Il faut absolument aller lire le Rapport sur les manifestations idéologiques à l’Université et dans la Recherche rédigé par l’Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires (daté du 10/05/21 et mis en ligne le 19/06/21) pour comprendre dans quel état de délabrement intellectuel est déjà parvenue une partie des sciences humaines dans l’université française.
Les sujets de thèses qui y sont listés (p. 15 à 36) en disent long sur l’étendue du désastre. Mon site étant dédié principalement à la critique du néoféminisme, je vais laisser de côté les thèmes, pourtant intimement liés, du décolonialisme et du racialisme – dont l’Observatoire est de toutes façons mieux qualifié que moi pour traiter – et revenir un instant sur l’emprise idéologique du néoféminisme dans la recherche en Humanités.
Parmi les dizaines d’exemples cités, j’ai extrait du rapport ces quelques sujets de thèses néoféministes. Sur ces 13 sujets directement inspirés par cette idéologie, trois sont des thèses en Arts, deux en Philosophie, deux en Sciences de l’Éducation et deux en Sciences politiques, les quatre autres se répartissant entre Sociologie, Études de genre, Psychologie et Anthropologie sociale.
Dix d’entre elles sont l’œuvre de femmes, deux d’hommes et une troisième d’un queer – donc de sexe indéterminé que je ne me risquerai pas à mégenrer imprudemment. Les directeurs de thèse et membres des jurys sont également prioritairement des femmes ; ce qui permet d’un seul coup d’œil de relever ce à quoi peut mener l’hyperféminisation des sciences humaines à l’université. Hélas, trois fois hélas, ceci tendrait aussi à conforter le vieux stéréotype sexiste voulant que les hommes soient plus rationnels que les femmes (et que je suis la première à déplorer : c’est en ce sens que ce féminisme ne sert pas la cause des femmes).
Les thèses listées ci-dessous le sont par ordre anti-chronologique, de la plus récente à la plus ancienne, ce qui permet de se rendre compte vers quoi les choses évoluent :
Thèses en cours :
- « Un écoféminisme autochtone : représentations, discours et cosmologies animalistes décoloniales », thèse en préparation en Philosophie (!) à Amiens, par Myriam Bahaffou : « Cette thèse aura pour but d’explorer les liens entre deux groupes multiminorisés, les femmes autochtones vivant au Canada et les animaux avec qui elles vivent. (…) Cette thèse se développera dans un cadre de pensée écoféministe, c’est à dire qu’elle mettra en valeur l’assujettissement du vivant en général au nom d’une même domination, celle du patriarcat capitaliste et colonial. »
Même si cela pourrait se passer de commentaires tellement c’est caricatural (les femmes assimilées à des animaux sous la férule du « patriarcat », on se croirait dans un happening de Solveig Halloin…), je rappelle tout de même que l‘écoféminisme n’est qu’un rhabillage misandre et victimaire de la vieille spiritualité New Age de la fin des années 1970 (née en même temps et au même endroit que le néoféminisme sur les campus californiens) et le « patriarcat » une baudruche intellectuelle qui ne repose sur aucun fait scientifique. On notera aussi ce qu’est devenue la philosophie depuis que des néoféministes comme Manon Garcia s’en réclament…
- « Décoloniser la vénus : le mythe de la naissance de l’Aphrodite, sa réception classique à la renaissance et la constitution d’un corps théorique esthétique-décolonial », thèse de Philosophie (encore !) en préparation à Toulouse 2 depuis le 1er septembre 2018 par Raisa Inocencio Ferreira Lima. Il s’agit d’une énième resucée du vieux féminisme puritain et hétérophobe qui, depuis 1995 et le livre de Lynda Nead, The Female Nude, s’en prend à la représentation du corps féminin dans l’art. Il est simplement rhabillé ici d’une touche de décolonialisme pour coller à l’air du temps. J’attends donc avec impatience la soutenance et le résumé car les Vénus dans l’art ainsi que la névrose féministe à leur égard sont des sujets qui m’intéressent particulièrement.
