Je viens de découvrir la « philosophie MGTOW » (Men Going Their Own Way), mouvement masculiniste très actif sur internet qui, en réponse au féminisme tout puissant, invite les hommes à se retirer du jeu de la séduction et des interactions avec la gent féminine.
Alors après tout, pourquoi pas, chacun est libre de construire sa vie comme il l’entend, avec ou sans l’autre sexe. Ce sont bien les moines chrétiens qui, pendant des siècles et à la faveur de leur travail intellectuel, nous ont transmis l’héritage antique tout en bâtissant la civilisation intellectuelle moderne (même la théorie du Big Bang au XXe siècle est encore l’oeuvre d’un théologien). Se détourner des femmes n’est pas en soi un choix de vie critiquable.
MGTOW n’est toutefois pas une forme de monachisme, loin s’en faut – même s’il semble partager quelques traits communs avec certaines sectes radicales misogynes du christianisme primitif ; j’y reviendrai à l’occasion.
Car les choses se gâtent quand on découvre le montage théorique et idéologique qui justifie pour certains leur attitude envers les femmes (officiellement, ceux-là disent « femmes », mais en privé ou dans leur tête, ils pensent plutôt « femelles »).
Tout comme moi, MGTOW dénonce le néo-féminisme et s’intéresse à la psychologie évolutionniste, ou au néo-darwinisme – courant de pensée scientifique incarné en France par Peggy Sastre notamment. C’est donc avec un a priori plutôt positif que je lance l’autre jour la première vidéo d’un dénommé Ralf, juriste de son état, qui nous expose de manière parfaitement claire et didactique les tenants et aboutissants de MGTOW :
https://www.youtube.com/watch?v=mtBtkcYhJW4&t=23s
Et là, très vite, des voyants rouges s’allument dans mon cerveau. Mes craintes sont largement confirmées à la seconde vidéo (« Une philosophie exclusivement masculine »), où l’on m’explique doctement que MGTOW méprise les femmes et n’entend aucunement collaborer sur quoi que ce soit avec elles (y compris, donc, sur l’antiféminisme).
La suite est à l’avenant ; mais c’est sur la quatrième vidéo, intitulée « La nature de la femme », que je vais m’arrêter plus longuement.
https://www.youtube.com/watch?v=5eQmCCDgAr0
La vidéo débute par une longue justification (plus de 10 minutes) sur le fait que tout ce qui sera avancé par la suite est d’ordre scientifique et parfaitement démontré, dans des études si nombreuses qu’il n’est même pas besoin de les mentionner – puisque l’intégralité de la littérature scientifique irait dans ce sens.
Ralf opère ici un habile tour de passe-passe. Toutes les études scientifiques confirment la différence biologique des sexes, oui, jusque là nous sommes d’accord. Mais aucune ne valide les élucubrations misogynes que Ralf va nous servir de la 14e minute jusqu’à la fin de sa vidéo .
Ce n’est pas parce que nos cerveaux baignent dans des influx hormonaux différents, pilotés par nos différences génétiques, que cela induit que toutes les femmes (Ralf, qui essentialise toujours, ne connaît que LA femme) seraient des êtres amoraux, sentimentalistes, instables et calculateurs, assimilables, comme il le dit dans une autre vidéo, à des animaux domestiques ou des enfants sans cervelle. Quelle étude scientifique démontre cela ? Je serais curieuse de la lire 😉
La misogynie de Ralf et de ses adeptes, tout comme la misandrie des néo-féministes, repose sur le même principe que le racisme : l’essentialisation (la réduction d’une personne à son sexe ou son origine) et l’incapacité à envisager que si deux choses sont différentes (d’un point de vue biologique ou ontologique), cela n’implique nullement que l’une soit supérieure à l’autre.
Cette forme radicale du masculinisme est strictement superposable au néo-féminisme (en inversant simplement les sexes) :
- Chaque sexe est intimement convaincu d’être supérieur à l’autre
- Chaque sexe se considère victime de l’autre
- Chaque sexe s’invente un paradigme (une grille de lecture fantasmatique du monde) expliquant pourquoi il est obligatoirement la victime de l’autre : à la baudruche idéologique du « patriarcat » répond désormais la « matrice » MGTOW (en gros, le « matriarcat » actuel. Même si je reconnais que la féminisation de la société occidentale est une réalité, il y a une paranoïa excessive derrière la « matrice » et la « pilule rouge » – Ralf explique ce que c’est dans sa première vidéo).
- Chaque mouvement se construit sur une idéologie « scientifique » radicale : Les études de genre féministes nient radicalement la biologie (une aberration), quand, à l’inverse, MGTOW fait du darwinisme une religion naturelle. Les unes sont « tout culture » quand les autres sont « tout nature ».
- Chaque individu s’exonère de toute responsabilité dans ses malheurs et fait systématiquement porter l’intégralité des fautes à l’autre sexe. Lui est toujours un ange de perfection et l’autre un démon malfaisant.
- Le narcissisme et le manichéisme sont leurs deux mamelles communes.
