Le totem féministe du célibat choisi
Depuis ses origines, le féminisme radical, dans sa version la plus misandre, prône le célibat, à l’instar de la française Madeleine Pelletier (1874-1939) : « Contre le mariage et l’amour libre, elle soutient le célibat ainsi que l’égalité intégrale de la femme et l’avortement » (Wikipedia). Le néo-féminisme qui déferle actuellement sur les réseaux sociaux et sur la toile en général n’est, comme toujours, qu’une resucée de ces préceptes, reformulés entre-temps par les universitaires américaines, puis hélas, leurs suiveuses francophones. Les blogs et articles féministes sont innombrables, qui présentent le célibat comme un choix de vie heureux ou une situation enviable pour des jeunes femmes en âge de procréer ou de se mettre en couple (par exemple, « Témoignages : mon célibat, mon choix », Causette, 24/02/20).
Mon choix ? Mon oeil ! Je soutiendrai dans ce qui suit que la propagande féministe trompe ces jeunes femmes en les enfermant dans une vie de chagrin et de dépression dont elles n’ont au fond d’elles aucune véritable envie. J’essaierai aussi de mettre en évidence (dans une série d’articles à venir) que c’est bien l’influence du féminisme dans la société qui aggrave le célibat (autant masculin que féminin) et rend au final tout le monde malheureux.
En attendant, Le Monde ne trouve pas mieux que de pondre cet article ridicule de méthode Coué présentant de pitoyables trentenaires toutes fières de faire couple avec elles-mêmes – hâte de voir leurs têtes épanouies dans 10 ans quand elles supplieront le premier clodo qui passe de leur accorder ne serait-ce qu’un regard : « Je ne veux plus passer mon temps à éduquer mes compagnons » : pour des femmes, le choix d’un célibat « libérateur » (Le Monde, 25/09/21). On notera aussi la caricature genrée (mais exacte) du titre, présentant les féministes comme les control freak hystériques qu’elles sont, investies de la mission de « rééduquer les hommes » (l’explication même de leur célibat).
Féminisme et célibat : corrélation ou causalité ?
S’il est incontestable qu’aux XXe et XXIe siècles, l’expansion du féminisme suit une courbe parallèle à celle du célibat dans tous les pays occidentalisés ou en cours de développement – le même phénomène s’observe aussi bien dans les pays occidentaux qu’en Asie ou en Afrique –, il est à l’heure actuelle impossible de trouver la moindre étude universitaire qui prenne pour objet d’en étudier les points de rencontre ou de convergence. Il est assez facile de comprendre pourquoi : l’idéologie et la propagande féministes étant les deux mamelles des Gender Studies dans toutes les universités de ce monde, ils ne vont pas se risquer à analyser objectivement les conséquences de leurs propres politiques.
Au détour des blogs ou des articles de presse publiés sur internet, il ne faut pourtant pas bien longtemps pour en voir affleurer l’hypothèse, si ce n’est la certitude. Ainsi dans cet article suisse de 2016 : « Partout où il émerge, il [le statut de célibataire] est la conséquence des combats féministes et des acquis sociaux du XXe siècle : le droit de vote, l’avortement, les moyens de contraception, le recours au divorce, l’accès au marché de l’emploi et les revendications salariales » (« Les femmes à la conquête du célibat », Le Temps, 15/04/2016). L’évidence semble donc sous les yeux de tout le monde – sauf chez les sociologues du genre, qui ne veulent toujours pas en constater les tristes conséquences.
L’article du Temps dresse un constat chiffré assez édifiant, sans préciser toutefois s’il s’agit de célibat subi ou choisi (la différence a son importance, comme on va le voir) : « Fin 2014, il y avait en Suisse, d’après l’Office fédéral de la statistique, 43,6% de célibataires contre 43,1% de personnes mariées, tous genres confondus. En France, elles étaient 58,1% à porter une alliance en 1983, mais seulement 43,4% en 2013. Aux Etats-Unis, depuis 2009, pour la première fois de leur histoire, les femmes mariées sont moins nombreuses que les femmes séparées, divorcées, veuves ou jamais mariées ». On retiendra simplement de ces chiffres que le célibat est en constante progression dans les pays développés où il représente quasiment une personne sur deux.
