ÉDITO. Récemment, le secrétaire général de l’ONU expliquait que la pandémie de Covid-19 était le révélateur de « millénaires de patriarcat ». Vraiment ?
« La pandémie ne fait que démontrer ce que nous savons tous : que des millénaires de patriarcat ont produit un monde dominé par les hommes avec une culture dominée par les hommes qui nuit à tous – les femmes, les hommes, les filles et les garçons. » Cette phrase prononcée par le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres le 31 août 2020, lors d’un discours à de jeunes femmes de la société civile, n’a pas été tirée de son contexte pour ridiculiser son auteur, mais tweetée par les Nations unies elles-mêmes. Elle défie pourtant les lois de la logique : à première vue, faute d’arguments à l’appui, on ne comprend guère en quoi la pandémie a un quelconque rapport avec le patriarcat, on ne saisit pas non plus comment on peut affirmer la prééminence en tous lieux de la « domination masculine », et on ne voit pas pourquoi cette « culture masculine » nuirait forcément « à tous ». Bref, Guterres a peut-être raison, mais rien ne permet, dans cette affirmation, de le savoir.
Quand on lit le discours dans son entièreté, on comprend mieux ce que Guterres veut dire : que les femmes ont été particulièrement impliquées dans la lutte contre la pandémie, puisqu’elles sont majoritaires dans le secteur du soin; qu’elles ont souffert économiquement, car elles sont aussi majoritaires, dans le monde entier, dans le secteur informel, et qu’elles ont endossé une part plus grande encore du travail non rémunéré; que la fermeture des écoles et le repli sur le foyer les ont exposées à davantage de violence. Mais on ne voit toujours pas en quoi c’est une preuve convaincante que le monde entier est patriarcal. En effet, d’un côté, comme l’ont montré de nombreuses études de psychologie comportementale, les femmes sont majoritaires dans le secteur du soin car elles sont plus intéressées par les professions liées aux « personnes » qu’aux « choses ». Le mot « intéressées » est important : il ne s’agit pas de compétences, mais de préférence. D’un autre côté, la discrimination et la violence à l’égard des femmes – bien plus forte dans certains pays en développement que chez nous – sont une manifestation évidente de systèmes patriarcaux. Le cas de l’activité économique est, lui, plus ambigu : que les femmes s’occupent davantage du foyer et des enfants que les hommes peut être autant le résultat d’un choix authentique que d’une contrainte.
Le danger des formules toutes faites
La pandémie de Covid-19 n’a donc pas révélé l’existence d’un omniprésent patriarcat, mais celle d’une division des tâches millénaires entre les deux sexes, qu’on peut ensuite discuter, voire contester. Pour certains, elle est une organisation archaïque à démanteler. Pour d’autres, comme le chercheur en psychologie devenu superstar Jordan Peterson, il s’agit d’une stratégie conjointe de survie face à l’adversité du monde. Pour d’autres encore, elle est à conserver quand elle relève du libre choix des individus, et à combattre quand elle revient à discriminer et violenter les femmes.
Ce tweet et plus généralement les affirmations de ce genre, qui sont récurrentes, ne posent pas problème en raison des idées qu’ils suggèrent, mais parce que leurs auteurs s’estiment dédouanés de justifier leurs dires par des arguments. Ils se contentent de répéter des formules toutes faites sans jamais les interroger, préférant l’automatisme de la parole à la compréhension du monde réel. Selon la dernière étude du Monde avec Ipsos-Sopra Steria sur les « Fractures françaises », 69 % des Français sont ainsi convaincus de « vivre dans une société patriarcale » où « patriarcal » signifie « une société où le pouvoir est détenu par les hommes. » Il est pourtant évident que le terme « patriarcat » n’a pas le même sens en Iran qu’en France, et même qu’il décrit bien mieux le premier pays que le second.
La prévalence de la parole automatique n’est pas seulement un problème intellectuel, c’est un obstacle à l’action, car quand on pense de travers, on agit rarement droit. Il suffit de constater que l’autoflagellation de Guterres est en totale contradiction avec ses actes : si la domination masculine dans les lieux de pouvoir le gêne tant, pourquoi ne laisse-t-il pas sa place à une femme ?
- Voir aussi, sur la baudruche idéologique du « patriarcat » :