là pour rendre compte de cette complexe convergence dans l’antisémitisme du ressentiment envers l’origine, la Loi symbolique, la Nation et ses incarnations idéologiques. Ces auteurs ont permis de cartographier et de comprendre la dynamique de l’antisémitisme, constitutive des évolutions de notre société vis-à-vis de son identité, de sa mémoire et de son rapport à l’islam. Qu’ils soient chacun remercié pour l’inspiration qu’ils apportent. On lira avec profit la description de ce champ dans les ouvrages suivants : P.-A. TAGUIEFF, La nouvelle judéophobie (Paris, Fayard, 2002) ; D. SIBONY, L’énigme antisémite (Paris, Éd. du Seuil, 2004) ; S. TRIGANO, Les Frontières d’Auschwitz (Paris, Le livre de poche, 2005)
EXTRAITS EXCLUSIFS – Dans Dommages irréversibles, un saisissant essai jamais idéologique mais purement factuel, la journaliste au Wall Street Journal montre comment des adolescentes américaines décident de changer de sexe sous l’influence d’internet. Un phénomène qui pourrait bientôt toucher la France.
La dysphorie de genre, anciennement appelée « trouble de l’identité de genre », se caractérise par un malaise profond et persistant vis-à-vis de son sexe anatomique. […]. Historiquement, elle n’a concerné qu’une infime partie de la population (environ 0,01 %) et presque exclusivement des garçons. Au cours de la dernière décennie, la donne a changé de façon spectaculaire. L’Occident a vu une augmentation subite du nombre d’adolescents affirmant souffrir de dysphorie de genre et s’identifiant comme « transgenres ».
Pour la première fois dans l’histoire de la médecine, des adolescentes de sexe féminin à la naissance ne sont pas seulement présentes parmi ceux qui s’identifient ainsi, mais constituent la majorité du groupe. Pourquoi ? Que s’est-il passé ? Comment un groupe d’âge (les adolescents) qui avait toujours été minoritaire parmi les personnes concernées en est-il venu à constituer la majorité ?
La solitude des ados à l’ère numérique
Aux États-Unis, l’adolescence est pratiquement synonyme chez les filles d’angoisse de ne pas être physiquement à la hauteur. […] Les personnages des réseaux sociaux – c’est-à-dire les «amis» les plus intéressants pour les ados d’aujourd’hui et avec lesquels ils passent le plus de temps – ne présentent pas de telles imperfections. Soigneusement choisies et «facetunées», leurs photos définissent un standard de beauté qu’aucune fille réelle ne peut atteindre. Et elles sont constamment dans la poche des adolescentes, nourrissent leurs craintes de ne pas être à la hauteur, alimentent leur obsession pour leurs propres défauts ou ce qu’elles perçoivent comme tels, tout en les exagérant considérablement. Beaucoup d’adolescentes de la génération Z qui tombent dans les filets du phénomène transgenre appartiennent à la classe moyenne supérieure.
Maternées par des parents pour qui «élever» est un verbe actif, voire l’œuvre d’une vie, elles sont souvent des élèves brillantes. Jusqu’à ce que la folie transgenre les frappe, ces adolescentes se distinguent par leur gentillesse, leur serviabilité et leur absence totale de rébellion. […] Internet ne leur laisse jamais un jour, ni même une heure, de répit. Elles veulent ressentir les émotions fortes de l’amour adolescent, mais la plus grande partie de leur vie se passe sur un iPhone. Elles essaient l’automutilation. Elles tâtent de l’anorexie. Les parents les envoient chez des psychiatres qui leur prescrivent des médicaments en guise de ouate pour amortir leurs humeurs, ce qui aide – à moins que ressentir quelque chose n’ait été le but.
Gayatri, un cas problématique parmi d’autres
Gayatri a toujours été «très fille», m’a dit son père, immigrant indien et médecin. Enfant, elle adorait Dora l’exploratrice et les princesses de Disney. Au collège, une de ses amies de l’école primaire a «transitionné»: elle a commencé à se bander la poitrine, a annoncé qu’elle avait un nouveau nom, et a demandé aux autres d’utiliser les pronoms masculins pour s’adresser à elle. Les parents de Gayatri se présentaient comme progressistes. À l’époque, ni l’un ni l’autre n’a fait grand cas de ce changement, qui n’a pas semblé impressionner leur fille. Mais l’année suivante, en troisième, les parents de Gayatri lui ont acheté un ordinateur portable et – après maintes discussions – un smartphone. Elle s’est mise à passer beaucoup de temps sur Tumblr et DeviantArt, le site de partage artistique qui séduit une grande audience transgenre.
Elle a commencé à parler d’identité de genre à sa mère. Ses parents ne se doutaient pas de la corrélation entre ses propos et le temps passé sur internet. L’été est arrivé et les longues journées se sont profilées devant elle comme une main tendue. Tous ses moments libres, Gayatri les passait sur internet. Un jour, Gayatri a lancé l’idée de commencer un traitement à la testostérone et de subir une « chirurgie du haut ». Ses parents se sont alarmés. Elle agissait à leur insu. Ex-balourde de la classe, Gayatri s’était réinventé une personnalité d’ado transgenre branchée. Les « likes » et les émojis qui pleuvaient sur son profil Instagram parlaient d’eux-mêmes: cette nouvelle identité était une version upgradée d’elle-même. En tant que « garçon trans », Gayatri avait des amis – beaucoup d’amis.
Chiffres et tendances
En 2016, Lisa Littman, gynécologue-obstétricienne devenue chercheuse en santé publique et mère de deux enfants, parcourait les réseaux sociaux lorsqu’elle a remarqué une singularité statistique : plusieurs adolescents, pour la plupart des filles, de sa petite ville du Rhode Island se déclaraient transgenres – tous au sein du même groupe d’amis […]. Le Dr Littman ne connaissait pratiquement rien à la dysphorie de genre. […] Mais elle en savait suffisamment pour constater que les chiffres étaient beaucoup plus élevés que la prévalence attendue. […] La hausse, effectivement, s’est révélée sans précédent. Aux États-Unis et dans le monde occidental, on constatait un pic soudain d’adolescentes déclarant une dysphorie de genre – la pathologie associée à la désignation sociale « transgenre ».
Entre 2016 et 2017 aux États-Unis, le nombre d’interventions en chirurgie transgenre pour les jeunes femmes a quadruplé, cette population représentant soudain – comme on l’a vu – 70 % de toutes les interventions en chirurgie transgenre. En 2018, le Royaume-Uni a signalé une augmentation de 4400 % par rapport à la décennie précédente du nombre d’adolescentes cherchant à obtenir des traitements de genre. […] Au cours de la dernière décennie, comme le Dr Littman l’a découvert, les chiffres de la dysphorie de genre chez les adolescents ont bondi dans l’ensemble du monde occidental. Aux États-Unis, la prévalence a augmenté de plus de 1000 %. 2 % des lycéens s’identifient aujourd’hui comme « transgenres », selon une enquête menée en 2017 auprès des adolescents par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies. En 2016, les personnes assignées femme à la naissance représentaient 46 % de toutes les chirurgies de réattribution sexuelle aux États-Unis. Un an plus tard, ce pourcentage était de 70 %.
YouTube et testostérone : le rôle des influenceurs du net
Alex Bertie, un youtubeur anglais FtM («Female to Male», NDLR), sans doute le plus populaire (300.000 abonnés), a tenu un vlog (blog vidéo) sur sa première année de testostérone. « C’est le jour que je n’aurais jamais osé espérer, s’enthousiasme-t-il, adorable garçon à la mâchoire ombrée. Ça fait officiellement un an que je suis sous testostérone. Avant les hormones, je souffrais de la haine de soi, de la jalousie et de l’envie, je voulais constamment m’isoler du reste du monde… Aujourd’hui, un an après avoir commencé les hormones, je ne pourrais pas être plus heureux ! Les changements apportés par la testostérone ont vraiment amélioré ma qualité de vie et redessiné mes projets d’avenir. » Sa voix est plus grave. Ses épaules sont plus larges, ses bras plus imposants, sa mâchoire carrée. Sa graisse est redistribuée (moins dans les cuisses et les hanches). Et le plus réjouissant pour lui : ses règles ont disparu. « Heureusement, après deux mois de T, elles se sont complètement arrêtées, Dieu merci. Cette année, j’ai aussi fait la chirurgie du haut. C’est un truc à part. Je pourrais consacrer un million de vidéos à la chirurgie du haut. Associé aux hormones, cela a carrément fait disparaître ma dysphorie de genre. Donc, en gros, la testostérone… c’est génial. » […]
Tous les vlogueurs trans ne partagent pas la modération de Chase. Le gourou InstagramMtF (Male to Female, NDLR) Kaylee Korol, femme frêle aux cheveux bleus comme ses yeux et qui ressemble à une adolescente ordinaire, offre ce « conseil trans » : « Vous n’avez pas besoin d’être sûrs à cent pour cent d’être trans pour essayer les hormones, vraiment, assure Kaylee à ses followers. Vous pouvez essayer les hormones pendant trois mois. Après cette période, il commence à y avoir des effets permanents, mais avant, vous pouvez simplement tester et voir comment vous vous sentez. C’est génial, c’est aussi simple que ça. Les hormones ne doivent pas vous effrayer. » Inutile, donc, d’avoir la certitude d’être trans pour prendre des hormones. En fait, Kaylee ajoute que le traitement hormonal est « probablement le meilleur moyen de savoir si vous êtes trans ou non ». Il est prouvé que la testostérone a des effets secondaires néfastes, mais vous en entendrez rarement parler. Les gourous de YouTube et d’Instagram sont là « pour le fun », et les risques accrus de divers cancers et d’hystérectomie prophylactique ne sont pas vraiment fun.
Des traitements loin d’être anodins
La testostérone épaissit le sang. Les filles transidentitaires reçoivent une dose de testostérone 10 à 40 fois supérieure à ce que leur corps pourrait normalement supporter pour produire les changements qu’elles recherchent. Selon certaines indications, les femmes biologiques recevant ces doses de testostérone auraient un risque de crise cardiaque près de cinq fois supérieur à celui des femmes, et deux fois et demie supérieur à celui des hommes. Le dosage étant déterminé par l’apparence physique désirée – plutôt que par le traitement d’une maladie -, il obéit à des critères esthétiques et non pas médicaux. On justifie généralement la testostérone comme un traitement de la « dysphorie de genre », mais les endocrinologues qui la prescrivent semblent rarement évaluer ses effets sur la dysphorie du patient. Ils examinent plutôt son taux sanguin pour s’assurer que la testostérone reste dans la fourchette normale pour un homme. […] Peu de temps après la prise d’hormones mâles, des changements permanents se produisent.
Si une fille biologique regrette sa décision et arrête la testostérone, sa pilosité corporelle et faciale restera probablement en place, tout comme son excroissance clitoridienne, sa voix grave et peut-être même la masculinisation de ses traits faciaux. Même si des doses massives de testostérone doivent être maintenues pour que les effets de la transition se poursuivent, l’élimination de la T ne ramène pas l’adolescente à son point de départ. La testostérone s’accompagne également de douleurs et de désagréments. Il y a le problème de l’atrophie vaginale, mais aussi des douleurs musculaires, des crampes sévères dues à l’endométriose, une hausse de la sudation, des sautes d’humeur et de l’agressivité. Les effets à long terme comportent une augmentation des taux de diabète, d’accidents vasculaires cérébraux, de caillots sanguins, de cancers et, comme nous l’avons vu, de maladies cardiaques. Globalement, le risque de mortalité augmente. Il existe un dernier risque, inévitable, dû au fait qu’aucune patiente sur la Terre ne prend son traitement exactement à la même heure: à un moment donné, une jeune fille sous T se fera une injection un jour ou deux après la prise prévue. […] Après tous ces risques et ces sacrifices insensés, au moins la dysphorie a disparu, non ? En fait, il n’existe aucune étude à long terme indiquant que la dysphorie de genre ou les idées suicidaires diminuent après une transition médicale. Souvent, la dysphorie d’une jeune femme augmente avec la testostérone, car elle se rend compte que même avec une voix d’homme, des poils, une mâchoire carrée, un nez rond et une barbe fournie, elle ne ressemble pas tout à fait à un homme.
Les « détransitionneuses » : celles qui tentent de faire machine arrière
Presque toutes les détransitionneuses à qui j’ai parlé sont percluses de regrets. Si elles ont pris de la testostérone quelques mois seulement, elles ont une voix étonnamment masculine qui restera grave. Si elles ont été sous T pendant plus longtemps, elles souffrent de la gêne d’avoir une géographie intime inhabituelle : un clitoris élargi qui ressemble à un petit pénis. Elles détestent leur barbe naissante et leur pilosité corporelle. Elles vivent avec une poitrine lacérée et des tétons masculins (oblongs et plus petits) ou des rabats de peau qui ne ressemblent pas à des tétons. Chez celles qui ont conservé leurs ovaires, une fois privé de testostérone, le tissu mammaire se gonfle au retour des règles d’un liquide qui, souvent, n’est pas correctement drainé. […] Les désisteuses et détransitionneuses à qui j’ai parlé m’ont toutes dit qu’elles étaient sûres à 100 % d’être trans à vie – jusqu’à ce que, soudainement, elles ne le soient plus. Presque toutes reprochent à leur entourage adulte, en particulier les professionnels de la santé, d’avoir encouragé et facilité leur transition.
C’est avec un certain étonnement que j’ai découvert ces derniers jours le drama zétético-woke qui s’est joué à l’issue des Rencontres de l’Esprit Critique (REC 2022) de Toulouse le week-end dernier ; une assemblée réunissant, au terme d’efforts louables, diverses chapelles de la Zététique (mais pas toutes, une fraction victimaire s’en étant exclue d’elle-même). Il faut savoir en effet que le mouvement zététique traverse depuis plusieurs années de vives tensions internes, dues notamment à des positionnements qualifiés de part et d’autre d’idéologiques. En gros, il y a d’un côté des Zets qui penchent à gauche, voire très à gauche, voire très très très à gauche et de l’autre, des Zets restés fidèles à eux-mêmes, mais qui se voient traités par les premiers d’extrême droite, quand ce n’est de nazillons en puissance – car tout ce qui ne communie pas au féminismo-wokisme est par définition nazi (le monde est toujours si simple, vu du camp victimaire).
Dans des échanges assez lunaires postés sur Twitter, j’ai donc découvert qu’un groupe de néoféministes se disant zététiciennes (un oxymore, comme on va le voir un peu plus bas), appliquaient assez logiquement leur plan de bataille néoféministe sur le dos de malheureux zététiciens assez suicidaires pour avoir cru bon d’ouvrir leurs chakras à la diversité woke. Pour résumer cet épisode en deux mots, les néofems leur envoient le feu nucléaire parce qu’ils ont tenté une petite blague potache avec un des leurs (Astronogeek, qu’elles regardent comme s’il était le diable) qui s’était revêtu pendant quelques minutes d’une camisole de force (« Et ouin ouin, et que c’est de la psychophobie, et gnagnagna »). Je vais t’en foutre, moi, de la psychophobie ! Les Zets devraient plutôt porter plainte pour humourophobie.
La gousse d’ail anti-humour-oppressif, nouvel attribut du.e.la Zététicien.n.e des temps nouveaux (oui car chez les Zets, on torchonne désormais en inclusive)
Des femmes zététiciennes, oui, trois fois oui, mais quand même pas des néo-féministes !
En accueillant des néo-féministes en son sein, cette frange bienveillante du Zététisme de la gauche et du centre aura alors commis une confusion regrettable pour elle – car c’est sur elle que pleuvent aujourd’hui d’énormes boules puantes –, une confusion, donc, entre les femmes, qui ont toute leur place dans le mouvement zététique, et les néo-féministes, qui déjà ne sont pas nécessairement des femmes (les plus violents wokistes, ceux qui menacent de mort, étant généralement des hommes), mais des idéologues et des activistes d’extrême gauche avec un agenda bien précis ! Eh oui ! Une femme biologique n’est pas une idéologie gauchiste, qu’on se le dise ; je me dois sans cesse de dénoncer cet amalgame fâcheux 😉 ! Collaborer avec des femmes, ou même les défendre quand c’est nécessaire, ne devrait jamais revenir à défendre les délires paranoïaques d’une Sandrine Rousseau ou d’une Alice Coffin déguisées en zététiciennes !