- « Intégrer l’approche intersectionnelle en formation des enseignant-e-s », thèse en Sciences de l’éducation, en préparation à Paris Est depuis le 9 décembre 2015, soutenance prévue en octobre 2021 par Odile Maufrais, formatrice à l’INSPÉ de l’Académie de Créteil. On notera le jargon épicène dans le titre et on pourra se rapporter à la page 27 du rapport de l’Observatoire ou au lien ci-dessus pour constater l’étendue du verbiage et du formatage idéologique. Il faut également noter que cette personne est déjà en poste et milite donc activement dans le cadre de ses fonctions.
Thèses soutenues :
- « L’égalité pour les autres. Education à l’égalité entre les sexes et racialisation du sexisme en France », thèse en Sciences politiques soutenue le 16 novembre 2020 à Paris 1 Panthéon-Sorbonne par Simon Massei. On comprend d’après le résumé que la thèse se positionne en faveur de l’idéologie du genre et prend la défense des « ABCD de l’égalité » de la ministre de l’Éducation Nationale de sinistre mémoire Najat Vallaud-Belkacem.
- « Artistes femmes, queer et autochtones face à leur(s) image(s) : pour une histoire intersectionnelle et décoloniale des arts contemporains autochtones aux Etats-Unis et au Canada (1969-2019) », thèse de doctorat en Anthropologie sociale et ethnologie soutenue le 12 octobre 2020 à l’EHESS par Aurélie Journée.
- « Défier la sexualisation du regard. Analyses des démarches contestataires des FEMEN et du post-porn », thèse en Sciences politiques soutenue à Lyon le 13 septembre 2019 par Noémie Aulombard : « (…) Ces deux démarches contestataires mettent en exergue et questionnent, chacune à leur manière, la sexualisation cishétéropatriarcale des corps. (…) je montrerai que le regard sur les corps est verrouillé autour d’un imaginaire traversé par les rapports de pouvoir : les scripts corporels, façons hégémoniques de raconter les corps des dominant·es et des dominé·es, structurent le regard. » Gneu gneu gneu, la dominatiooon…, ce grand fantasme (je parle de refoulé sexuel) des néo-féministes.
- « Pour un empowerment socio-environnemental : sociologie d’un mouvement féministe alternatif au Brésil », thèse de doctorat en Sociologie soutenue le 7 juillet 2019 à Toulouse 2 par Héloïse Prévost. On relèvera le même jargon radical, intersectionnel et écoféministe, ainsi que la valorisation des émotions (au détriment de la raison, l’ennemie historique des féministes) :
- « L’analyse articulée de la violence de genre et de la violence sur la nature met en lumière les liens renouvelés entre patriarcat et colonialité et montre une politisation sentipensée des militantes, à partir notamment d’une politique intersectionnelle et de la valorisation d’un féminisme faisant des émotions un outil politique. »
La politisation « sentipensée » ou quand le sentiment supplante le raisonnement. On progresse !
Pour bien comprendre sur quoi se fonde ce genre de concept, il faut avoir en mémoire les marottes du féminisme radical des années 90 :
Dans cet ouvrage paru en 1990, Andrea Nye, féministe universitaire et théoricienne des Gender Studies, prétend que la philosophie et la logique hérités des Grecs ne sont que des stratégies discursives mises au point par les hommes pour opprimer les femmes.
Les mêmes délires sur le « sentipenser » sont développés dans cet article de mars 2020 : « Jusqu’à ce que nous soyons toutes libres » : la militance « sentipensée » des féministes agroécologiques brésiliennes contre les violences agrocapitalistes », où l’on nage en pleine spiritualité écoféministe-New Age. On notera la majuscule à Terre (= Gaïa, la déesse-mère) et le féminisme mystique :
« Le lien à la Terre et la fusion entre émotions et analyse politique sont analysés par l’étude des supports militants (mística, chants, poèmes, slogans) et des entretiens avec des militantes rurales. La compréhension de cette sentipensée éclaire les différents enjeux des violences. Une analyse de la violence de genre est proposée, appréhendée comme stratégie de l’agrocapital. La violence conjugale socioenvironnementale et les « féminicides agrocapitalistes » font partie de ce que l’auteure nomme une « nécropolitique agrocapitaliste ». »
- « Confrontations artistiques et féministes aux hiérarchies du genre« , thèse en Arts par Magalie Latry soutenue en 2018. On notera la présence de Christine Bard dans le jury.