- Les deux mouvements recrutent des personnes en détresse affective avec les mêmes méthodes de sectes : le love bombing (« Nous vous comprenons, nous sommes une famille, des frères – ou des soeurs -, vous n’avez que des qualités, l’autre sexe n’en a aucune », etc.) et un évangile avec un credo extrêmement simple à assimiler et vendu avec beaucoup de talent (« Le bien, c’est vous et notre communauté ; le mal, c’est l’autre sexe »).
- Les deux mouvements forment donc des adeptes auxquels ils retournent la tête et qui s’en vont ensuite répéter les éléments de langage afin d’agrandir la secte (avec toutefois un bémol pour MGTOW : contrairement aux féministes, ce n’est pas un mouvement prosélyte et il ne bénéficie d’aucun appui institutionnel).
- Les deux mouvements essentialisent leur haine : à la misandrie répond désormais la misogynie.
- MGTOW rejette la parole des femmes parce qu’elles sont femmes de la même manière que les féministes méprisent la parole des hommes, même féministes.
- Le parallélisme entre les deux mouvements va même jusqu’à une assonance involontaire : MGTOW prononcé comme un acronyme se dit « Migtou », ce qui sonne étrangement comme « Mitou » (#MeToo)…
- Etc. (Je développerai peut-être à d’autres occasions pour ne pas alourdir cet article)
Je reviens maintenant aux arguments misogynes de Ralf (14e minute à la fin, donc), en les reprenant un par un :
- « La femme est prédictible ». Peut-être, mais l’homme l’est tout autant, n’en doutez pas. Et prédictible ne veut dire ni inférieur ni supérieur, contrairement à ce que vous croyez.
- Le sentimentalisme : « La » femme est d’abord accusée de n’être « que sentimentale » avant d’être accusée d’être incapable de sentiments – il faudrait savoir. Cela revient dans d’autre vidéos : seul l’homme serait capable d’aimer. Ben voyons ! C’est absurde et incohérent.
- « Sentimentaliste par essence, la femme n’a ni logique, ni raison, ni structure ». Gros lol. Voir point suivant.
- « Il ne faut pas essayer de débattre avec une femme ». Je comprends bien qu’il vaut mieux prendre la fuite que de se faire mettre le nez dans son caca 😉
- « La femme, un être autocentré sur ses sensations, ne peut s’élever à l’échelle du concept, de la systématisation, de la généralité ». Vous n’avez jamais entendu parler des féministes ? Elles ne conceptualisent et ne généralisent pas autant que vous, peut-être ?
- « La femme est un être amoral (c.-à.-d. dépourvu de moralité) dont le comportement ne permet pas la vie en société ». N’importe quoi. Le sexe féminin a au contraire joué un grand rôle dans la socialisation des primates puis des premiers hommes, sans parler de toute l’histoire de l’humanité.
- « La femme n’a pas accès au concept de vérité absolue ou de véracité ». Phraséologie sectaire radicale typique. Même les imams les plus salafistes n’oseraient pas aller jusque là.
- « La femme a des sentiments changeants ». Tout le monde sait qu’un homme ne change jamais d’avis. Mais lol !
- « La femme est incapable de développer des théories à contre-courant ». Eh bien si, on peut être à la fois contre vous et contre les féministes, par exemple. La preuve.
- Le hamster : « La femme récrit le passé et interprète ses actes pour les rendre socialement acceptables ». Lol. On voit que vous n’avez jamais vu un homme vous baratiner ad libitum pour justifier ses actes. On ne doit décidément pas vivre sur la même planète :p
- « La femme rend ce qu’elle a fait logique, moral, bien et se dégage de toute responsabilité ». Exactement comme vous dans cette vidéo.
- « Elle n’est pas mythomane : elle se convainc de la vérité de ce qu’elle dit ». Exactement comme vous ^^
- L’hypergamie : Vous savez parfaitement que l’hypergamie féminine a été mise en oeuvre par les hommes et dans l’intérêt des deux sexes ; chaque famille désirant confier la perpétuation de ses gènes au meilleur offrant. N’en faites pas porter le chapeau aux femmes. Si vous avez une fille, vous serez certainement intéressé de savoir avec qui elle se reproduit.
- « La femme est une calculatrice froide et cruelle ». Tellement outrancier que je ne commente même pas.
- « Une femme ne vous aime jamais pour ce que vous êtes, pour vos valeurs humaines ». Toujours les généralisations. Comme si tous les hommes ne regardaient que ça, eux…
En conclusion, pourquoi suis-je aussi agacée par ces outrances ? Eh bien parce qu’elles mettent de l’eau au moulin des féministes misandres qui n’attendent que cela pour dire que les hommes sont des crétins et justifier leur combat contre eux.
Et parce que si j’ai rejeté le féminisme à cause de sa misandrie et de ses généralisations sur les hommes – indignes d’un esprit formé à la philosophie et à l’humanisme –, je ne veux surtout pas que mon antiféminisme soit rapporté à ce genre de dérive misogyne. En diffusant ces idées indéfendables, vous jouez contre votre camp et vous jouez contre le mien. Ce faisant, vous nourrissez le féminisme, ce qui ne devrait pas être l’objectif du masculinisme. Ne mettez donc pas votre intelligence au service de la guerre de sexes, ou bien tout le monde sera perdant…
[à suivre…]
- Voir aussi :
Féministes et pervers narcissiques, les liaisons dangereuses