Célibat choisi ou subi ?
Il y a plusieurs manières de vivre le célibat, selon qu’il soit un choix ou une contrainte, pour ne pas dire une malédiction. Ce qui m’intéressera ici, dans le cadre de ma critique générale du féminisme, c’est le célibat subi, celui qui fait souffrir (que l’on soit homme ou femme), ainsi que le lien possible entre son explosion et la diffusion du féminisme dans toutes les strates de la société.
Comme on peut le lire sur Wikipedia même, à l’article « Célibat » : « Le phénomène d’un célibat tardif non voulu, de plus en plus répandu dans la société, est un phénomène très récent en Occident. Il y a un décalage entre la réalité vécue et le regard que la société porte sur le célibat : les célibataires sont souvent considérés comme égoïstes, refusant de s’engager, ayant des problèmes psychologiques, etc. Il existe peu de publications en sciences humaines (sociologie, psychologie) abordant le célibat non voulu, si ce n’est sous l’angle de l’utilisation des sites de rencontres. »
Je repose donc la question : pourquoi n’y a-t-il pas d’études sur le célibat tardif non voulu en expansion depuis quelques décennies en Occident ? Qu’est-ce qu’on n’a pas envie de devoir écrire noir sur blanc ? Pourquoi n’interroge-t-on pas ceux qui subissent cette solitude et pourquoi n’essaie-t-on pas de la mettre en perspective avec l’évolution globale des mentalités et de réfléchir à des solutions ? Il y aurait pourtant un champ riche d’enseignements à explorer.
Le déni féministe
Malgré le peu de doutes quant au rapport de causalité entre les deux phénomènes, l’intégralité du discours féministe s’emploie à minimiser le problème et à repeindre en rose le célibat subi des femmes. Ainsi le psychologue féministe Paul Dolan produit-il en 2019 un très mauvais livre (Happy Ever After) qui reprend tous les poncifs anti-union, anti amour et anti-mariage du vieux féminisme universitaire pour essayer de faire croire que les femmes les plus heureuses seraient les célibataires sans enfant. Il n’hésite pas pour cela à mésinterpréter les chiffres qu’il a sous les yeux, à tel point que d’autres scientifiques doivent prendre la plume pour le réfuter : « Non, la science n’a pas prouvé que les femmes célibataires sans enfant sont plus heureuses ». Les thèses de Dolan ont été « mises en cause par Gray Kimbrough, économiste à l’American University School of Public Affairs, qui utilise les mêmes données et considère que Paul Dolan les analyse de manière superficielle (cf. A new book says married women are miserable. Don’t believe it) » (Wikipedia).
Mais comme il se doit, la presse féminine et grand public s’est empressée de répercuter la mauvaise étude de Dolan, en oubliant de signaler sa réfutation. En attendant, les faits sont têtus : on ne vit pas plus heureuse ou en meilleure santé quand on est célibataire et sans enfant; c’est même tout le contraire et ce n’est pas qu’une affaire de « pression sociale » ou de « patriarcat ».