Comment ces Zets ont-ils pu oublier un seul instant que les néo-féministes n’avaient qu’un seul ennemi sur terre : l’homme blanc occidental et sa Raison héritée des Grecs ? Si les Zets qui prennent aujourd’hui publiquement la parole se trouvent être pour leur plus grand malheur des hommes, blancs, occidentaux, hétérosexuels, cisgenres, de plus de 40 ans (plus de 50, on n’en parle même pas, c’est la mort au bout du fusil), pères de famille, rationnels, au QI élevé et/ou appartenant aux classes favorisées, ils sont de facto les ennemis de classe (et de race et de genre) des néo-féministes ! Ils sont par définition des cibles à abattre et elles ne leur laisseront aucun répit ! Quoi qu’ils disent, quoi qu’ils fassent, quels que soient les gages qu’ils donneront à ces harpies, quelles que soient leurs reptations « bienveillantes » ou « open-minded », ils se feront démonter jusqu’à l’os pour leur plus grande stupéfaction – puisqu’elles ne sont là que pour ça !
Il faut bien avoir en tête que l’arsenal militaire néo-féministe est rempli à ras bord de redoutables armes à fragmentation : leur catalogue interminable de « phobies » imaginaires en tous genres – elles en inventent dix par jour (« ouin, ouin, ouiiiinnn !!! »), grâce auxquelles elles n’en finiront jamais de vous poursuivre dans vos retranchements les plus sincères ou les plus rationnels. Puisque-C’EST-LEUR-PRO-JEEEET ! Vous abattre !
Il ne faut jamais oublier non plus que le logiciel néo-féministe vomit la civilisation occidentale issue des Grecs, de la logique et de la raison (je ne reviendrai pas ici sur leur célébration ininterrompue des sorcières, par exemple). C’est même un des piliers de leur mouvement, comme le rappelle cet ouvrage de référence du mouvement néo-féministe : Une lecture féministe de l’histoire de la logique (tout un programme !) ; aussi j’enjoins les défenseurs de la raison à ne jamais sous-estimer cet adversaire :
Andrea Nye, Words of Power. A Feminist Readig of the History of Logic, Londres, 1990
Cette vidéo récente, où une néo-féministe zététicienne défend l’irrationnalité à visage découvert, devrait vous mettre la puce à l’oreille, amis zététiciens : vous avez laissé entrer le loup dans la bergerie, ou plutôt les termites dans la cabane ! Les néofems sont en train de faire leur nid pour tout ronger et tout grignoter – rien que l’emploi de l’écriture inclusive devrait être pris pour une alerte sérieuse : il signifie que le processus de destruction est en place ! Des fondations jusqu’à la toiture, elles ne laisseront rien debout, puisque encore une fois, elles haïssent fondamentalement tout ce que vous êtes.
Amis zététiciens, je m’en remets à vous pour nous protéger du programme de guerre des sexes et de l’intellect mis en œuvre par les néofems ; de grâce, ne leur servez plus la soupe, mais regardez-les bien en face pour ce qu’elles sont : des racistes et des sexistes qui ont trouvé un angle d’attaque imparable pour vous ravager de l’intérieur. Leurs techniques de harcèlement sont également les plus efficaces au monde car elles consistent, à grands renforts de bassines de larmes de crocodile, à rabattre tout ce que vous penserez ou direz sur ce que vous êtes biologiquement, intellectuellement et socialement – des données sur lesquelles vous n’avez pas de prise et dont vous n’avez de toutes façons pas à vous justifier. Elles s’en prendront aussi à vos vies privées, car elles confondent le débat d’idées et le cyber-harcèlement. Et même si vous vous suicidez, elles ne vous lâcheront jamais et continueront à vous persécuter ; les néofems ayant un goût immodéré pour attaquer les morts (une manière pour elles de se prémunir de procès en diffamation – voyez par exemple comment elles traitent la mémoire de Picasso).
Un dernier mot : je n’écris pas ce billet en tant que zététicienne, je ne suis qu’une observatrice extérieure des faits. Je ne les représente donc aucunement et mes opinions n’engagent que moi et n’ont pas à être amalgamées aux leurs (qui sont de toutes façons très diverses, puisque certains défendent becs et ongles les neofems). Mais comme je sais que la tactique néofem consiste justement à pratiquer l’amalgame – et le déshonneur par association, une posture actuellement très en vogue chez les néo-Zets – je préfère prendre les devants.
[Edit. 1 – Mise à jour 2022]
Ne suivant pas de très près l’actualité de la Zététique, j’ignorais qu’elle était d’ores et déjà tombée aux mains de l’Église de la Pleurnicherie Perpétuelle, comme j’appelle la secte des bigotes féministes, avec ses espaces non mixtes de fausses victimes du « patriarcat », qui s’écoutent pleurnicher en rond sur fond de sorcières et « d’oppressions systémiques » en carton – en écriture pour débil.e.s, comme il se doit. Je découvre aussi que le Féminismo-Zététisme est déjà constitué en Politburo de la Vertu Morale et Sexuelle, où l’on traque sans répit toute trace de « sexisme », même la plus infime et où l’on oblige tout libertin ou tout esprit libre à battre sa coulpe et s’autoflageller ad vitam s’il veut être absous et continuer d’appartenir à l’Église Zététicienne des Bonnes Mœurs Bienveillantes. Et encore, il restera traité à vie comme un pestiféré s’il ne communie pas à la tarte à la crème de la « culture du viol »… Bref, la situation était en réalité bien pire que ce que tout ce que j’avais pu imaginer.
La Zététique a bien changé, dis-donc :/
Tout ce que touche l’idéologie néo-féministe, elle l’empoisonne, le détruit de l’intérieur et le tue à brève ou moyenne échéance (l’Université, le Festival de Cannes, les César, … et maintenant la Zététique 🙁 ). Que la Zet en soit à ramper devant un aréopage de névrosées juste bonnes à taper leur crise d’hystérie et lancer des lynchages publics pour une pauvre blague prétendument « psychophobe » n’était donc pas un épiphénomène comme je l’ai cru innocemment… mais le signe que le cancer avait métastasé depuis longtemps et que la Zététique était déjà officiellement en état de mort cérébrale. Il ne me reste alors qu’à présenter mes plus sincères condoléances à tous ceux que cette situation afflige autant que moi.
RIP l’esprit critique, celui qui ne se couche pas devant le terrorisme victimaire
« Requiem æternam dona ei, Domine. Et lux perpetua luceat ei : Requiescat in pace. Amen. »
[Edit. 2 – Printemps 2023] : la TEB s’enfonce dans l’obscurantisme
La TEB (= la « Tronche en biais » = la branche officielle et monétisée de la Zététique) a choisi son camp et, désormais convertie au néoféminisme le plus crasse, milite ouvertement pour les pires falbalas de l’idéologie du genre (« Personne ne peut distinguer un garçon d’une fille si on ne dispose pas de son caryotype ou de ses gamètes, ou si on ne peut inspecter personnellement le fond de son slip »; « La biologie n’a aucune valeur, seules comptent les sciences humaines et le ressenti de chacun »; « Pour savoir si un individu est de sexe féminin ou masculin, le seul moyen autorisé est de lui demander », etc. – je caricature à peine, c’est dans cette vidéo). L’esprit critique peut donc mourir un peu plus chaque jour. Pour ceux que cela intéresse, la ruine intellectuelle de la Zététique est à suivre sur YouTube et Twitter, principalement dans les échanges Acermendax-Psyhodelik (affaire à suivre, donc).
. Sur les nouvelles maîtresses à dé-penser de la Tronche en Biais, qui combat désormais obsessionnellement l’esprit critique et l’apport des sciences naturelles (un parjure qui restera dans les annales) :
Un des paradoxes les plus saisissants, chez les Gender feminists (féministes idéologues du genre), notamment chez certaines lesbiennes agressives de type Coffin, ou certains « transgenres FtM » (« hommes à vagin ») tout aussi agressifs de type Preciado, est tout à la fois leur misandrie décomplexée (« Tous les hommes sont des violicideurs et des féminicideurs en puissance ! ») et leur survalorisation fantasmatique du masculin (« Je suis un homme comme les autres ; à moi le pouvouââr !! ») – avec pour corollaire leur guerre déclarée à la féminité et aux femmes elles-mêmes ; ce qui pourrait surprendre au premier abord. Dans ce sillage, on voit proliférer pléthore de discours sur le genre et la transidentité qui poussent un nombre toujours croissant de jeunes femmes à vouloir renier ou abolir leur condition féminine afin de « devenir » des hommes. Dans le prolongement de cela enfin, tout ce qui peut renvoyer aux fondements biologiques du sexe féminin est devenu plus qu’un tabou, un interdit ; la terreur s’abattant sur quiconque y ferait allusion – au point que le mot « femme » est devenu imprononçable chez EELV (honte à eux), de même que dans toutes les nouvelles chapelles du wokisme (jusque chez SOS Homophobie).
Les mêmes qui veulent voir les hommes morts (« Mort aux mecs ! », « Kill all Men ! ») sont subjuguées par une « domination masculine » fantasmée au dernier degré dont elles veulent obsessionnellement s’emparer – comme si les femmes étaient par nature et depuis toujours entièrement dépourvues de toute forme de pouvoir. Une très grosse erreur d’appréciation, comme les travaux d’Emmanuel Todd viennent encore récemment de le démontrer, ou comme je l’évoque moi-même régulièrement sur ce site (par exemple : [Antiféminisme] – Éloge de la femme forte).
Moi qui suis une femme assumée, qui me suis toujours sentie forte dans ma nature de femme, cette complainte larmoyante et victimaire de plus en plus folle et de plus en plus féminophobe m’apparaît aussi incompréhensible que déprimante. Pourquoi de plus en plus de jeunes femmes décident-elles de « transitionner » ? Comment en est-on arrivé là et pourquoi cela semble-t-il empirer chaque jour ? Il me faut commencer par résumer ce que cette situation doit directement au néo-féminisme, avant de développer ce qu’elle révèle encore de la nature profondément toxique de cette idéologie.
Le féminisme fabrique des femmes faibles à la pelle
J’ai déjà évoqué cet aspect :
Le féminisme a détruit la cellule familiale, assassiné la paternité, encouragé la maternité sans père et sans repères et mis au monde des générations entières de filles sans référent masculin pour se construire psychiquement. Des filles que l’on verra parfois, au sortir de l’adolescence, se transformer elles-mêmes en hommes (j’en connais) ou devenir lesbiennes, comme si elles se sentaient tenues, inconsciemment, de suppléer en personne à cette absence de figure masculine constructive. Pour autant, je ne saurais dire quel rôle a joué exactement l’absence de père dans ce processus, n’étant pas spécialiste du sujet (je m’interroge seulement, puisque je ne connais pas de lesbienne dans mon entourage, quel que soit son âge, dont le père a été présent ou a joué le rôle espéré – si vous en connaissez, dites-le moi dans les comms). Le sujet est de toutes façons trop complexe pour être résolu en un paragraphe – d’autant que je suis convaincue que l’orientation sexuelle ne se décide pas, étant selon toute vraisemblance une donnée hormonale de naissance (voir plus bas).
Même s’il est difficile de distinguer l’œuf de la poule, le féminisme produit du trouble mental, tout en étant lui-même une conséquence des troubles psychiques. Un cercle vicieux qui trouve actuellement son illustration parfaite dans la jeune femme née d’une « femme libérée des années 80 ♫ » (puis 1990, puis 2000), c’est-à-dire élevée sans père (« Elle a fait un enfant tou-ou-te seule ♪ ») et qui, arrivée à l’âge adulte avec des troubles psychiques importants (allant de la dépression à l’anorexie), va trouver dans le féminisme une église et un refuge pour exprimer sa souffrance et sa rancœur vis-à-vis de la gent masculine. Il ne fait aucun doute pour moi qu’il s’agit d’un continuum.
Le féminisme n’est pas un « empouvoirement », mais un « dépouvoirement » de femmes qui ont perdu la guerre de la compétition sexuelle à partir du moment où elles ont renoncé à la séduction, à la maternité voire même à l’hétérosexualité quand ce n’était pas dans leur nature profonde. Je considère en effet qu’il existe deux sortes de lesbiennes : celles qui le sont pour des raisons biologiques et congénitales – comme il en va de l’homosexualité masculine – parce que durant leur gestation, des influx hormonaux (ici d’androgènes), ont modelé leur cerveau en ce sens. Ces données biologiques irréversibles déterminent ensuite non seulement leur « genre », mais leur orientation sexuelle – et il n’y a rien à en dire, c’est la nature, c’est comme ça (sur ce sujet voir notamment les travaux de Jacques Balthazart, qui montrent que l’orientation sexuelle trouverait sa source dans les noyaux cérébraux de l’aire préoptique, dont la taille est déterminée par la testostérone prénatale). Comme la question difficile de l’inné et de l’acquis soulève toujours des polémiques, je rajoute ici cet échange avec Jaques Balthazart, où il résume clairement ses données sur l’origine biologique de l’homosexualité:
Et il y a les lesbiennes idéologiques, ces féministes militantes qui font du prosélytisme lesbien alors qu’elles ne sont pas de « vraies » lesbiennes. Ce genre de spécimen n’est en réalité que l’expression, non seulement de la misandrie congénitale de ce féminisme pathologique, mais surtout de la difficulté croissante des féministes à trouver des partenaires à la hauteur de leurs exigences :
Non merci. D’une part, l’orientation sexuelle ne se commande pas et d’autre part, je n’ai pas d’ordre à recevoir.
Ces femmes qui se sont elles-mêmes mises en retrait du marché amoureux, qui pleurent dans leur coin sur leur misère féministe au lieu d’aller au combat, de se frotter aux hommes (c’est une image !), ont en réalité déposé toutes leurs armes et renoncé à toute forme de pouvoir (car le pouvoir des femmes sur les hommes est évidemment immense depuis toujours – mais pour le savoir, encore faudrait-il être capable de s’extraire de ses jérémiades). Ce sont des perdantes, des femmes condamnées à se lamenter ad libitum en regardant passer le train de la vie. À leur décharge, ce n’est pas entièrement de leur faute, puisqu’avant même leur naissance, l’idéologie féministe ne leur avait laissé aucune chance.
On pourrait dire un mot aussi de l’injonction faite aux adolescentes de singer les hommes en misant tout sur leur carrière professionnelle et en reculant sans cesse leur projet de fonder une famille – jusqu’à devoir y renoncer, une fois leur fertilité en berne (l’endométriose fait en ce moment des ravages chez les trentenaires, mettant en péril leur capacité à procréer – cf.« Ça a détruit un peu ma vie » : Enora Malagré, pas d’enfant à 41 ans et anéantie). D’autant que l’on sait que tout miser sur sa carrière n’empêche pas de finir seule et dépressive, comme le montrent les chiffres : les cadres les plus malheureuses sont les femmes célibataires sans enfants – même quand leur vie professionnelle est une réussite. Je ne suis évidemment pas pour renvoyer les femmes à la maison : je suis simplement pour qu’on prenne en compte la maternité et qu’on la valorise, tout en permettant aux femmes de mener conjointement leurs deux vies, en encourageant tout à la fois le temps partiel, un congé de maternité pouvant être très long et bien sûr, la vie maritale, puisque les premiers ne peuvent aller sans la seconde.
Le féminisme terrorise les jeunes femmes en construction
C’est un des aspects les plus délétères et les plus honteux de l’idéologie féministe, car celle-ci cible prioritairement des enfants (avec la complicité de l’Éducation Nationale) et des adolescentes fragiles en devenir. Or l’intégralité du discours féministe, avec ses injonctions contradictoires, n’est plus qu’un discours de manipulation et de terreur qui ne peut que conduire à la scission psychique :
Les adolescentes sont terrorisées par un discours absolument mensonger et 100 % sexiste sur la « masculinité toxique » qui essentialise honteusement les garçons, les présentant tous comme des criminels en puissance qui n’en voudraient qu’à leur vertu ou leur vie. Je vais revenir plus bas sur ce nouveau « chœur des vierges en treillis » (la formule est d’Annie Le Brun) et leur vision rétrograde des relations H/F.