- « Présence et représentation de l’analité dans l’Art contemporain », thèse en Histoire et Histoire de l’art soutenue par Icaro Ferraz Vidal Junior à Perpignan en 2018. Je mets le résumé intégral car il vaut son pesant de cacahuètes, dans la mesure où on y conjugue allègrement le pornoterrorisme, l’écoféminisme, le « patriarcat » et l’anus sous toutes ses formes – c’est aussi beau que du Rachele Borghi dans le texte et d’ailleurs, j’étais convaincue que ça avait été soutenu dans son département de la Sorbonne. Ceci dit, dans le fond, c’est tout de même le seul sujet de thèse qui m’amuse réellement dans cette liste et peut-être le seul que je sauverais – parce qu’il est vraiment très drôle :
« Cette thèse propose une analyse de la présence et des représentations de l’analité dans l’art contemporain. Les œuvres analysées ici sont regroupées autour de trois axes centraux: le premier est celui qui investigue les rapports entre sexe et politique, le deuxième est dédié aux liens entre les excréments et le système de production industriel, le troisième met en relation l’érotisme et l’écologie. Dans le premier axe, nous proposons un parcours qui passe par les rapports entre le matriarcat et le patriarcat et arrive à la théorie queer contemporaine. Dans ce cadre, nous étudions la production artistique et activiste pornoterroriste. Le deuxième axe reprend le processus historique d’aseptisation des villes et la thèse freudienne sur le caractère anal pour créer un contexte de relecture des œuvres de Piero Manzoni, Wim Delvoye, Paul mccarthy et Andres Serrano. Le dernier axe essaie de créer des résonances entre la philosophie de Gilbert Simondon, l’anus solaire, un essai de Georges Bataille, la production picturale de Jakub Julian Ziolkowski et la vidéo Cooking, de Tunga, à partir de la notion chère à Simondon d’ordre de magnitude, à partir de laquelle nous essayons de dévoiler les rapports de l’anus avec le cosmos dans la production artistique contemporaine. »
- « Les effets des jeux vidéo à contenu sexiste sur l’objectivation de la femme et sur les stéréotypes de genre », thèse en Psychologie soutenue en 2017 par Elisa Sarda. On notera que ce genre de stupidités victimaires lui permet un recrutement comme Maître de Conférences dans la foulée.
- « Vers une théorie du roman postnormâle. Féminisme, réalisme et conflit sexuel chez Doris Lessing, Märta Tikkanen, Stieg Larsson et Virginie Despentes », thèse en Etudes de genre soutenu en 2016 par Heta Rundgren.
- « Activisme rose, cultures et arts féministes queer en France », thèse en Arts et sciences de l’art soutenue à Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 2015 par Marie-Emilie Lorenzi.
- « Un cas d’aliénation autonome. Les discours sur l’allaitement maternel sur les forums de discussion sur Internet », thèse en Sciences de l’éducation soutenue à Paris 10 le 29 janvier 2013 par Hugues Bardon : « (…) les internautes incarnent ici le concept d’aliénation autonome. Mais à travers certaines résistances qui parviennent à s’exprimer contre la « doxa de l’allaitement maternel », bla bla bla… ». Il semble donc qu’il s’agisse encore d’une thèse féministe anti-allaitement dans la plus pure tradition du genre.
Conclusion : plus le temps passe et plus les choses empirent
Les thèses en « Queer Studies » des années 2015-2018 semblent de bien innocentes formes de militantisme quand on voit la place hégémonique qu’a pris depuis le jargon radical antipatriarcal, victimaire et misandre. Les sciences humaines à la sauce néo-féministe ne semblent plus se nourrir désormais que de la guerre des sexes et des approches simplistes et fantasmatiques fondées sur l’idéologie de la domination ou l’écoféminisme, formes de pensée binaire que dissimule bien mal l’enrobage du vocabulaire pédant.
[à suivre…]
- Voir aussi :