C’est ainsi que les féministes militantes continuent de nier, contre toute évidence, l’influence du féminisme sur leur malheur, comme dans ce billet, « Le féminisme, cause du célibat ? » (14/02/20) : « Étant donné que j’accorde une immense importance à mes valeurs féministes inclusives et intersectionnelles, il est impossible pour moi de concevoir que je pourrais développer une relation amoureuse envers un homme qui n’a pas ces mêmes valeurs ou, du moins, qui n’est pas prêt à s’éduquer sur le sujet ». « S’éduquer… » On est encore face à une de ces féministes control freaks qui veulent rééduquer les hommes ; un travers que l’on ne connaît que trop et qui n’a pas fini de les maintenir dans le célibat et la défaite (cf. « Valérie Rey-Robert, la control freak qui veut rééduquer les hommes »), l’obligeant à conclure son billet par l’habituelle glorification forcée et bien peu crédible de la vie en solo « juste pour soi ». Elle est quand même l’une des rares dans sa secte qui ose associer les mots « féminisme » et « célibat » et questionner leur rapport. Pour toutes les autres, c’est le tabou ou le déni.
Bien sûr, la presse féminine et les sites et blogs féministes produisent tartine sur tartine pour essayer de faire croire que le célibat, c’est le bonheur – comme ce truc illisible de Slate avec des points partout : « Le célibat peut être un choix de vie, quel que soit l’âge que l’on a » (mais oui, mais oui, on connaît la chanson…). Je passe sur l’océan de féministeries célibattantes qui inondent la toile de leur prêchi-prêcha à base de méthode Coué (« mais je suis trooop heureuse d’être célib, ouin ouin »).
Célibat « choix de vie » véritable ou vie d’ascèse imposée ? Les chiffres
Faute d’étude sociologique récente d’envergure pour aborder les faits dans la France du XXIe siècle, on se penchera, faute de mieux, sur ce sondage OpinionWay réalisé en octobre 2020, dont on peut tout de même tirer quelques enseignements préliminaires.
- Sur l’échantillon de 1028 français interrogés, 27% sont célibataires, dont une forte proportion contre leur gré, et dont 21% qui n’ont aucune vie amoureuse ou sexuelle :
Quand on demande ensuite aux mêmes français quel est leur idéal de vie amoureuse, ils ne sont plus que 11% à rêver d’être célibataire. Aucun ne rêve d’ascèse (ce qui démontre que ceux qui sont dans cette situation ne le sont pas par choix comme ils le prétendent) :
Quand on regarde ensuite le sex-ratio des célibataires,
Il ressort que ceux qui sont célibataires avec aventures sont trois fois plus souvent des hommes et que les femmes sont majoritaires à subir le célibat, en le reconnaissant (13%) ou en prétextant qu’elles ont choisi la vie d’ascèse (15%).
Mais quand on regarde ensuite quel est l’idéal de vie amoureuse selon le sex-ratio, voici ce que l’on trouve :
Des femmes qui rêvent un peu plus que les hommes d’être célibataires avec des aventures, mais seulement 5% qui rêvent de se passer de toute vie amoureuse (à peu près l’équivalent des hommes). Dans la vraie vie, 95% des femmes ne rêvent donc aucunement de se passer de vie amoureuse. Comment se fait-il alors que le féminisme les harasse continuellement avec sa célébration du célibat ?
Il ressort de cette étude que le célibat est important (27% de la population interrogée), mais qu’il concerne majoritairement les femmes (31% d’entre elles contre 22% des hommes). Il ne représenterait cependant le rêve de vie que de 14% d’entre elles – sauf que l’étude ne précise pas quelle est la tranche d’âge féminine qui en rêverait le plus. C’est pourtant ce que l’on aurait le plus besoin de savoir quand on voit la propagande que le féminisme adresse aux jeunes femmes.
D’après ce tableau, on peut voir que c’est au-delà de 50 ans que l’on trouve le plus de français qui rêvent de célibat. On peut donc en déduire qu’avant 50 ans, il ne fait pas rêver grand monde (et certainement pas les jeunes femmes) et que quand il est vécu, il est bel et bien subi.
Connaissant ces chiffres, il va donc être très difficile de croire le battage féministe essayant de nous faire avaler que les nombreuses (de plus en plus nombreuses) femmes célibataires de tous âges le seraient par choix et en seraient les plus heureuses du monde. Il est évident que c’est faux et que si une vie de tranquillité et d’ascèse peut être véritablement choisie par une femme de plus de 50 ans, c’est assez peu crédible pour une femme plus jeune.