En attendant, cette terreur est telle qu’elle finit par perturber un grand nombre de jeunes femmes en souffrance – pour des causes diverses, dont souvent le manque de père – et qui, au-delà de l’anorexie ou de difficultés parfois causées par des caractères autistiques ou Asperger (assez fréquent chez les vraies lesbiennes ; probablement une forme du « cerveau masculin » de Simon Baron-Cohen), vont alors se tourner vers le changement de sexe. Caroline Eliacheff et Céline Masson parlent justement et courageusement de cette nouvelle épidémie dans leur dernier livre, La fabrique de l’enfant-transgenre, Paris, 2022. Comme C. Eliacheff le dit dans cet entretien avec l’Express :
« Dans tous les pays qui ont ouvert des consultations dédiées, le ratio s’est inversé entre garçons et filles. Nous n’avons pas d’explication définitive. Mais il semble y avoir aujourd’hui une difficulté, pour une majorité de ces filles, à assumer leur féminité. Cela ressemble d’ailleurs aux troubles du comportement alimentaire, et en particulier à l’anorexie mentale, qui concernent davantage les filles. Sur le plan social, le discours victimaire bat son plein : les filles sont exposées à l’inceste, au viol, aux violences conjugales, à la soumission… Ce n’est pas très engageant. »
En leur dépeignant un avenir d’esclavage et de soumission où elles seraient inexorablement piétinées par un « patriarcat » tout-puissant (en réalité totalement imaginaire), dans un monde cauchemardesque où le simple fait de mettre la tasse de son mari dans le lave-vaisselle constituerait le summum de la domination masculine, ces harpies féministes leur retournent la tête H24.
Quel paradoxe alors de voir des filles terrorisées par les hommes et dégoûtées des hommes… vouloir devenir des hommes ! Comment peut-on à la fois vomir la masculinité chez les autres et réclamer pour soi des hormones mâles ? Pourquoi n’aide-t-on pas plutôt ces jeunes femmes à incarner leur féminité et vivre heureuses avec ? Mais il faudrait pour cela pouvoir déconstruire en amont tout le discours toxique du féminisme victimaire et de ses oiseaux de malheur. Il me semble donc urgent de prendre conscience de la catastrophe qu’est, pour toutes ces adolescentes, l’injonction féministe à la victimitude, ce discours névrotique destiné à les cloîtrer dans une réalité parallèle dont elles ne pourront parfois plus jamais sortir, et qui n’est dans les faits qu’une manière de les déposséder de leur futur et de leur voler leur vie.
Les « lesbiennes butch » premières victimes de ce féminisme paranoïaque
Un petit tour sur un site de témoignages, essentiellement de jeunes femmes devenues hommes mais ayant décidé de détransitionnner afin de revenir à leur sexe biologique (donc des FtMtF : Female to Male to Female), fait clairement ressortir un profil aussi répandu qu’inattendu (enfin… pas tant que ça, puisqu’il illustre ce que j’écrivais plus haut) : celui de jeunes femmes « vraies lesbiennes », comme je dis, c’est-à-dire des lesbiennes biologiques, des filles qui au sortir de l’adolescence ou au début de l’âge adulte ne se révèlent attirées – quasiment, car il y a toujours des variantes individuelles – que par des femmes et qui ressentent un besoin irrépressible de masculiniser leur apparence ; ceci s’accordant avec de nombreux traits psychologiques et comportementaux inscrits en elles depuis toujours, que les hormones sexuelles vont révéler de manière incontournable à l’âge adulte. Comme l’explique en effet Jacques Balthazart, l’orientation sexuelle s’affirme à la sortie de l’adolescence sous l’expression d’hormones sexuelles qui vont réactiver un cerveau déjà présensibilisé à leur action par les hormones sexuelles prénatales.
Ce sont ici ce que l’on appelle les « lesbiennes butch » (« camionneuses » ou « hommasses »), des profils de femmes qui ont toujours existé, bien avant le déferlement de l’idéologie du genre, évidemment, puisque leur comportement serait principalement lié à la conformation des aires préoptiques de leur cerveau lors de la gestation. Ces lesbiennes butch ont alors pris de plein fouet l’injonction à changer de sexe et à s’identifier à des hommes ; histoire de coller à la nouvelle pathologie du sexe (en anglais : gender trouble) forgée par Judith Butler – alors que l’homosexualité n’est ni un trouble ni une pathologie, faut-il le rappeler ; c’est juste un état de la nature ! Ce n’est donc pas une construction sociale (l’hypothèse hormonale, à laquelle la voie épigénétique, qui commence à être explorée, pourrait apporter des pistes – même si gènes et hormones sont des choses différentes –, me semblant encore une fois la plus recevable scientifiquement). Voici quelques extraits assez parlants de ces témoignages :
« J’étais en pleine découverte de mes attirances lesbiennes aussi, alors j’ai décidé que je serais un homme trans hétéro. (…) J’ai finalement accepté ma vraie identité, celle d’une lesbienne butch ».
» Je suis une lesbienne butch de 25 ans. Je me suis identifiée ouvertement comme un homme trans pendant 6 ans, dont 3 durant lesquels j’ai transitionné médicalement. (…) Les hormones m’ont amenée à subir une hystérectomie. Elles m’ont causé une hypertension artérielle. (…) Je me suis rendu compte que je ne pourrais jamais être un homme biologique (…). Maintenant, je me réapproprie l’identité lesbienne butch et je m’épanouis en devenant la femme lesbienne que j’ai toujours été ».
« Je suis une femme, je suis lesbienne. Pas à cause d’une sensation particulière dans ma poitrine, pas parce que c’est un désir ou un choix. C’est simplement la vérité factuelle de mon existence. «
« Peu après le début de ma transition, ma santé mentale et physique s’est détériorée. Cela a changé ma vie d’une manière que je regrette à présent. Je sais maintenant que je suis simplement une lesbienne butch ».
Mais à lire ces témoignages, ainsi que d’autres en ligne, il ressort également que ces filles ont toujours subi le matraquage et le lavage de cerveau féministe victimaire, ce délire paranoïaque en barre, cette féminophobie en roue libre qui essaie de faire croire à toutes les jeunes femmes en construction qu’être biologiquement une femme, en gros, c’est de la merde (je caricature à peine). Dans les témoignages du site Post-Trans, on lit aussi ceci :
« Je prévois d’arrêter de prendre de la testostérone et de revenir à une apparence plus féminine afin de lutter contre l’image négative des femmes que j’ai intériorisée et d’en accueillir une nouvelle, plus forte ».
« Vers la fin du temps où je m’identifiais comme un homme trans, j’ai réalisé que je n’aimais que les femmes. Mais je m’identifiais tellement à l’identité gay que j’ai décidé que je serais un homme bisexuel. Cela était dû en grande partie au déséquilibre de pouvoir entre les hommes et les femmes et aussi parce que je me savais être homosexuelle. »
« Lorsque j’étais trans, j’avais l’impression qu’être un homme gay résoudrait certains de mes problèmes comme la haine que j’avais envers moi-même, mon manque de relation à la féminité et un mal-être général. Je pensais que la masculinité gay serait plus sûre et respectable que d’être une femme en dehors des normes de genre. Je me suis injectée de la testostérone et j’ai subi une mastectomie. Elle a été approuvée par mes médecins même si j’étais suicidaire à l’époque. Mais ma transition ne m’a pas aidée à me sentir mieux ».
Tout ceci irait donc dans le sens que j’ai donné à ce petit billet : le discours du féminisme victimaire (et du féminisme trans) aurait véritablement des conséquences délétères sur bien des jeunes femmes, dont certaines vont se retrouver stérilisées, mutilées à vie ou en proie à des troubles pouvant aller jusqu’au suicide… parce qu’elles auront été convaincues qu’être une femme en France au XXIe siècle, c’est à peu près comme vivre dans un camp de concentration ! Il va vraiment être temps que ce délire s’arrête !
Le féminisme célèbre la laideur physique et la bassesse morale, vouant une haine féroce non seulement à la féminité, mais aux femmes elles-mêmes
La bassesse morale est ce reflexe conditionné qui conduit toute féministe à sombrer dans la misandrie et le sexisme les plus décomplexés aussitôt qu’un homme lui cause la plus petite contrariété ; réflexe de petite princesse narcissique qui la conduit à piétiner toutes les valeurs de l’humanisme et à conchier la moitié du genre humain sur la base de son sexe, avec des concepts aussi lamentables que la « masculinité toxique », la « culture du viol » ou le « blantriarcat » (qui associe racisme et sexisme). J’en parle dans cet article.
Je pourrais développer aussi sur le néo-féminisme allié à l’activisme trans qui interdit désormais de faire la moindre allusion à la réalité biologique du sexe féminin – mais des voix qui portent largement s’en sont déjà emparées et c’est tant mieux. Rappeler qu’une femme est une créature dotée d’organes sexuels féminins pourrait donc me valoir une accusation de transphobie et un harcèlement sur les réseaux sociaux, comme ce qui est arrivé à J. K. Rowling. Depuis cet épisode, plus personne aujourd’hui ne peut ignorer que le néo-féminisme est parti en guerre non seulement contre la féminité, mais contre toute femme bien dans sa peau qui se contreficherait des nouvelles élucubrations transidentitaires. C’est ainsi que derrière la lutte contre « l’hétéronormativité sexuelle », concept forgé par l’imposteur en chef Judith Butler, se cache en réalité une guerre sans merci contre toute forme de féminité assumée.
Des « vierges en treillis » au féminisme trans : le grand retour de la bitophobie
Comme le relate la légende de sainte Eugénie, la vierge-moine du chapiteau de Vézelay, c’était, comme pour nos féministes trans d’aujourd’hui, le sentiment exacerbé de la fragilité de son sexe qui l’avait poussée à se travestir en homme, une manière tout à la fois de protéger sa virginité et de gagner en pouvoir. Je cite le passage de la légende où son auteur met dans la bouche d’Eugénie une explication qui pouvait valoir pour son siècle et qui, à mon grand étonnement, semble toujours d’actualité :
« Car je suis une femme par le sexe, et parce que je ne pouvais pas réaliser mon désir et servir Dieu comme je l’estimais nécessaire et en toute sécurité du fait d’être une femme,je me suis donc déguisée en homme, et d’une manière juste et appropriée, j’ai dissimulé mes charmes ; dans l’émulation et à l’exemple de ma maîtresse Thècle, fuyant ce qui est destructible et éphémère, j’étais résolue à atteindre les bontés du ciel. C’est pour conquérir une telle gloire et satisfaire mes envies de vertus divines que j’ai déguisé la fragilité de mon sexe sous des vêtements masculins. Pour cette cause et parce que j’étais piquée du désir du culte divin, j’ai pris la forme d’un homme, afin qu’au masculin je puisse courageusement garder intacte ma virginité » (Actes de sainte Eugénie, traduction d’une version arménienne de la légende datant des Ve-VIe siècles).
Dix-sept siècles plus tard, nous en sommes donc exactement au même point avec les féministes du genre, éternelles vierges apeurées qui n’ont d’autre solution que de se faire passer pour des hommes afin de tenir à distance tout commerce charnel avec eux. Autant au IVe siècle, et bien qu’il s’agissait de comportements inspirés par les sectes gnostiques, cela pouvait paraître justifié – que ce soit par envie sincère de spiritualité ou pour échapper à des mœurs sociales laissant peu de champ au célibat volontaire (les couvents se sont développés ensuite, permettant d’accueillir ces femmes désirant échapper au mariage et à la procréation) ; autant au XXIe siècle, au terme de tant d’évolutions sociétales, psychologiques et politiques, on pourrait se demander pourquoi tant et plus de jeunes femmes en arrivent à se victimiser au point d’opter elles aussi pour le changement de sexe, en proie au même irréductible effroi devant le sexe masculin.
Tout ceci est bien évidemment l’œuvre du matraquage des nouvelles puritaines féministes et de leur bitophobie congénitale. Si à l’époque de la libération sexuelle des années 1960-1970, les féministes avaient cru surmonter leur antique terreur, celle-ci a reflué tel un tsunami dès les années 1980, avec la reprise en main des universités américaines par les idéologues du genre et leurs bataillons de féministes misandres, lesbiennes ou névrosées. J’ai déjà évoqué ce tournant féministe face au pénis (cf.« L’envie du pénis chez les féministes »), quand la fascination phallique s’est commuée en jalousie pathologique et en rage féroce. Les anciennes féministes étaient davantage dans la fascination et le sentiment de liberté, les nouvelles se sont enferrées dans la fureur et le ressentiment.
Les conséquences de l’idéologie du genre, on les constate aujourd’hui dans cette frayeur rétrograde et irrationnelle devant tout homme, chez toutes ces jeunes femmes manipulées par les féministes, qui se mettent à haïr toute forme de féminité en elles, terrorisées qu’elles sont par le genre masculin – mais tout autant fascinées, puisqu’elles veulent s’approprier ce sexe et le pouvoir qu’elles lui attribuent. La fascination phallique est donc plus que jamais d’actualité chez les féministes du genre qui transitionnent, ce qui semble curieusement leur échapper.
Les origines gnostiques et sectaires de l’idéologie du genre, à travers leur objectif commun d’abolir la biologie et les différences sexuelles, sont aussi un aspect qui n’est pas suffisamment souligné. Nous sommes ici dans des postures bien connues des historiens des idées religieuses ; de celles qui participent de la condamnation de la chair et du puritanisme les plus exacerbés.
La féminophobie féministe ou la misogynie de l’idéologie du genre
Il me reste à conclure sur la manière dont ce féminisme hait la féminité et pousse les femmes à se haïr pour ce qu’elles sont biologiquement et anthropologiquement.
C’est un des aspects les plus inattendus en apparence, que cette misogynie décomplexée qui s’affiche désormais sous l’égide du féminisme, au nom de l’indifférenciation des sexes et de la négation de la biologie. Le néo-féminisme en est arrivé à pourchasser toute femme qui s’identifierait biologiquement comme une femme, considérant que sa génétique, ses caractères sexuels et son hétérosexualité, pour peu qu’ils lui conviennent, sont une forme naturelle de transphobie, d’homophobie ou « d’hétéronormativité », autant de marques d’infâmie distribuées au fusil automatique par la nouvelle police de la pensée woke ou d’extrême gauche. Si une femme assume sa beauté physique et gagne sa vie avec, les féministes peuvent lui faire perdre son travail. Si elle fait des efforts pour rester mince, elle est accusée de grossophobie. Si elle ne cultive pas la haine de soi, elle est rétrograde (lire : Jean-Marc Albert, « L’idéologie du genre ou la haine de soi » ). Si elle trouve que se rouler dans sa fange en exhibant ses règles ou en se promenant avec des sachets d’excréments n’est pas pour elle, elle est une affreuse réactionnaire, etc. On pourrait prolonger indéfiniment cette liste, mais je vais m’arrêter là pour aujourd’hui. Je sais déjà que le futur proche ne manquera pas de me livrer pléthore d’exemples édifiants démontrant que le projet néo-féministe d’abolir la féminité n’est pas une simple vue de l’esprit.
Même si le féminisme n’est pas la cause unique de cette disparition programmée, il y aura largement contribué – n’ayant de cesse depuis des décennies de militer contre la maternité et de repousser toujours plus tardsa mise en œuvre. Les résultats sont encore plus dramatiques qu’attendu, puisqu’ils conduisent non seulement à une dénatalité tragique d’un point de vue démographique et économique, mais également au désespoir, sur le plan personnel, pour nombre de femmes qui ne deviendront jamais mères ou grand-mères – et qui, du haut de leurs vingt ans, n’avaient jamais anticipé ce que serait la seconde partie de leur vie, entre solitude et dépression. Parce que ces questions concernent donc, directement ou indirectement, la question du féminisme et de ses méfaits, je partage cette interview parue dans Le Point.
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Le Point.fr, n° 202203
Santé, mardi 22 mars 2022
Propos recueillis par Héloïse Rambert
ENTRETIEN. L’infertilité gagne du terrain sur toute la planète. Au point de menacer l’avenir de l’humanité, prévient le professeur Hamamah.
Notre survie comme espèce est en danger. Un rapport sur l’infertilité en France, remis le 21 février 2022 au ministre de la Santé, Olivier Véran, et à Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de la Protection de l’enfance, dresse un bilan absolument alarmant de notre santé reproductive. Comment en sommes-nous arrivés là ? Alors que le recours à l’assistance médicale à la procréation ne cesse de progresser, que sait-on aujourd’hui de l’infertilité et de ses causes ? Comment sauver notre peau ? Le professeur Samir Hamamah, chef de service de biologie de la reproduction au CHU de Montpellier et coauteur du rapport, avance quelques pistes.
Le Point : L’infertilité est-elle un problème fréquent ?
Samir Hamamah : Extrêmement fréquent. En France, 3,3 millions de personnes sont touchées. Autrement dit, 6,6 millions de personnes appartiennent à un couple confronté à ce problème. Pour rappel, on parle d’infertilité lorsqu’un couple ne parvient pas à concevoir naturellement après un an de rapports sexuels réguliers. C’est un gigantesque problème de santé publique. La France n’est évidemment pas le seul pays qui doit faire face à l’infertilité. Pour dresser notre rapport, ce qui nous a pris de longs mois, nous nous sommes intéressés à tous les pays qui disposent de données sur le sujet. Nous avons auditionné 140 experts dans le monde. Tous les continents, tous les pays sans exception, sont concernés. Il y a autant de personnes infertiles que de personnes diabétiques. Je savais déjà que notre santé reproductive était menacée, mais c’est plus que cela : l’espèce humaine tout entière est en danger de disparition.
À quelle échelle de temps ?
Les scénarios les plus pessimistes prévoient une extinction de l’espèce dans un siècle et demi. Deux siècles pour les plus optimistes.
C’est alarmant ! Quelles données nous permettent de faire ces projections ?
Au cours des trente dernières années, les hommes ont perdu plus de 50 % de leur production spermatique. Mais cette dégradation a commencé bien avant. Déjà en 1992, une étude danoise, parue dans le New England Journal of Medicine, estimait que depuis les années 1930 les hommes avaient perdu 1 million de spermatozoïdes par gramme de testicule et par an ! Au Danemark, un pays à la pointe dans le suivi de la fertilité, en 2040, tous les hommes en âge de procréer pourraient être infertiles si la baisse de qualité du sperme continue à ce rythme. En France, le nombre d’enfants par femme est descendu à 1,83. Au Portugal, en Espagne ou en Italie, il est de 1,3.
Pour faire perdurer une société, ce taux doit être de 2,6 au moins. Deux pays se préoccupent particulièrement de leur démographie. La Chine, d’abord : la natalité a chuté en 2021 à un niveau historiquement bas. À tel point qu’on prévoit que dans les 40 à 50 prochaines années, le pays pourrait perdre 50 % de sa population. La Russie est aussi en mauvaise posture. Il n’y a qu’à regarder le nombre de centres de PMA [procréation médicalement assistée, NDLR] que compte la ville de Moscou : 82, pour une population de 12 millions d’habitants. En comparaison, en France, nous avons 103 centres pour 67 millions d’habitants. Les Russes font tout pour renouveler leur population.
Comment expliquer une telle « épidémie » d’infertilité ? La baisse de la qualité du sperme est-elle le seul facteur ?
Non. Déjà, dans 10 à 15 % des cas, l’infertilité reste inexpliquée. Sinon, il y a trois grandes causes possibles, qui sont en fait étroitement intriquées. En premier lieu, ce que j’appelle les causes sociétales, qui poussent les femmes à retarder leur projet parental. Elles prennent le temps de terminer leurs études, de s’installer dans leur vie professionnelle et de trouver le « prince » ou la « princesse ». En l’espace de trente ans, l’âge moyen du premier accouchement des femmes françaises, par exemple, a reculé de cinq ans. Autrement dit, dans l’infertilité, la première cause, c’est l’âge de la femme. Aujourd’hui, une femme de 30 ans a un risque sur quatre de rencontrer des problèmes d’infertilité. À 40 ans, c’est une femme sur deux. Notre santé reproductive est aussi le miroir de notre hygiène de vie. L’excès de poids, le stress, la consommation de tabac, d’alcool ou de café en excès, ou encore le manque de sommeil : tout cela lui nuit. De véritables causes médicales, qui touchent à parts égales les hommes et les femmes, sont bien sûr possibles. Il peut s’agir de trompes bouchées, d’une insuffisance ovarienne prématurée ou d’un sperme très altéré. Et puis, il y a les causes environnementales.
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L’infertilité, un problème sociétal ou environnemental ?
Quelles sont-elles ?
Nous sommes bombardés par les perturbateurs endocriniens, des molécules chimiques qui parasitent notre système de régulation hormonale. Ils sont reprotoxiques pour les hommes comme pour les femmes. Ils sont partout dans nos cosmétiques, nos produits d’entretien ou notre nourriture. Ce sont des métaux lourds, des solvants, des pesticides… La liste est sans fin : on a recensé plus de 300 000 molécules chimiques pouvant être des perturbateurs endocriniens. Et nous sommes quotidiennement exposés à une centaine d’entre eux. C’est un scandale sanitaire qu’il faut absolument aborder avec transparence. Les écologistes nous parlent de l’effondrement des écosystèmes et de la biodiversité. Mais les êtres humains, aussi, sont gravement menacés !
Mais la PMA ne peut-elle pas être une réponse à l’infertilité ?
La PMA, c’est l’arbre qui cache la forêt. On a occupé l’espace médiatique depuis quarante ans en laissant croire, sans le vouloir et sans le savoir, que c’était une solution miracle à toutes les sortes d’infertilité. C’est faux : dans deux cas d’infertilité sur trois, elle est inefficace. Ce qu’il faut faire, c’est mettre en place une vraie politique de prévention, c’est agir bien en amont en informant de manière individuelle et collective sur la santé reproductive et sur tous les facteurs qui peuvent l’altérer.
Que recommandez-vous ?
Nous préconisons la création d’un logo qui alerte sur la reprotoxicité de tous les produits de la vie courante. Chaque jeune femme devrait avoir conscience, quand elle achète un parfum ou un fond de teint, que ce sont des produits qui peuvent avoir une influence néfaste. Dès le collège, il faudrait pouvoir donner aux jeunes des clés pour préserver leur santé reproductive. J’insiste, il ne s’agit en rien de promouvoir une politique nataliste. Simplement d’informer. À l’échelle nationale, nous demandons la création d’un institut national de la fertilité, sur le modèle de l’Institut national du cancer (Inca), pour incarner, coordonner, piloter, prioriser et promouvoir la recherche et l’innovation. Je le répète, il s’agit ni plus ni moins de préserver l’espèce humaine. Nous avons une responsabilité collective.
ENTRETIEN. L’anthropologue publie un livre audacieux sur les raisons de l’ascension des femmes et ses conséquences individuelles et collectives.
« L’avenir de l’homme est la femme », a écrit Louis Aragon. Une poignée de décennies plus tard, les femmes sont à l’honneur de la campagne présidentielle française, et aux premières places, puisque les candidates constituent à elles seules près de 40 % des intentions de vote dans les sondages. Qui aurait pensé qu’un jour les partis historiques de la Ve République – le RPR devenu LR, le PS – et même le RN, pourtant peu réputés pour leur promotion des femmes, désigneraient pour la course à l’Élysée des représentantes du beau sexe ? À ceux qui pensent – comme un autre candidat – que les femmes n’incarnent pas le pouvoir, on peut répondre que les hommes ne l’incarnent pas forcément non plus. Tous, hommes et femmes politiques, sont désormais considérés à égalité, venant exaucer malgré eux le voeu de Françoise Giroud, pour qui « la femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente ».
Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. En Occident, le raz-de-marée féminin se poursuit : elles sont les meilleures à l’école, elles sont majoritaires dans certains secteurs, elles sont maîtresses de leurs corps. Que subsistent des poches où les hommes restent plus nombreux et plus puissants ne doit pas masquer l’ampleur de la révolution qui est en cours et qui, à l’échelle de l’humanité, est aussi récente que spectaculaire. Et pourtant, là même où celle-ci est la plus avancée, les femmes peuvent ressentir de la frustration et voir dans une « guerre des sexes » une issue à leurs difficultés – comme en témoigne par exemple le succès spectaculaire du dernier livre de Mona Chollet, Réinventerl’amour (Zones).
C’est cette révolution que l’anthropologue Emmanuel Todd, connu pour ses travaux sur les systèmes familiaux, dissèque dans un ouvrage magistral, où il passe au crible les racines de l’ascension des femmes, leur situation actuelle, parfois dominante, et les nouvelles contradictions qui en découlent. Dans Où en sont-elles ? Une esquisse de l’histoire des femmes (Seuil), il nous parle autant de l’émancipation des femmes pour elles-mêmes que de l’apport de celle-ci pour l’ensemble de la société, de l’ascension du secteur tertiaire au détriment de l’industrie à la baisse de l’homophobie en passant par la hausse de l’individualisme.
Le Point : Pourquoi vous tourner vers l’histoire des femmes ?
Emmanuel Todd : C’est un travail que je voulais faire mais que j’avais toujours évité : utiliser ma compétence d’anthropologue de la famille pour interroger le présent des structures familiales – et donc des femmes. Il existe une rémanence des structures familiales du passé, ce qui permet de comprendre le présent. Mais c’est un sujet techniquement très compliqué. #MeToo m’a poussé à entrer dans ce sujet quand le mouvement a commencé à me sembler exagéré. Observer la montée de ce que j’appelle un « féminisme antagoniste » à l’américaine en France, ce pays où les rapports entre hommes et femmes étaient d’ordinaire de l’ordre de la camaraderie, me surprenait, m’agaçait même.Mais c’est très rapidement devenu un objet de recherche. À ce stade, la dimension idéologique du sujet ne m’intéressait plus. Ma plus grande crainte est que les gens ne voient pas ce que j’ai mis de science dans ce livre.
Vous expliquez dès le début de l’ouvrage ne pas vouloir employer le terme de « genre » mais seulement de « sexe ». Pourquoi ?
En m’intéressant à la question des transgenres, qui fait partie du sujet, j’ai été pris d’un vertige : il était tout bonnement impossible d’avancer dans ma recherche en gardant le mot « genre ». C’est là que j’ai pris la décision de lui préférer le mot « sexe », en définissant au début de l’ouvrage comme femme tout être humain capable de porter un enfant, sauf accident de stérilité.
Pourquoi impossible ?
Le concept de genre est essentiellement utilisé en sciences sociales. Il renvoie à une intention première utile : étudier l’évolution du statut des femmes. Mais il a fini par remplacer en pratique le mot « sexe » dans le gros de la littérature scientifique et les sondages. Cela ne sert à rien. Dans le même temps, il est idéologiquement chargé parce qu’il porte en lui-même l’idée qu’il n’existe pas de situation où les femmes sont dominantes. Je ne suis pas contre l’analyse des rapports de domination. Je suis historien et l’Histoire en est emplie. Mais il faudrait pouvoir analyser les dominations des femmes quand elles existent. Or le « genre » ne le permet pas. Par exemple, quand le Gender Gap Report du Forum économique mondial mesure le niveau éducatif des hommes et des femmes, une fois que les femmes ont rattrapé les hommes dans l’éducation, un score de 1 est atteint et jamais dépassé : on ne mesure plus les situations, aujourd’hui très répandues, où les femmes font plus d’études que les hommes. Enfin, le « genre » ne s’intéresse qu’aux situations intrafamiliales de domination masculine entre époux mais oublie celles d’égalité relative comme les rapports frère-soeur et surtoutles rapports mère-fils, qui sont typiquement des cas de domination féminine. Les théories du genre deviennent donc un cache-sexe des cas de matridominance – de domination des femmes.
La première partie de votre livre est consacrée à un retour vers les sociétés de chasseurs-cueilleurs pour rendre compte de la situation actuelle des femmes en Occident. Expliquez-nous.
Nous vivons une révolution du statut des femmes. Mais il faut savoir d’où l’on part. On estime généralement que les sociétés économiquement arriérées du gros de l’Eurasie – monde arabe, Inde, Russie -, parce qu’elles sont en retard économiquement, sont en retard sur tous les tableaux. En fait, l’histoire des formes familiales montre que c’est faux : ces sociétés sont les plus complexes du point de vue des systèmes familiaux, tandis que les nôtres sont plus proches des sociétés originelles de chasseurs-cueilleurs. Pour que vous compreniez mon raisonnement, je dois introduire ici un concept très important dans mes travaux, le « principe de conservation des zones périphériques », qui m’a été transmis par mon ami linguiste Laurent Sagart. Si sur une carte vous observez une masse centrale d’un seul tenant et des points périphériques qui sont tous identiques, cela veut dire qu’à une époque tout le territoire était couvert par A, puis qu’une innovation est apparue au milieu, B, qui s’est répandue vers l’extérieur et a laissé subsister les taches A tout autour. Plus les taches A sont nombreuses, plus la probabilité statistique que cela soit vrai est élevée. Ce qui se trouve au centre est innovateur; ce qui se trouve autour est archaïque. On peut lire l’Histoire dans une carte.
Quel rapport avec les femmes ?
Sur la carte des structures familiales mondiales, on trouve à la périphérie – l’Amérique du Nord, le Royaume-Uni, le bassin parisien, la Scandinavie, l’Espagne centrale, les Philippines – un monde libéral avec des systèmes familiaux nucléaires (un père, une mère, des enfants) et au centre les pays africains et eurasiatiques avec des systèmes très complexes organisés autour des hommes dans de grandes familles (des systèmes dits patrilinéaires et communautaires). Ces zones périphériques ont donc conservé, avec évidemment des changements, la forme ancienne de la famille. Les sociétés que l’on considère comme extrêmement modernes – elles ont fait les révolutions libérales des XVIIe et XVIIIe siècles et ont produit des penseurs comme Locke ou Rousseau – ont en réalité le même système familial que celui des chasseurs-cueilleurs. Avec une différence : les rapports entre frères et soeurs ont perdu de leur importance. Parce que les faits sont essentiels dans notre monde saturé d’idéologie, nous avons mis en ligne les données et les cartes dérivées de l’Atlas ethnographique de George Murdock [dont l’auteur se sert pour étayer sa démonstration, NDLR]. Nous donnons dans le livre l’adresse du site où le lecteur pourra lui-même croiser les données pour produire les cartes qui l’intéressent.
Dans ces cultures individualistes, le statut des femmes est relativement élevé : on observe une patridominance, certes, mais elle n’a rien à voir avec celle des sociétés patrilinéaires. Dans l’Occident étroit, notre révolution féministe, tout à fait réelle, prend donc appui sur un statut de la femme qui est resté assez élevé comparé à l’Eurasie, où celui-ci a connu un abaissement plurimillénaire. Ce qui explique l’apparition des formes complexes de la famille, et donc l’abaissement du statut des femmes dans les régions centrales, est l’émergence de l’agriculture.
Comment sait-on comment vivaient les chasseurs-cueilleurs ?
Par ce qu’il en reste ! Le plus gros échantillon, qui a été très bien étudié, est celui des Indiens d’Amérique du Nord qui ont échappé à l’agriculture. On en trouve aussi en Amazonie, en Afrique du Sud, à l’intérieur de la Malaisie et des Philippines, en Australie. Les Indiens d’Amérique sont un modèle parfait de famille simple archaïque et bilatérale (où les branches paternelle et maternelle ont une influence semblable), et ils poussaient l’égalité des sexes jusqu’à pratiquer la polygynie et la polyandrie. Au-delà de l’argument empirique, il suffit de raisonner : comment les chasseurs-cueilleurs auraient-ils pu adopter une structure familiale complexe alors qu’il n’y avait chez eux rien à transmettre à une descendance ?
Vous montrez que la matridominance actuelle se lit d’abord dans la réussite scolaire des filles. Or, et c’est le plus frappant, elle est bien plus ancienne qu’on ne le pense.
Cette découverte a représenté un tournant dans ma recherche. Je cherchais un matriarcat à venir : je savais que les femmes faisaient plus fréquemment des études supérieures que les hommes et je pensais que cela aurait des conséquences pour l’avenir. En me plongeant dans les statistiques, j’ai compris à quel point le dépassement éducatif des hommes par les femmes était ancien : le dépassement au niveau du bac est… mon bac, le bac 1968 ! Cette avancée concerne donc des personnes aujourd’hui retraitées, et ce depuis plusieurs années. Cela permet de comprendre que le « féminisme antagoniste » n’est pas fondamentalement lié à une résistance masculine, qui n’a d’ailleurs probablement jamais existé, même si on l’observe toujours dans certains secteurs – le haut de la bureaucratie d’État ou du secteur capitalistique -, mais plutôt par des contradictions présentes dans la condition féminine actuelle.
Comment cela ?
Par exemple, dans les couples de classes moyennes, la femme est de plus en plus souvent davantage diplômée que l’homme – ce qu’on appelle l’hypogamie, par opposition à l’hypergamie. Cette situation est globalement acceptée par tous, mais mieux par les hommes que par les femmes ! Il y a même des femmes qui n’ont aucun diplôme mais n’accepteraient pas un homme moins diplômé qu’elles. Ce qu’il reste d’aspiration hypergamique, qui était la norme autrefois, subsiste chez les femmes, pas chez les hommes. Vous me direz que c’est un constat de bon sens, et vous aurez raison.
Mais, précisément, ce bon sens est aujourd’hui décrié !
Par les idéologues. L’idéologie, ça existe, et l’hégémonie idéologique aussi : des gens qui disent n’importe quoi avec sincérité et l’appui d’une majorité sociale localisée dans certaines classes. Quand on dit des choses de bon sens, on est alors traité en paria. C’est le conflit fondamental qui m’oppose à la société française dans tous les domaines : je suis un empiriste, mais dans notre société beaucoup de gens ont un problème avec la réalité. On dira de moi que je suis un néoconservateur puisque j’ose dire qu’il y a des différences entre les hommes et les femmes. C’est ce qui arrive quand on n’est pas idéologue.