- Féminisme et célibat sur la toile
Comme j’en suis encore aux prémisses de ma réflexion sur le sujet, je n’ai pas eu l’occasion de compiler beaucoup de témoignages en ligne – je le ferai au fil du temps. Pour l’instant, je mentionnerai simplement deux articles de blog qui se répondent, l’un d’un camerounais de 35 ans, l’autre d’une jeune femme également de la communauté noire et qui s’en réclame quand elle écrit. Leur couleur de peau n’a cependant aucune importance ici, car ce qu’ils écrivent dépasse largement cette condition.
Dans son billet, « Au secours, j’ai 35 ans et je ne trouve pas de femme à épouser! » (14/04/20), ce camerounais relate la difficulté qui est la sienne (et celle de ses compatriotes) à devoir jongler entre une transformation rapide de la société africaine (qui subit entre autres l’importation du féminisme occidental) et le poids encore pesant des traditions (qui sur la plan marital, n’avaient cependant pas que des désavantages, loin de là). Le piège est total et la solution quasi introuvable.
Comme il fait allusion au féminisme et aux difficultés supplémentaires que cela lui occasionne, C. Befoune, en tant que sympathisante féministe mais appartenant à la même communauté raciale que lui, se propose de lui répondre : Réseaux sociaux et féminisme au cœur du célibat masculin (28/04/20). Son billet est plutôt une bonne surprise car, allez savoir pourquoi, je me serais attendue au pire. Si elle ne développe pas la question de l’impact du féminisme sur le célibat (il faut reconnaître qu’il n’y pas beaucoup de données car, comme on l’a vu plus haut, c’est clairement un tabou dans les études de genre), son billet donne quelques indications sur la perception que de plus en plus de jeunes femmes équilibrées peuvent avoir du néo-féminisme et de ses dérives, et je trouve cela assez réconfortant.
Je la cite : « Je ne voulais pas avoir d’enfant, (…) je l’avais déclaré publiquement. Le summum du féminisme à leurs yeux. Une de ces personnes m’a dit que j’ai trahi le mouvement parce qu’à présent je vis en couple et j’ai un enfant. (…) Pour beaucoup de femmes sous nos cieux, la féministe c’est la femme au caractère dur, limite froide et frigide qui n’a pas besoin d’homme dans sa vie et a plus ou moins réussi financièrement. Ça c’est chez les hardcore. Chez ceux qui sont un peu plus soft, la féministe c’est la femme qui se marie quand même mais qui ne fait pas le ménage, ne fait pas la cuisine, ne fait pas la lessive, sort tard le soir et se moque de toutes ses copines qui ne font pas pareil. Si elle a pitié de son compagnon (je me demande comment ça se passe lorsqu’il s’agit de 2 femmes en couple!), elle fait le ménage s’il fait la lessive et fait la cuisine s’il donne le bain aux enfants. En gros les tâches sont comptabilisées et celui qui en a une de plus que l’autre perd toute dignité. (…) Le plus beau ce sont celles qui pratiquent le féminisme de l’asservissement. Elles vivent dans le fantasme d’un passé glorieux où les femmes dirigeaient d’une main de fer les grands groupes africains, allaient au combat et gagnaient des guerres. Dans leur réalité le seul moyen de remettre de l’ordre dans la société c’est d’asservir les hommes et donc les époux et les compagnons qui doivent obéir au doigt et à l’œil ». En voilà une qui a tout compris 😉
- Incels et incelles : tout le monde est perdant
En attendant de plus amples développements sur cette question, on pourra se reporter à cet article :
- Les femmes intellectuelles sont-elles toujours désavantagées sur le marché matrimonial ?
Développements à venir
[à suivre…]
- Voir aussi :