Vous expliquez que l’ascension des femmes a stimulé le développement du secteur tertiaire. N’est-ce pas plutôt l’émergence du tertiaire qui a contribué à cette émancipation ?
Les modèles n’offrent jamais de certitude absolue. Le moteur de l’émancipation féminine est le développement de l’éducation, qui porte la double potentialité d’une tertiarisation de l’économie et d’une avancée féminine. À un certain niveau, le développement du tertiaire et l’émancipation des femmes sont la même chose; au-delà, dans certains pays, ce développement va plus loin que la moyenne mondiale, dans d’autres c’est le contraire. La tertiarisation a été accentuée par la globalisation et s’est produite dans les sociétés où l’émancipation des femmes a été la plus forte. Les conclusions pratiques que j’en tire sont qu’il y a une forme d’absurdité à insulter les sociétés restées conservatrices sur le plan des moeurs – par exemple les nations ouvrières d’Europe de l’Est – car la raison du maintien de ce conservatisme est leur spécialisation industrielle et la permanence d’un certain statut des hommes. En d’autres termes, notre féminisme se nourrit du travail des prolétaires des anciennes démocraties populaires. Je ne prends pas parti, je me contente de décrire une situation somme toute ironique.
L’émancipation des femmes étant faite, vous notez qu’elles entrent dans une situation d’« anomie douce ». De quoi s’agit-il ?
Le concept d’anomie est apparu chez Durkheim, qui explique ainsi le taux de suicide de son époque : dans une société qui n’est plus traditionnelle, les individus ne savent plus quoi attendre de la vie, ce qui entraîne d’importantes déceptions. Il pensait essentiellement aux hommes. Le problème des femmes à cette époque, dont le taux de suicide était et reste trois à quatre fois inférieur à celui des hommes, était la recherche d’un bon mari, pas l’autonomie. Si l’on cesse de regarder les femmes comme des victimes – sans nier les violences qu’elles peuvent subir -, ce qui est mon ambition dans ce livre, on se rend compte que, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, elles existent vraiment par elles-mêmes mais sont aussi hiérarchisées directement comme les hommes. Devenant de vrais individus, elles sont assaillies par le problème décrit par Durkheim pour les hommes en 1897. Cette anomie reste « douce » parce que tout est plus doux aujourd’hui, que le taux de suicide s’effondre pour tout le monde, que celui des femmes est très faible. Au sortir de leurs études, comme les hommes, elles ne sont pas toujours au clair sur ce qu’elles peuvent attendre de la vie – d’autant que nous sommes dans une période de régression économique. De surcroît, quoi qu’on en dise, elles gardent cette capacité à porter des enfants, qui est une option supplémentaire, mais dans un espace de dix à quinze ans seulement. Tout cela est banal : c’est ce que vivent les gens, et vous n’en trouverez pas trace dans les études de genre ! Cette situation n’est pas forcément plus difficile, mais plus complexe. Les hommes, eux, sont toujours soumis à la même logique : travailler ou mourir de pauvreté. C’est cette relativement plus grande simplicité de la condition masculine qui permet d’expliquer cette pellicule résiduelle de domination. La réalité du féminisme antagoniste, c’est le ressentiment de femmes qui ont fait des études supérieures contre des hommes qui ont trop travaillé parce qu’ils ne pouvaient pas porter d’enfants.
=> Sur le concept d’anomie : Emmanuel Todd explique ici une des causes majeures du ressentiment féministe : l’égalité obtenue et la liberté gagnées ont généré la nécessité pour les femmes de faire face à leur destin et de se comporter comme de grandes filles – ce qu’elles ont à mon sens bien du mal à faire :
Emmanuel Todd dans C ce soir du 23/01/022 explique le féminisme antagoniste par l’anomie, ce qui me semble très juste.
Pourtant la France n’était pas prédisposée, dites-vous, à ce « féminisme antagoniste ». Vous expliquez que cela provient chez nous d’une dynamique de classe… tout en reprenant le concept d’intersectionnalité ! Expliquez-nous.
Dans mon livre, je me penche sur trois concepts centraux des études de genre. J’examine le concept de genre, que je rejette; celui de patriarcat, que je rejette aussi car il efface toutes les différences entre cultures et donc ne sert à rien; j’arrive à celui d’intersectionnalité. Et là, je me rends compte qu’il est utile, mais pas comme elles le prétendent – elles, parce que les universitaires qui l’emploient sont en majorité des femmes. L’intersectionnalité est née aux États-Unis des questions raciales, qui y sont fondamentales; elle décrit le croisement des deux dominations que sont la condition de femme et de Noir. Ce concept a très bien pris dans l’université française, mais cela ne peut pas fonctionner en France parce que nous ne sommes pas sensibles aux classifications raciales. En revanche, comme il est toujours intéressant de croiser des variables, je propose un concept d’intersectionnalité généralisée où je croise le sexe avec la variable de classe : quand on navigue entre le monde anglo-américain et la France, on sait que le premier est obsédé par les questions raciales et la seconde par les questions de classe. En simplifiant énormément, si je reviens à la question qui me troublait au début (comment se fait-il que le modèle de camaraderie hommes-femmes qui caractérisait la France par rapport au monde anglo-américain s’efface au profit d’un modèle antagoniste ?), je déduis qu’il ne faut pas chercher la réponse du côté des questions de race mais de classe. En d’autres termes, il y a une opposition entre une classe moyenne très éduquée à dominante féminine et une classe supérieure occupant les postes de pouvoir à dominante masculine.
Plus globalement, le féminisme antagoniste provient d’une superposition dans la situation historique et sociale française de phénomènes liés à l’émancipation des femmes, aux contradictions nouvelles de la condition féminine et à ces phénomènes de conflits de classe nouveaux. Il faut apprendre à lire la structure sociale du point de vue des femmes : la structure de classe masculine est polarisée, avec une surreprésentation des catégories supérieures et inférieures; la structure de classe féminine est majoritairement classe moyenne et « petite-bourgeoise ». D’où cette conclusion que le genre est une idéologie petite-bourgeoise.
Les féministes d’aujourd’hui n’accepteraient sans doute pas une analyse sociale de leur « combat ».
La fausse conscience idéologique fait partie de l’Histoire. L’idéologie au sens de Marx est cette capacité totalement inacceptable vue du monde extérieur à croire que sa position de classe représente quelque chose d’universel. Autant je reconnais au féminisme des première et deuxième vagues, porté par des femmes bourgeoises et militant pour le droit de vote et l’émancipation sexuelle, d’avoir été bénéfique à toutes les femmes, autant ce que l’on vit actuellement, le féminisme antagoniste, certes toujours porté par des femmes d’un certain milieu, est une catastrophe pour les milieux populaires. Il fait peut-être plaisir à des petites-bourgeoises dans l’université mais il empoisonne les rapports entre hommes et femmes dans les milieux où l’on a le plus besoin de la solidarité du couple. Je reconnais effectivement à l’idéologie du genre une responsabilité dans l’augmentation du nombre de familles monoparentales, qui se trouvent de plus en plus dans les milieux populaires et de moins en moins dans les catégories moyennes et supérieures.
Vous faites aussi le lien entre l’émancipation féminine et de très nombreux phénomènes : l’accroissement de l’individualisme et l’abandon de l’engagement collectif, l’effondrement de la religion, des grandes idéologies et de l’appartenance identitaire, la tolérance à l’homosexualité, l’accroissement du phénomène transgenre, et même la montée de la « cancel culture » ! C’est quand même beaucoup…
Quand on fait de l’anthropologie, la question des femmes est centrale, ce qui explique pourquoi les études de genre ne peuvent rien lui apporter et l’ont d’ailleurs dans les faits fortement abîmée. En revanche, le féminisme appliqué à l’histoire est une excellente chose. Je me suis rendu compte à quel point j’avais sous-estimé dans mes analyses de la France contemporaine le rôle de l’émancipation des femmes non pas seulement pour leur propre bénéfice mais dans la mécanique sociale générale. J’avais vu par exemple qu’à la source de la déchristianisation se trouvait le développement des études supérieures, mais à aucun moment je n’avais été capable de constater que le coeur de ce développement, c’étaient les femmes. C’est pourquoi, dans ce livre, je remets les femmes au centre de l’histoire depuis Mai 68 – le bac du dépassement féminin.
Qu’en est-il du lien entre femmes et accroissement de l’individualisme ?
C’est un fonctionnalisme dynamique raisonnable qui m’amène à cette conclusion : vous ne pouvez pas imaginer qu’il se passe des phénomènes extrêmement importants dans une société d’un côté, d’autres phénomènes tout aussi importants de l’autre, et qu’il n’y ait aucune interaction entre eux. Deux éléments sont centraux dans l’évolution des sociétés occidentales : l’émancipation des femmes et la montée du néolibéralisme et de l’individualisme économique. Repartons des chasseurs-cueilleurs. Leur façon de se nourrir repose principalement sur la chasse et la cueillette : alors que la chasse est toujours masculine, les femmes sont chargées de la cueillette, même si les hommes peuvent aussi y participer. Or si les produits de la chasse sont toujours répartis collectivement dans le groupe, ceux de la cueillette restent eux dans l’unité conjugale. En d’autres termes, les femmes sont individualistes et les hommes gèrent le collectif. Attention, « collectif » ne signifie pas « gentil » et individualiste « méchant » : le collectif comprend aussi la guerre et la violence, l’individualisme, l’assistance aux proches. Puisque les Extrêmes-Occidentaux sont les descendants des chasseurs-cueilleurs, ne peut-on émettre l’hypothèse que l’effondrement de toute capacité de penser et d’agir collectivement, le rejet hyperindividualiste caractéristique de notre monde, a un rapport avec l’émancipation des femmes et le passage idéologique en matridominance ? Il est certes difficile de démontrer cette assertion, mais il faudrait aussi être capable de démontrer le contraire, que ces deux phénomènes n’ont aucun rapport, le tout avec la même simplicité de raisonnement.
Vous parlez de l’abandon de l’action collective. Pourtant, en France, l’État est étendu et l’État-providence particulièrement développé. La solidarité n’est-elle pas l’une des dimensions du collectif ? Est-il sûr que le collectif ait disparu ?
La situation de la France est particulière : le modèle que je décris s’applique mieux au monde anglo-américain. Mais il faut voir les choses d’un point de vue dynamique : ce qui existe de collectif en France est un héritage d’une période antérieure. Ces mécanismes sont d’ailleurs souvent gérés et vécus sur un mode corporatiste-individualiste. Quand je parle d’incapacité de penser et d’agir collectivement, je pense surtout à ce qui pourrait améliorer notre sort : notre économie s’effondre, notre système industriel a été dévasté, le système des partis a implosé, l’idée nationale aussi via une construction européenne immaîtrisable. L’action collective serait la capacité à se repenser comme appartenant à une nation, et à avoir un État qui prenne en charge la reconstruction industrielle. Mais cela n’arrive jamais : on a beau, depuis le début de la pandémie, avoir pris conscience de toutes nos faiblesses, de l’absence d’une industrie digne de ce nom pour fabriquer des masques ou un vaccin, il ne se passe rien. Nous ne sommes pas capables de penser autrement.
Est-ce vraiment à l’État de développer une politique industrielle ? L’innovation n’est-elle pas le fruit d’une dynamique d’essai-erreur que seuls des entrepreneurs savent susciter ?
Je crois aux économies mixtes – ce qui fait que je suis considéré par certains comme trop libéral ! Je crois donc au marché. Et je critique les énarques qui croient libéraliser sans savoir le faire. L’État comme forme organisationnelle emplie de fonctionnaires, cela ne fonctionne pas. Mais je crois aussi à la collaboration entre l’État et les entreprises. De plus, le protectionnisme est libéral : il est possible parce qu’on croit au marché. Plus largement, quand je parle de collectif, je m’intéresse surtout à la notion de sentiment collectif. Or l’émancipation des femmes, si elle n’a pas détruit les structures bureaucratiques, a fait exploser les sentiments collectifs.
Avant leur émancipation, les femmes pouvaient être très investies localement, dans des associations ou l’Église. N’est-ce pas un comportement altruiste plus qu’individualiste ?
L’altruisme n’est pas contradictoire avec l’individualisme. L’altruisme n’est pas forcément le sens du collectif. Cette apparente contradiction s’explique par la posture de la mère, altruiste avec son enfant et capable d’étendre cet altruisme, mais aussi intraitable dans la protection de cet enfant. C’est pourquoi la théorie du « care » ne peut pas être considérée comme une chose du collectif mais une extension d’un altruisme féminin réel.
Une féministe pourrait vous dire : nous n’avons jamais pu prendre en charge le collectif car on nous en a empêchées.
Pourquoi pas ? Très bien ! Alors qu’elles le fassent. Et j’y crois : les femmes vont prendre leur part dans la gestion du collectif. Une remarque au passage : j’ai soigneusement évité dans l’ouvrage une sorte d’essentialisation des caractères masculin et féminin. La seule différence biologique que je prends en compte est la capacité à porter un enfant. Je ne prétends pas qu’il existe dans le sexe masculin une capacité innée au collectif, et dans le sexe féminin, à l’individualisme, mais simplement que chaque sexe est porteur d’habitudes différentes. La révolution qui vient de se produire a duré à peine soixante-dix ans, quand le mode de vie des chasseurs-cueilleurs a duré des centaines de milliers d’années. Ces comportements ne peuvent pas changer en un instant.
D’où vous est venue l’idée que la « cancel culture » aurait un lien avec l’émancipation des femmes ?
Pour ma génération, le phénomène de « politiquement correct » et de « cancel culture » est tout à fait étranger. Après l’effondrement des grandes idéologies, nous nous attendions à une liberté sans limites. Et nous avons obtenu, à la place, l’intolérance. J’ai presque le devoir de parler en tant que membre de ma génération ! Lorsque j’étais critique littéraire au Monde, de 1977 à 1983, j’étais tellement libre ! Je vis mon avancée dans l’existence comme un phénomène de rétrécissement de ce qu’il est permis de dire. Face à ce constat, j’arrive à un embryon de réponse. Dans le livre, je développe tout un chapitre sur l’autorité féminine. J’y explique que la disparition de la gestion du collectif par les femmes ne signifie pas celle de l’autoritarisme. De nombreux psychologues, psychiatres ou psychanalystes ont noté, à la suite d’Erich Fromm, à quel point le rôle de l’autorité maternelle, par exemple, est central. En réalité, l’autorité du père est construite – il ne sait pas à quel degré il est responsable de son enfant, il doit donc incorporer cette autorité; l’autorité de la mère, qui a fabriqué cet enfant, me semble beaucoup plus naturelle. De surcroît, j’avais remarqué l’existence de systèmes familiaux non autoritaires où se développaient des sociétés assez directives dans leurs tréfonds : la Suède, l’Islande, l’Irlande, Cuba, la Bretagne, le Portugal, la Thaïlande. Toutes avaient un statut des femmes élevé. D’où mon hypothèse d’une autorité féminine spécifique, moins violente mais plus assurée. Il est donc possible que ce phénomène nouveau d’intolérance non violente et diffuse qu’est la « cancel culture » soit le fruit de la matridominance.
De ce panorama, que concluez-vous ? Vous en réjouissez-vous ?
Pour l’essentiel, ces évolutions sont belles et bonnes, et c’est d’ailleurs ainsi que nous voyions les choses dans ma génération. Mais je constate tout de même qu’elles ont un coût économique : l’hypertrophie du tertiaire, le déclin de l’industrie, le fait de ne plus prendre au sérieux des métiers considérés comme masculins. Nous le paierons un jour en termes de niveau de vie.
Un certain nombre de femmes sont candidates à la présidentielle. Cela ne vous rend-il pas optimiste sur leur capacité à prendre en charge les questions collectives ?
Pas du tout ! Pas avec de tels programmes ! Aucune ne prévoit de reconstruction industrielle ou nationale.
Même Marine Le Pen ?
Non, car le Rassemblement national a renoncé à sortir de l’euro ! Ici, l’égalité homme-femme est surtout réalisée dans la nullité.
Où en sont-elles ? Une esquisse de l’histoire des femmes, d’Emmanuel Todd (Seuil, 400 p., 23 EUR).
ENTRETIEN – La virulence néoféministe arrive au moment même où l’émancipation des femmes est achevée, constate Todd, qui fracasse la doxa victimaire et la théorie du genre et renouvelle notre regard sur le rapport entre les sexes.
LE FIGARO. – Dans votre livre, vous vous attaquez sévèrement au «féminisme de troisième vague» et à la théorie du genre, que vous accusez de vouloir créer une guerre des sexes et d’être une idéologie coupée du réel. Vous n’allez pas vous faire des amis à gauche… Qu’est-ce qui vous a poussé à l’écrire?
Emmanuel TODD. – C’est vrai, je confesse une forme d’agacement face au développement de ce que j’appelle le féminisme de troisième vague, antagoniste, de ressentiment. Comme un homme de ma génération sans doute. Dans ma génération et mon milieu, un féminisme absolu régnait. Ce qui me frappe, c’est l’irruption en France d’un féminisme antagoniste qui ressemble à celui du monde anglo-américain, un féminisme de conflit (américain) ou de séparation (anglais). Notre pays se distinguait et faisait l’admiration du monde par son modèle de camaraderie entre les sexes. Mais fondamentalement, je n’attaque pas, je cherche à comprendre ce qui se passe, en chercheur, en anthropologue, en historien.
Quelles sont les racines du féminisme antagoniste anglo-américain ?
J’associe ce féminisme anglo-américain à l’héritage du protestantisme, en réalité bien plus «patriarcal» que le catholicisme, plus ambivalent. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le monde anglo-américain n’est pas à l’origine plus favorable aux femmes que la France. Le protestantisme, sur les rapports hommes-femmes, est régressif par rapport au christianisme originel. Le catholicisme avait une dimension matricentrée avec le culte de la Vierge Marie. Le message de Luther est très patriarcal. On passe de Marie à Eve, la femme pécheresse. La virulence du féminisme dans le monde anglo-américain résulte largement d’une réaction contre cet héritage.
Votre point de départ est un paradoxe : nous assistons à un regain de contestation de la suprématie masculine «au moment même où le mouvement d’émancipation de femmes semblait sur le point d’atteindre ses objectifs». Comment l’expliquer ? Faut-il y voir le paradoxe de Tocqueville selon lequel plus une société est égale, plus la moindre inégalité blesse l’œil ?
C’était ma première hypothèse, mais ce n’est pas ça. Quand on voit le succès du livre de Mona Chollet sur les sorcières, dans les classes moyennes éduquées, il y a de quoi s’interroger: comment des femmes modernes peuvent-elles s’identifier au sort des 40.000 femmes massacrées, principalement dans le monde germanique, par la furie masculine aux XVIe-XVIIe siècle? Il y a là une forme de désorientation. Le dépassement éducatif des hommes par les femmes est beaucoup plus ancien qu’on ne l’imagine. En 2019, en France, dans la tranche 24-34 ans, 52 % des femmes ont fait des études longues, pour 44 % des hommes. L’inversion du «sex-ratio» dans les études supérieures s’est faite à la génération de gens qui ont maintenant 50 ans. Nous vivons dans une matridominance éducative depuis longtemps, même s’il reste une pellicule de domination masculine dans les 4 % supérieurs de la société.
Tout de même, vous ne pouvez pas nier qu’il existe encore des écarts économiques importants entre hommes et femmes…
Il y a une persistance de la domination masculine dans le secteur dirigeant de l’économie privée et dans les bureaucraties d’État. Pour le reste, les différences économiques entre hommes et femmes sont essentiellement expliquées par le choix de la maternité. Je fais une percée théorique révolutionnaire dans le livre: je définis comme femme l’être humain qui (hors stérilité accidentelle) peut porter un enfant. Je sais, c’est très risqué de dire cela aujourd’hui, voire réactionnaire ( rires). J’avais essayé de faire sans, mais tout devenait incompréhensible.
Les femmes maintenant ont accès à tous les problèmes des hommes, mais elles gardent en plus ce problème de l’option entre la carrière et les enfants, ce qui suffit à expliquer le résidu de domination masculine. De plus pour les hommes, qui ont perdu pas mal de leur capacité de décision dans la vie familiale, le monde du travail devient de plus en plus important et très investi. Un homme qui ne réussit pas dans son travail se met en grand danger. Tous les autres débats, pseudoscientifiques, sur une différence des sexes génétique ou de cerveau sont hors de propos… il y a identité dans tous les domaines ou alors des différences invérifiables, mais la maternité et ses conséquences psychosociales sont une variable assez puissante pour expliquer l’essentiel.
Est-ce à dire que, selon vous, le patriarcat a disparu en Occident?
Ce n’est pas qu’il a disparu, c’est qu’il n’a jamais existé. Qu’est-ce que ça veut dire patriarcat? Je préfère parler de système de patridominance universel, c’est-à-dire une position légèrement supérieure de l’homme en particulier dans les activités de gestion collective. Mais l’intensité de cette domination masculine est tellement variable selon la géographie et l’histoire qu’on ne peut pas appliquer un terme unique à des systèmes très différents. Je propose, avec l’aide d’un expert, une utilisation nouvelle de l’Atlas ethnographique de Murdock pour montrer cette diversité au lecteur, par des cartes originales.
Sur un sujet qui est souvent abordé de manière ultra-idéologique, nous pensons que l’accès aux données est fondamental. Nous avons mis en ligne l’outil de visualisation que nous nous sommes construit, et nous donnons le lien dans le livre. Parler de patriarcat de façon indifférencié pour évoquer la situation des femmes à Kaboul et dans la région parisienne n’a aucun sens du point de vue du chercheur en anthropologie. Frédéric Le Play emploie le mot «patriarcales» pour désigner les grandes familles indivises de type russe et arabe. Pour ce qui est de l’Occident étroit, la France, le monde anglo-américain et la Scandinavie, la mutation patrilinéaire, partie du centre de l’Eurasie, qui a abaissé le statut de la femme au cours de l’histoire, n’a pas eu lieu ou est restée embryonnaire. On croit souvent que plus on remonte le temps, plus les femmes étaient opprimées. Il n’en est rien. Les Occidentaux avant même la révolution des soixante-dix dernières années, étaient très proches dans leurs mœurs des chasseurs-cueilleurs chez qui le statut de la femme est élevé.
Justement, que nous apprend l’étude des chasseurs-cueilleurs qui diffère de la doxa féministe habituelle?
L’idéologie du féminisme de troisième vague, désormais dominante dans le débat public, a déformé l’histoire du rapport entre les sexes. Travailler sur les chasseurs-cueilleurs, c’est travailler sur 100.000-300.000 ans, soit le gros de l’histoire humaine. C’est-à-dire sur ce qu’est l’homme en tant qu’espèce animale, définir la nature humaine originelle. On trouve la famille nucléaire, encastré dans un système bilatéral de parenté où les rapports entre frères et sœurs sont très importants. Une forme de monogamie tempérée est statistiquement majoritaire dès les débuts de l’humanité, notamment en raison de son efficacité éducative pour la progéniture.
La cueillette est en général une activité féminine, qui peut être pratiquée par les hommes, alors que la chasse est un universel exclusivement masculin. N’en déplaise aux féministes actuelles qui essaient de chercher à tout prix des squelettes de femme chasseresses. Ce qui est caractéristique de la chasse, c’est que ses produits sont toujours repartis dans le groupe, tandis que les produits de la cueillette sont repartis dans l’unité domestique. Chez les chasseurs-cueilleurs, les femmes sont porteuses d’un élément d’individualisme familial alors que les hommes sont en responsabilité du collectif. Cela ne signifie pas du tout plus d’altruisme: le collectif, c’est l’organisation de grands travaux, mais c’est aussi la guerre.
C’est pourquoi, selon vous, l’émancipation des femmes est à lier avec l’effondrement des croyances collectives et l’affaissement de l’État-nation?
Le défaut de l’idéologie, c’est de croire qu’il se passe dans nos sociétés de grands phénomènes qui tombent du ciel et ne sont pas liés. D’un côté vous auriez l’émancipation des femmes, qui est super. De l’autre, l’effondrement industriel qui est un problème, l’affaissement des croyances collectives, qui est une bonne chose si on considère qu’on ne fait plus la guerre, mais une mauvaise chose si on ne peut plus agir en tant que nation sur le plan économique. Les deux grands mouvements de nos sociétés modernes sont l’émancipation des femmes et l’effondrement du sentiment collectif. J’essaie de montrer dans le livre qu’il ne peut pas ne pas y avoir de rapport entre les deux.
L’émancipation des femmes a un coût, dites-vous… vous regrettez le monde d’avant?
Pas du tout, je ne suis pas dans la nostalgie. Je bénis la révolution sexuelle, qui a rendu les rapports hommes-femmes beaucoup plus agréables. L’émancipation des femmes a permis la fin de l’homophobie, l’adoucissement des mœurs. Seulement, je montre qu’elle a eu aussi un coût. L’émancipation des femmes, leur accès à l’éducation supérieure a accéléré la tertiarisation de l’économie, et donc la chute des activités industrielles.
Résultat: vous avez certains pays féministes tertiarisés et consommateurs qui délocalisent leur production dans des pays où il y a encore une industrie, et une forme de patridominance, les pays de l’est de l’Europe et de l’Asie. David Cayla a bien montré la réindustrialisation des anciennes démocraties populaires (Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Roumanie), nations ouvrières devenues la Chine de l’Europe. Ce qui permet d’aller plus loin dans la consommation et dans la tertiarisation à l’Ouest, et donc d’accélérer l’émancipation des femmes à l’Ouest, tout en préservant des rôles masculins typés à l’Est. Les gens de l’Ouest sont totalement dépendants du travail des gens de l’Est tout en les insultant pour leurs attitudes culturelles rétrogrades: ils délocalisent leurs usines tout en voulant exporter leurs mœurs avancées. Il faut choisir!
La lutte des sexes a-t-elle remplacé la lutte des classes?
J’essaie de prendre en considération aussi bien l’économie que l’anthropologie. Il y a évidemment une composante de classe. Le féminisme de première vague, celui des droits civils qui venait de milieux bourgeois, défendait toutes les femmes. Idem pour la seconde vague de la révolution sexuelle, parti de milieux bourgeois, mais qui s’est répandue dans les classes populaires très rapidement. Mais le féminisme antagoniste de troisième vague ne défend pas toutes les femmes, c’est un conflit de classe entre les femmes (et leurs conjoints) des classes moyennes et la pellicule de patridominance des classes supérieures. L’idéologie du genre est une idéologie typique de la petite bourgeoisie, portée par des femmes de classes moyennes appartenant à l’université. Ces femmes éduquées supérieures, qui embrassent avec enthousiasme le concept d’intersectionnalité, constituent dans le secteur idéologique un groupe dominant. Le féminisme antagoniste est une idéologie au sens le plus fort du terme, au sens où elle n’est pas vécue: les classes qui promeuvent la lutte contre la domination de l’homme ne la subissent pas.
La tendance actuelle dans les classes moyennes éduquées, c’est la stabilisation du couple, souvent hypogame (femme plus éduquée que le conjoint), le doublement du salaire, l’impératif de survie économique du style chasseur-cueilleur. Pour les femmes des catégories populaires, où sont logées la majorité des familles monoparentales, la vision antagoniste du féminisme est une aggravation des conditions d’existence.Le couple humain est un système élémentaire d’entraide. La fonction du couple humain originel, c’est la survie, à la base de laquelle il y a la solidarité entre l’homme et la femme. Nous sommes dans une société en voie d’appauvrissement, notamment dans les jeunes générations. L’urgence ce n’est pas l’émancipation des femmes, qui a eu lieu, mais de revaloriser l’entraide dans le couple, et le sentiment collectif, qui s’effondrent.
«Pendant des siècles, l’Occident chrétien a considéré la sexualité comme le pire des maux de l’âme. Le voilà qui la pose, désormais, comme l’essence de l’âme.» L’obsession LGBT pour l’orientation sexuelle serait un produit du christianisme? Voilà qui est original!
L’Occident chrétien ne comprend pas sa propre histoire. Le christianisme se distingue par rapport aux autres religions par son obsession de la sexualité identifiée au mal. C’est encore plus vrai dans le protestantisme qui radicalise l’hostilité au plaisir sexuel. L’Occident chrétien est chargé sexuellement en un sens négatif. Les révolutions sexuelle et libertaire ont été un rejet violent de cet héritage. Ce rejet a produit une obsession sexuelle positive, et notamment dans l’univers anglo-américain marqué par le puritanisme, qui n’est pas du tout typique de toutes les cultures.
L’homosexualité humaine est une possibilité naturelle et universelle, mais le passage de l’homophobie au phénomène gay, c’est-à-dire d’un rejet de la sexualité à sa mise au centre de l’identité sociale, est typiquement chrétien. Regardez la Thaïlande bouddhiste du «petit véhicule» par exemple, où la fluidité des rapports sexuels n’induit pas une identité gay, ou le Japon, «bouddhiste du grand véhicule», où l’identité sexuelle est sans doute secondaire par rapport à l’identité au travail. C’est pourquoi je parle des gays comme une catégorie de chrétiens zombies (référence à un livre antérieur de l’auteur, NDLR) . Se définir politiquement et socialement par son orientation sexuelle implique une estimation haute de la sexualité qui est typiquement occidentale.
Où en sont-elles? Une esquisse de l’histoire des femmes (Seuil, 400 p., 23 € ).
Nicolas Hulot incarne une catégorie d’hommes : ce petit pourcentage de grands séducteurs un peu prédateurs sur les bords. Ce sont des psychologies paradoxales, des hommes à femmes qui bénéficient en général d’un physique avantageux dont ils usent et abusent – souvent avec l’air de ne pas y toucher (« Beau, moi ? Je ne sais pas… Si vous le dites… ») – pour obtenir tout ce qu’ils veulent, parce que la plupart du temps, ça paie, et ça paie même très bien. Grisés par cette facilité, qu’ils ont souvent pu expérimenter dès la sortie de l’adolescence, ils prennent alors ce pli, à la moindre occasion, de recharger leurs batteries avec du sexe facile et sans lendemain – jusqu’à en devenir plus ou moins sex-addicts. Quand des hommes moins favorisés par la nature boiraient un petit verre ou mangeraient un hamburger pour se retaper, eux ils lèvent une fille, parce que 99 fois sur 100, ça marche du feu de Dieu et que le sexe, pour ce type d’homme, est le meilleur booster et le meilleur antidépresseur qui soit.
Car ce sont également des profils psychologiques beaucoup plus fragiles qu’il n’y paraît – des hommes engagés dans des professions médiatiques surexposées particulièrement imprévisibles, extrêmement stressantes, où les projecteurs peuvent s’éteindre du jour au lendemain et le succès se transformer en oubli ou en curée pour des raisons qui vous échappent en grande partie. Autant le succès qui vous tombe dessus soudainement peut vous faire prendre la grosse tête ou vous faire basculer dans le « syndrome de l’imposteur », autant les craintes qu’il génère peuvent déstabiliser et installer en vous une profonde perte de repères et un rapport plus ou moins distendu avec la réalité.
Ceci pour dire encore que Nicolas Hulot représente une catégorie d’hommes particulière. Il n’est pas Monsieur tout le monde, il n’a pas le rapport aux femmes de Monsieur tout le monde, car quand lui a 50 femmes autour de lui en permanence, Monsieur tout le monde en a une ou deux, voire zéro – et rarement une armada de filles énamourées qui l’attendent à chaque sortie de studio TV. Il est surtout une pièce de la machine médiatique qui vous célèbre puis vous broie pour les raisons mêmes qui l’ont poussée à vous aduler. C’est le thème, vieux comme le monde, de la Roue de Fortune :
Paris, BnF ms fr. 130.
La Fortune a les yeux bandés, elle vous installe sous les sunlights, puis fait tourner sa roue et vous récoltez les crachats. Dans le cas de Mr Hulot, Marlène Schiappa, qui le défendait ouvertement en 2017 et le pilonne aujourd’hui, incarne parfaitement cette versatilité : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » (Jean de La Fontaine, Les Animaux malades de la peste).
Le profil des accusatrices
C’est toujours le même profil. Des jeunes filles en fleur, des groupies, des fans, toujours des oies blanches, plus ou moins sincères et inexpérimentées, qui peuvent n’avoir aucune idée des pulsions sexuelles qui peuvent traverser un Don Juan habitué à se servir à pleines mains – on parle ici de 3 filles qui se plaignent mais on ne parlera jamais des 1000 autres qui se sont bien amusées ou ont juste passé un bon moment avec lui.
Il est tout à fait vrai qu’entre 16 et 18 ans, on n’a pas forcément conscience de l’intérêt sexuel qu’on peut présenter pour un homme. C’est ce qu’on appelle en psychologie évolutionnaire le « biais de sous-perception » dont sont affligées les jeunes femmes : elles n’ont parfois aucune conscience des signaux sexuels qu’elles peuvent envoyer involontairement. Quant aux hommes, ils souffrent inversement d’un « biais de sur-perception » : ils vont interpréter comme des avances sexuelles, du consentement ou une ouverture à un rapport sexuel ce qui n’en est pas forcément, voire pas du tout.
Il existe donc réellement un quiproquo fondamental entre les sexes, et tout particulièrement entre les deux protagonistes de ce type d’affaire, fatalement faits pour se rencontrer : la jeune fille en fleur attire le séducteur comme un aimant et réciproquement, le séducteur attire les jeunes filles en fleur comme le fromage attire les mouches. Celles-ci tapissent les murs de leur chambre des photos de leur idole qu’elles cherchent parfois à tout prix à rencontrer, inconscientes de la situation dans laquelle elles vont se mettre ou des expériences qu’elles risquent de croiser et qu’elles ne seront pas toujours en mesure d’assumer. Maureen Dor en parle avec des mots assez justes. Elle a aussi l’honnêteté de reconnaître que cela ne l’a jamais traumatisée ni empêchée de poursuivre sa vie et sa carrière.
Il y a donc deux profils de filles : la traumatisée à vie qui ne se remettra jamais d’une petite pression sur la nuque et d’un « suce-moi » dans une voiture et celle qui haussera les épaules et repensera toujours avec indifférence (et plus de pitié qu’autre chose) aux hommes qui lui ont montré leur sexe quand elle faisait du stop ou aux expériences de bad sex qu’elle a traversées au même âge. C’est mon cas et c’est ce que j’écris sur ce site depuis le début : on peut choisir d’être traumatisée à vie par une bite – ou pas. On peut choisir de passer sa vie à se lamenter d’avoir excité involontairement un homme quand on était jeune et fraîche, ou s’en foutre et en rire. On peut se complaire dans la victimisation et apporter de l’eau au moulin de l’armada des féministes aigries qui extorquent les témoignages qu’elles ont envie d’entendre pour régler leurs comptes avec la gent masculine – ou bien refuser de se prêter à ce jeu malsain et cette chasse à l’homme en meute.
La cité des oies blanches
Comment en est-on arrivé à la multiplication de telles affaires ? Parce que le féminisme puritain et les oies blanches ont pris le pouvoir, tout simplement. Parce que le féminisme occidental a produit des générations de femmes fragiles qui restent dans leur tête des adolescentes de 16 ans traumatisées à vie parce qu’elles auront un jour croisé une bite ou un mufle qui n’aura pas mis les formes. Bien sûr que ces méthodes – pour autant qu’elles soient avérées dans l’affaire qui nous occupe – sont grossières et inappropriées, mais il est FAUX, comme le prétendait Laurence Rossignol sur le plateau d’Envoyé Spécial, qu’on ne puisse pas s’en remettre et que c’est un profond traumatisme. C’est faux : je suis passée par ce genre d’expériences et je n’ai jamais été traumatisée.
Parce qu’on peut choisir de vouloir vivre avec un chaperon juridico-féministe et un ordre moral victorien sur le dos, comme une petite chose fragile et impressionnable, terrorisée et démolie pour toujours par des avances cavalières, ou au contraire d’assumer sa liberté et de faire la part des choses. On peut passer sa vie à se construire un profil de malheureuse victime et ressortir à point nommé de vieilles histoires qui ne nous ont en réalité jamais empêché de dormir pour aller grossir le troupeau des hyènes qui chassent en bande – ou pas.
Quant à la justice sauvage qui se rend sur les plateaux TV pour pousser sans autre forme de procès un homme au suicide sur des accusations invérifiables – alors que ces femmes, contrairement à ce qu’elles prétendent, ont eu des années pour en parler et déposer plainte –, il faut souhaiter que les procès en diffamation se succèdent pour arrêter ces lynchages. L’opportunisme et la quête du quart d’heure de gloire médiatique sont ici flagrants. La plupart des séducteurs qui ont eu une gloire publique, artistique ou politique, vont désormais devoir rendre des comptes à la foule de leurs coups d’un soir tapis dans l’ombre, qui pourront raconter tout et n’importe quoi, du moment qu’il y a le mot « sexe » dedans. Notre société qui ne baise déjà plus pourra ainsi se venger et se délecter, à travers ce voyeurisme revanchard, de ses passions tristes.
Petite précision sémantique. Selon le Code pénal (article 222-23), la définition du viol est la suivante : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol ».
Selon ce qu’il semble, Nicolas Hulot n’a commis aucun acte de pénétration sexuelle dans les cas qui nous occupent – même pas sous la forme d’une fellation, puisque Sylvia a expliqué ne pas avoir pratiqué la fellation. Rappelons également que « fellation forcée » est un oxymore : une fellation est un acte pro-actif, dans une voiture qui plus est, où il était pratiquement impossible à NH de lui fourrer de force son sexe dans la bouche. Dans le pire des cas, on peut donc sans doute parler ici d’agression sexuelle. Mais pas de viol, car les mots ont un sens.
ENTRETIEN. Le chercheur américain David Geary revient sur l’importance de la biologie pour comprendre les différences comportementales entre les deux sexes.
Selon un récent rapport parlementaire sur l’égalité hommes-femmes remis le 6 octobre à la Délégation aux droits des femmes, les « stéréotypes de genre » à l’oeuvre depuis l’enfance seraient le point de départ des inégalités et des violences à l’encontre des femmes. Une position qui n’a rien d’original, puisqu’elle est majoritaire parmi les responsables politiques et les sociologues. Problème : peut-on se contenter, pour expliquer les comportements humains, du seul prisme de la culture, sans en passer par la nature ? En aucun cas, selon David Geary, professeur de sciences psychologiques à l’université du Missouri et auteur de l’ouvrage de référence sur les différences biologiques entre les sexes, Male, Female. The Evolution of Human Sex Differences (American Psychological Association), qui a consacré sa carrière à la compréhension du phénomène, au croisement des sciences cognitives, de la biologie évolutionnaire et de la psychologie.
Le Point : Qu’est-ce qu’un stéréotype ?
David Geary : Les stéréotypes sont des croyances génériques sur le comportement ou les pensées de certains groupes. Par exemple, dans le cas des garçons et des filles, on pense que les garçons aiment faire certaines choses et les filles d’autres choses. Selon certains, comme les auteurs de ce rapport, les stéréotypes agissent dans la société pour provoquer des différences entre les sexes. Mais en réalité, ils ne font que décrire les comportements typiques des garçons et des filles.
Les auteurs du rapport basent leurs recommandations sur des concepts issus de la psychologie sociale, comme la « menace du stéréotype ». De quoi s’agit-il et qu’en pensez-vous ?
Il s’agit de l’hypothèse suivante : si vous êtes une fille et que vous savez qu’il existe un stéréotype voulant que les filles aient des difficultés en mathématiques, vous aurez peur, face à un exercice de mathématiques, de confirmer le stéréotype et vos performances vont en pâtir. Mais ce résultat, quand il est testé, ne tient pas statistiquement et, pire, il n’a pas été répliqué.
Le rapport cite également l’« effet Pygmalion ».
C’est l’effet inverse : l’idée que, lorsque quelqu’un croit en vous, vous allez vous conformer à ses attentes et vous dépasser. Mais dans l’ensemble, tous ces prétendus « effets » sont typiques de modèles explicatifs qui accordent bien trop d’importance à l’influence de l’environnement. Ils partent à tort du principe que les individus sont des blocs d’argile vierge, des pages blanches entièrement façonnés par la socialisation.
Parce qu’ils ne le sont pas ?
Non, si l’on en croit la recherche en sciences cognitives et en psychologie évolutionnaire. Or, le rapport ne mentionne que des chercheurs en sciences sociales. Il ne cite aucune recherche sur les bases biologiques des différences entre les sexes. Les chercheurs en sciences sociales ignorent ces travaux, car ils estiment que toutes les différences entre les garçons et les filles et entre les hommes et les femmes sont socialement construites. Ils s’attendent à ce que les garçons et les filles soient identiques, et quand ils ne le sont pas, ils y voient le signe de socialisations distinctes. Je suppose d’ailleurs que, dans ce rapport, personne n’a demandé aux enfants leur avis sur leurs préférences : mais si vous interrogez des filles sur leur désir de devenir des garçons, et vice et versa, la quasi-totalité vous répondra par la négative. Les gens sont en général très à l’aise avec leur genre et les comportements typiques qui les accompagnent.
Quels déterminants biologiques influencent le comportement différencié des deux sexes ?
Plusieurs études sur des anomalies génétiques ou des mesures hormonales dans le liquide amniotique ont examiné l’exposition prénatale aux hormones. Il existe aussi un pic postnatal d’exposition aux hormones sexuelles dans les six premiers mois de la vie qui commence à être mieux étudié. Les garçons reçoivent une forte dose supplémentaire de testostérone vers le deuxième ou le troisième mois de vie, tandis que les filles sont périodiquement exposées à l’oestradiol. Ces études ont montré que les différences dans l’ensemble des activités typiques des deux sexes, comme les jeux – « jeux brutaux » versus « jeux doux » et « maternants » avec poupées -, sont influencées, du moins en partie, par l’exposition aux hormones.
Comment s’y prend-on, scientifiquement, pour faire la différence entre le fondement biologique et culturel d’un comportement ?
Chez les non-humains, les primates et les rongeurs, cela a été étudié au moins depuis les années 1950, via notamment des manipulations hormonales prénatales, postnatales ou lors de la période pubertaire. On peut donner, par exemple, aux femelles des hormones mâles ou aux mâles castrés de l’oestradiol. Ainsi, quand on donne de la testostérone aux femelles ou quand on castre les mâles, l’effet sur la nature du jeu – brutal ou doux – est fort. On ne peut évidemment pas faire de même avec les enfants, bien sûr, d’où l’emploi de moyens détournés, comme l’étude d’anomalies génétiques ayant une influence sur les hormones.
Vous estimez donc que, dans l’ensemble, l’effet de ces différences biologiques est plus important que celui des stéréotypes.
Les enfants génèrent essentiellement leurs propres comportements. Ils ont leurs propres intérêts et sont assez catégoriques pour les exprimer. Vous ne pouvez pas les mener par le bout du nez et les forcer à devenir ou faire ce qu’ils n’ont pas envie. Mais l’influence sociale a, bien sûr, une importance. Prenons le jeu brutal des garçons. Un trio de garçons aura tendance à se bousculer et à se pousser. Dans certaines cultures, les parents atténuent un peu ce type de comportement. Dans d’autres, où les bagarres entre hommes sont courantes, les parents, à l’âge adulte, les encouragent pour les rendre plus agressifs. Vous ne pouvez pas créer ce comportement, mais vous pouvez socialement l’atténuer ou l’exagérer.
Vous mentionnez des études sur les animaux. Que répondez-vous à ceux qui estiment que notre qualité d’humain nous place à part ?
Que ces comportements précoces ont été conservés au cours de l’évolution. Sans cela, il faudrait conclure que c’est par hasard que les humains ont évolué de la même façon que les autres mammifères, avec un cerveau comparable. L’argument évolutionnaire est le plus pertinent, car il est le plus parcimonieux.
Le rapport critique l’idée d’une « vocation maternelle » chez les femmes. Qu’en pensez-vous ?
Les chercheurs en sciences cognitives n’emploient pas ce vocabulaire, mais formulent cette question de la façon suivante : si on regarde les primates, et plus généralement les mammifères, la plupart des mâles ne s’occupent absolument pas de leur progéniture. La nature de la biologie reproductive – de la gestation interne à l’allaitement – fait que l’investissement parental penche largement vers les femelles. Mais chez les humains, les mâles contribuent parfois substantiellement au bien-être de leurs enfants. On constate une grande variation : d’un investissement nul à un investissement presque aussi fort que les mères. Mais dans toutes les cultures, il n’y a jamais d’équivalence et encore moins de dépassement. Certes, le lait maternisé et les petits pots pour bébé vont peut-être changer la donne, mais lentement. Ces innovations n’ont que quelques décennies et à l’échelle de l’évolution, c’est plus que négligeable.
Le rapport énonce : « Des études réalisées au Royaume-Uni ont ainsi montré que les parents qui essaient d’élever leurs enfants sans égard à leur sexe (gender neutral) risquent davantage l’échec. » Or, il explique ce phénomène non par des différences naturelles, mais par… les normes culturelles, considérées comme trop pesantes. Quand un fait invalide vos hypothèses, il faut abandonner celles-ci, et non l’inverse. Pourquoi cette approche aussi peu scientifique ?
C’est un cas typique de biais de confirmation. Face à des informations qui pourraient réfuter votre point de vue, vous avez deux options : en changer ou trouver une explication post hoc qui vous permet de ne pas le faire. C’est ce qui se passe ici. Sans compter que de telles études ont aussi été menées aux États-Unis, voici une trentaine d’années. Elles portaient sur des enfants élevés dans des familles traditionnelles, où le père travaillait et la mère restait à la maison, et des familles où les parents avaient décidé d’élever leurs enfants sans distinction de sexe, en donnant des voitures aux filles et des poupées aux garçons. Vers 5 ou 6 ans, les enfants élevés dans des foyers à éducation « unisexe » affichaient et, surtout, déclaraient effectivement une gamme comportementale plus diverse. Mais lorsque ces enfants étaient lâchés dans la nature, pour ainsi dire, et jouaient avec d’autres enfants, cette neutralité disparaissait. Mieux, à la maturité sexuelle, la division genrée était entièrement installée. En résumé, ce genre d’éducation permet de faire changer les croyances temporairement, pas les comportements à long terme.
Ou alors, pour espérer atteindre une égalité parfaite, par exemple dans les choix professionnels, il faudrait une politique excessivement oppressive. Pensez-vous que les auteurs de ce rapport aient conscience des conséquences de leurs désirs ?
Je pense qu’ils sont surtout naïfs ou même un peu limités intellectuellement. Ils ne tiennent pas compte des contre-preuves factuelles et croient probablement que si le gouvernement met en place ce type de politiques, il suffira d’une génération ou deux pour que leur vision utopique se réalise. Sauf que cela ne marchera pas ! Cela changera ce que les gens disent ou croient, pas ce qu’ils font. C’est là que l’oppression peut en effet entrer en jeu : la tentation de forcer, au sens strict, des gens à faire ce dont ils n’ont pas envie. Les Suédois ont essayé, pendant un temps, de forcer les filles à agir comme des garçons bagarreurs et turbulents, et les garçons à préférer les bavardages et les jeux maternants. Le plus grand effet en a été de stresser les enseignants et d’énerver les enfants.
De telles interventions peuvent-elles aussi renforcer des comportements typiques de façon pathologique ? On entend, par exemple, que la misogynie débridée qui s’exprime dans ce qu’on appelle les « incels » (involuntary celibate, célibataire involontaire) ou la « manosphère » pourrait être un effet adverse d’une éducation dégenrée.
Des études de privation menées sur les rongeurs montrent que, lorsqu’on leur refuse la possibilité d’exprimer des comportements typiques, en termes de jeu, par exemple, puis lorsqu’on leur en donne à nouveau l’occasion, les comportements s’accroissent de façon spectaculaire pour ensuite retomber à des niveaux normaux. Je ne serais donc pas surpris que l’on observe une augmentation des comportements stéréotypés après que l’on a empêché les enfants de s’y adonner. J’ai aussi le sentiment que la manosphère est un retour de bâton, du moins en partie, mais je n’ai lu aucun article scientifique à ce sujet.
Il ne faut pas confondre égalité de résultat et égalité d’opportunité. Les différences d’orientation professionnelle et de choix entre carrière et vie privée sont surtout le choix de préférences distinctes.
Ce rapport parlementaire part du principe que les stéréotypes genrés génèrent des inégalités. Des travaux scientifiques confirment-ils cette assertion ?
Il ne faut pas confondre égalité de résultat et égalité d’opportunité. Les différences d’orientation professionnelle et de choix entre carrière et vie privée sont surtout le choix de préférences distinctes. Par exemple, des études menées sur des surdoués en mathématiques, hommes et femmes, montrent que, à la trentaine, les hommes travaillent plus d’heures et avancent plus loin dans leur carrière. Ce n’est pas parce qu’ils sont meilleurs, mais parce qu’une grande partie de ces femmes ont réduit leur temps de travail pour se consacrer à leur vie de famille. Mais ni ces hommes ne se plaignent de travailler davantage ni ces femmes de progresser plus lentement dans leur carrière. Les deux groupes sont satisfaits de leur vie. Voilà ce que sont ces « inégalités » : des choix différents pour mener la meilleure vie possible selon ses propres critères. Ils ne voudraient pas qu’un bureaucrate, à Paris ou Washington, vienne leur dire comment organiser leur vie.
Dans votre travail, rencontrez-vous des difficultés à parler de la base biologique des différences comportementales entre les sexes ?
Heureusement pour moi, je suis têtu et assez insensible socialement. Je peux continuer à travailler parce que je pense être sur la bonne voie. Mais je connais des chercheurs qui ont baissé les bras et changé d’orientation de recherche, car c’est effectivement difficile et frustrant. Pour vous donner un exemple, nous cherchons à faire publier avec un collègue une étude rassemblant des données sur 475 000 adolescents à travers 80 pays, avec des échantillonnages aléatoires, sur les différences professionnelles, où l’on trouve beaucoup de « stéréotypes » dont nous avons parlé. Nous l’avons envoyée à quatre revues scientifiques. Le rédacteur en chef de la première nous l’a renvoyée sans même la lire, et encore moins l’envoyer en processus de révision par les pairs. Dans les trois autres publications, nous avons reçu des commentaires proprement hostiles qui n’avaient rien de scientifique. Nous sommes en attente de la réponse d’une cinquième…
Êtes-vous plutôt optimiste ou pessimiste ?
Je suis optimiste dans le sens où je pense qu’il y a des différences réelles entre les sexes et qu’il y a encore bien des choses à comprendre. Cela dit, nous traversons une période, du moins dans le monde occidental, où le désir d’« égalité de résultats » biaise notre interprétation de la réalité, ce qui pourrait se traduire, comme nous l’avons évoqué, par des politiques oppressives.
« Peggy Sastre – Stéréotypes de genre : les contre-vérités ont la vie dure », Le Point, 15/10/21 : « À l’appui de leur épouvantable constat, Le Bohec et Lebon évoquent des recherches en psychologie sociale isolant trois effets : l’effet d’étiquetage, la menace du stéréotype et l’effet Pygmalion. Malheureusement pour leur démonstration, il s’agit de concepts ayant eu à souffrir lourdement de la crise de la reproductibilité touchant ces sciences humaines depuis une bonne dizaine d’années. En d’autres termes, les études qui pensaient les isoler ont, au mieux, une puissance statistique bien trop faible pour attester de leur réalité et, au pire, sont le fruit de chercheurs peu scrupuleux ayant bidonné leurs travaux. »
Chez les géladas, un grand singe proche du babouin vivant dans la corne de l’Afrique, il a été démontré, à partir de l’analyse hormonale des déjections de guenons, que plus de 80% des femelles d’un groupe donné faisaient une fausse couche spontanée dans les semaines suivant l’arrivée d’un nouveau mâle dominant (cf. Peggy Sastre, La Domination masculine n’existe pas, Paris, 2015, p. 122-123). Les femelles redeviennent ainsi rapidement fertiles afin de pouvoir engendrer des petits avec leur nouveau maître car, selon la loi de l’hypergamie féminine (qui s’applique également aux femmes), « les femelles préfèrent se reproduire avec les meilleurs mâles ».
Des femelles qui avortent spontanément pour mieux se soumettre au nouvel arrivant, donc. Il est tentant de faire le parallèle avec les féministes occidentales qui n’ont que l’avortement à la bouche, refusent d’enfanter, méprisent la maternité, la paternité, les hommes et les enfants – pour autant qu’ils soient blancs –, mais n’ont de cesse de tresser les louanges des nouvelles cultures qui s’installent entre leurs murs – pourvu qu’elles soient « racisées », comme elles disent, en parfaites néo-racistes qu’elles sont. On a tous compris que les néoféministes étaient des guenons comme les autres, ayant soupesé qui était le plus fort dans le conflit de civilisations que nous traversons actuellement et ayant en conséquence choisi leur camp depuis le début. Leurs pancartes dans leurs manifs parlent pour elles :
« Je ne suce que du noir ». Pourquoi pas, après tout… (c’est un constat, pas une critique)
Ou bien :
« Une bite noire uniquement »
Bien. Venons-en aux Miss, maintenant.
Cela fait quelques années déjà que j’évoque la guerre inlassable menée par les néo-féministes contre la jeunesse, la fraîcheur et la beauté féminines – incarnation de tout ce que la féministe aigrie ne peut que haïr maladivement : l’existence du désir hétérosexuel, évidemment. La seule idée qu’un homme puisse admirer et désirer une jeune femme qui expose à son regard sa beauté hors du commun, ou se présente devant lui comme l’archétype (un idéal le plus souvent inaccessible) de la jeune vierge prête à marier, ne peut que faire s’étrangler de haine et de fureur l’armée des vieilles punaises, frustrées et laiderons de tous poils qui peuplent les bataillons d’Osez le Féminisme.
Mauvaise joueuse !
Le conte populaire de la jeune et jolie Blanche-Neige sur le point de convoler, cible de la maléfique reine-sorcière qui tente de l’assassiner perfidement (le prototype de la néoféministe allergique à la jeunesse, la beauté et l’hétérosexualité) pourrait aussi être interprété comme une préfiguration parfaite de la jalousie destructrice de l’armée des mal-baisées du XXIe siècle :
Osez le Féminisme cherche donc une fois de plus, comme tous les mois d’octobre, à détruire le concours Miss France, accusé de sexisme et de tous les maux, sans pouvoir comprendre qu’il n’est que la manifestation de ce qui fait que le monde est monde depuis toujours et qu’il existe encore : sur un plan évolutionnaire, le capital féminin en vue de la reproduction de l’espèce est tout entier logé dans la jeunesse, la fraîcheur et la beauté des jeunes femmes – car ce sont des gages inconscients et universels de santé et de fertilité, tout simplement. Comme Blanche-Neige, princesse d’une exceptionnelle beauté, les Miss d’aujourd’hui incarnent cet idéal féminin qui transcende ; elles sont cette image de la beauté féminine pure qui éclaire le monde, tire hommes et femmes vers le haut et invite depuis l’aube des temps l’humanité à poursuivre son chemin.
April Benayoum, Miss Provence 2020, la beauté absolue qui aurait remporté le concours Miss France 2020 sans une odieuse campagne antisémite qui n’a pas fait bouger un ovaire chez les soi-disant défeuseus.e.s des femmes (jalousie, quand tu nous tiens…).
Les féministes à front de taureau auront beau fulminer de rage et de dépit et même faire disparaître le concours Miss France, elles ne changeront rien à la marche du monde : les mêmes réflexes profonds (car il s’agit en réalité de nos gènes qui nous pilotent) feront que les hommes continueront d’être attirés instinctivement par la jeunesse et la beauté féminines et que ces mêmes jeunes beautés continueront à faire valoir leurs charmes et leurs appâts afin de séduire et sélectionner les meilleurs géniteurs. C’est ce qu’explique aussi François de Smet dans Eros Capital, Les lois du marché amoureux, Paris, Flammarion, 2019. C’est la vie, les filles, c’est comme ça, désolée pour l’armée de féministes et de lesbiennes nihilistes qui voudraient voir disparaître l’humanité en même temps qu’elles, mais l’instinct de survie et de reproduction sera toujours le plus fort et c’est tant mieux.
« Ces parangons de vertu, dont la courageuse Mila a peu entendu le soutien, et qui manifestent avec le CCIF, illustrent très bien par leurs actes ce que Karl Marx avait appelé « donner une claque à sa grand-mère ». Il est plus facile de douter du libre arbitre de jeunes femmes qui s’inscrivent de leur plein gré au concours de Miss France que d’aller soutenir celles qui sont contraintes par leur milieu familial ou par leur voisinage de se voiler de la tête aux pieds. Le voile, c’est tellement mieux que le dégradant maillot de bain avec lequel les candidates au titre de Miss France défilent chaque année. »
Le petit jeu des néo-bigotes pro-islam ne fait plus mystère pour personne. Je ne peux que le rapporter à cette forme de guenonisme dont je parlais en introduction : cracher sur Miss France, c’est évidemment cracher sur la France, puisque le mot « France » est dans Miss France et que cela fait plus d’un siècle que ce concours fait partie de ses meubles – on a le droit de l’apprécier ou pas, de regarder sa retransmission TV ou pas. Et c’est bien sûr envoyer des gages et un signal de soumission au nouvel arrivant qui lui non plus, n’aime pas beaucoup le concours Miss France : chacun sait que la femme pudique ne doit pas défiler en maillot de bain, pas plus sur les podiums qu’à la piscine ou à la plage. Osez le guenonisme assume donc sa reddition et obtempère fidèlement à la voix de son maître.
ENTRETIEN. La philosophe et psychanalyste publie un livre coup-de-poing contre #MeToo et ses suites, dans lesquels elle voit un mouvement totalitaire.
Sabine Prokhoris n’a pas froid aux yeux. La psychanalyste et philosophe, qui a peu apprécié le mouvement #MeToo, a décidé de le faire savoir sous la forme d’une démonstration minutieuse mais passionnée. Dans Le Mirage #MeToo (Le Cherche Midi), elle cible, par un ton enlevé et parfois même emporté, un mouvement dont l’ambition bénéfique cache selon elle une volonté de puissance destructrice.
Difficile d’accuser cette féministe inclassable – qui défend dans le même temps la gestation pour autrui (GPA) – de conservatisme. Mais il est sûr que celle qui avait déjà su démonter avec brio, dans Au bon plaisir des « docteurs graves » (Puf, 2017), la philosophie de Judith Butler, figure de proue des études de genre, ne goûte guère le féminisme à tendance vengeresse.
Le Point : Certains ont loué #MeToo. D’autres ont critiqué ses « dérives ». De votre côté, vous vous distinguez par une condamnation sans appel du mouvement dans son entièreté. Pourquoi ?
Sabine Prokhoris : C’est plutôt contre-intuitif en effet. En me mettant vraiment au travail – en allant « au fond de la mine », comme dit Foucault -, et donc en dépliant, pour les analyser, les logiques intellectuelles de #MeToo et leurs conséquences, je me suis aperçue qu’il s’agissait d’un mouvement structurellement vicié, de nature totalitaire : une « révolution culturelle » revendiquée, visant à fabriquer le meilleur des mondes « féministe ». Il s’inscrit d’ailleurs dans une mouvance plus vaste, celle des luttes dites « intersectionnelles » qui juxtaposent les figures de « dominés » et prétendent extirper du monde la « domination ». C’est de même nature que les mouvements qui ont conduit récemment à pratiquer des autodafés de livres, non pas à Kaboul, mais au Canada, les cendres des ouvrages « malfaisants » revenant à la terre-Mère (sic), une transmutation du mal en bien s’opérant grâce à cette « purification ».
Comment et quand avez-vous regardé ce mouvement d’un mauvais oeil ?
Bien sûr les agissements dont était accusé Harvey Weinstein m’ont paru odieux. Mais face à #BalanceTonPorc, puis à #MeToo, et à l’ampleur incontrôlable de la vague qui a suivi, j’ai vite eu des réticences, sans pouvoir clairement les fonder. La violence des réactions contre la tribune Deneuve, sur laquelle j’avais quelques réserves mais qui avait le mérite de faire entendre autre chose, m’a tout de suite alertée sur le refus de #MeToo d’un débat démocratique autour de ces questions. Comme l’a très bien dit Catherine Deneuve, on ne peut pas se réjouir d’effets de meute. Ils conduisent au pire.
Vous évoquez trois temps du mouvement : #BalanceTonPorc et #MeToo, le départ d’Adèle Haenel de la cérémonie des César et son « témoignage » sur Mediapart contre le réalisateur Christophe Ruggia, enfin la publication du livre de Vanessa Springora, Le Consentement. Pourquoi vous attardez-vous sur le cas d’Adèle Haenel, qui ouvre votre livre ?
Ce moment à proprement parler sidérant a, je pense, constitué un tournant dans le mouvement. Au-delà des protagonistes impliqués dans cette séquence étrange qui a hypnotisé la France entière – ce qui en soi est déjà un phénomène qui méritait qu’on le questionne, et j’ai commencé par là -, il fait apparaître au grand jour les ressorts et les logiques qui gouvernent le #MeToo-féminisme. Il donne aussi à #MeToo une inflexion spécifique, qui va propulser le mouvement à l’avant-garde de ces luttes « intersectionnelles », autour d’un noyau militant se revendiquant – politiquement avant tout – lesbien avec insistance. Pour toutes ces raisons, il fallait étudier précisément ce qui s’est joué dans cet épisode. On ne comprend pas les choses si on en reste à des idées générales. Il faut décrire et analyser des faits et leurs circonstances.
Vous critiquez l’acharnement à l’encontre de Roman Polanski et parlez même, en y voyant un renversement particulièrement malsain, d’une « shoahtisation » des atteintes sexuelles. Que voulez-vous dire ?
Que Polanski soit un doudou maudit de la détestation irrationnelle de certaines féministes, ce n’est pas récent. Rappelez-vous la rétrospective à la Cinémathèque il y a quelques années. Mais la fixation délirante sur le « cas Polanski », empreinte d’une haine fanatique assortie de slogans antisémites particulièrement choquants, véritable basse continue dans l’épisode Adèle Haenel, ne peut qu’interroger. Car dans le même temps, les glissements les plus pervers s’opéraient : un universitaire, médiocre certes mais ayant pignon sur rue, ne craignait pas de comparer Adèle Haenel à Primo Levi. Les victimes auto-proclamées se désignent comme des « survivantes ». Les associations militantes exigent l’imprescriptibilité pour le crime de viol, défini par un autre universitaire comme « génocide individuel ». L’inceste, transgression majeure en effet, aux conséquences le plus souvent ravageuses, est défini par des intellectuels et par certains magistrats biberonnés aux théories douteuses de Muriel Salmona, « experte » en « victimologie traumatique », comme « crime contre l’humanité ». Or cette « shoahtisation », formule qu’Alain Finkielkraut avait également utilisée à propos d’accusations visant de façon posthume Élie Wiesel, mué dès lors en « bourreau », a ceci de grave qu’en convoquant de cette façon indigne la mémoire de la Shoah, elle la banalise, jusqu’à l’effacement. Ce qui dévoile la façon intellectuellement frauduleuse dont #MeToo aborde la question des faits et de la vérité.
#MeToo et ses suites françaises ont fait apparaître en effet un glissement dans la compréhension de la vérité. Ce qui sort de la bouche d’une « victime » (qui n’est même plus une plaignante) qui expose son « traumatisme » devient « vrai » par définition. Comment analysez-vous ce phénomène ?
Je l’analyse en relation avec ce que je viens de souligner, et avec la promotion contemporaine des « identités-victimes ». Leurs « récits » sont source de vérité parce qu’ils sont censés renverser la « domination ». Et quand un président de la République, garant de l’État de droit, croit bon de tweeter : « Victimes, on vous croit ! », reprenant un slogan des Colleuses, ce sont les principes fondamentaux de la justice dans un État démocratique qui sont jetés par-dessus bord, à commencer par la présomption d’innocence. C’est très alarmant.
Que répondriez-vous à des femmes qui vous diraient que #MeToo les a libérées ? Leur a fait du bien ?
Comme psychanalyste, je constate plutôt l’inverse : risque d’enfermement dans la blessure pour celles qui ont subi en effet des atteintes graves. Panique sexuelle pour les autres, hommes et femmes.
Un des épisodes précurseurs de Mai 68, en 1967, était la revendication étudiante de pouvoir circuler librement dans les chambres de cités universitaires entre les zones des garçons et celles des filles. Que s’est-il passé pour que plusieurs décennies plus tard, les femmes soient considérées comme des êtres faibles qu’il faut constamment protéger ?
Peut-être un oubli peureux des exigences, forcément déceptives, de la liberté. J’ajoute que cette posture de faiblesse est en réalité une position d’attaque. C’est le psychanalyste Ferenczi qui parlait de « terrorisme de la souffrance »…
Estimez-vous que notre époque se caractérise par une forme de ressentiment féminin ? Les femmes ont obtenu presque tout ce qu’elles voulaient, et pourtant…
La vigilance féministe est toujours de mise, car rien n’est jamais définitivement acquis. Mais ce ressentiment, comme vous dites, n’est-il pas le signe qu’un mouvement qui se veut total bute toujours sur le fait que ça ne peut pas marcher ? Frustration, et rage vengeresse, alors ?
Et pour finir, pourquoi parler de « mirage » à propos de #MeToo ?
Parce que la promesse d’un paradis féministe est une illusion, dont l’envers grimaçant est un monde de paranoïa sexuelle. Lorsque les suicides de David Hamilton, du chef Taku Sekine, du chorégraphe Liam Scarlett apparaissent comme des victoires du féminisme, on peut s’inquiéter.