[Paula Wright] – Quand une féministe n’est-elle pas féministe ? Féminisme contre équité

Traduction  de l’article  « When is a feminist not a feminist? Feminism vs. Egalitarism », de Paula Wright, publié en décembre 2015 par Psychology Today et repris sur son propre site.

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« Féminisme : Plaidoyer pour les droits des femmes sur la base de l’égalité des sexes. »

« Équité* : Doctrine selon laquelle toutes les personnes sont égales et méritent l’égalité des droits et des chances. »

« ndlt : Je choisis de rendre l’original « egalitarism » par « équité » plutôt que par « égalitarisme » car dans ce contexte, il renvoie à l’Equity Feminism (le féminisme pour l’égalité des droits, par opposition au Gender Feminism) ; et qu’égalitarisme en français comporte une connotation péjorative absente du concept d’équité ici defendu.

Les deux citations ci-dessus proviennent de l’Oxford Dictionary. À première vue, féminisme et équité (egalitarism) semblent converger. Et en effet, il n’est pas inhabituel d’entendre les féministes faire appel à cette définition du dictionnaire chaque fois qu’elles sont critiquées. J’appellerais cela la défense de la « personne raisonnable », p. ex. : « Quelle personne raisonnable pourrait être en désaccord ? » L’idée étant qu’ils ne le peuvent pas s’ils veulent rester raisonnables aux yeux des autres.

De même, quelle personne raisonnable pourrait être en désaccord avec l’équité ? Les deux prémisses sont parfaitement raisonnables. Mais, comme l’ont démontré de nombreuses études et enquêtes, une majorité de personnes soutenant les valeurs d’équité ne s’identifient pas comme féministes. [1] [2] [3] [4] Que se passe-t-il ? Ces gens sont-ils embrouillés, ignorants ou les deux ?

Ni l’un ni l’autre.  Il semble que la majorité non féministe (et non pas antiféministe) en faveur de l’équité connaisse ou soupçonne intuitivement la différence cruciale entre les objectifs de l’équité et du féminisme. Malheureusement, regarder les définitions du dictionnaire ne nous aide pas à articuler ces différences.

Un regard dans la Stanford Encyclopedia of Philosophy nous offre une description plus détaillée des deux concepts. Le préambule d’ouverture de l’entrée sur egalitarism [5] s’accorde bien avec la définition du dictionnaire ci-dessus. L’entrée sur le féminisme, cependant, s’éloignant rapidement de la définition du dictionnaire, se divise en différents domaines où le thème principal est le désaccord interne au sein du féminisme sur ce qu’est le féminisme. Il faut un peu plus de 3 000 mots avant que le terme patriarcat n’apparaisse pour la première fois, et quand cela arrive, il n’est ni problématisé ni critiqué.

« Le féminisme, en tant que lutte de libération, doit exister indépendamment et dans le cadre de la lutte plus large pour éradiquer la domination sous toutes ses formes. Nous devons comprendre que la domination patriarcale partage une base idéologique avec le racisme et d’autres formes d’oppression de groupe, et qu’il n’y a aucun espoir qu’elle puisse être éradiquée tant que ces systèmes resteront intacts. Cette connaissance devrait constamment informer la direction de la théorie et de la pratique féministes. (hooks 1989, 22) »[6]

Voici le premier indice de ce qui différencie le féminisme de l’équité. Vous remarquerez qu’il n’y a aucune mention de l’égalité chez hooks ; l’objectif est la « libération » de la « domination patriarcale ».

Demandez à une féministe « orthodoxe » (constructiviste sociale) ce que signifie le féminisme et vous obtiendrez probablement l’une des deux réponses. La défense de la « personne raisonnable » est l’une d’elles, tandis que l’autre est ce que j’appellerais « l’esquive atomistique ». Cela signifie que la féministe affirmera que le féminisme n’est pas un mouvement monolithique, ses objectifs étant trop complexes pour être définis [7]. Cette position incarne le féminisme intersectionnel. Vous noterez combien les descriptions se contredisent. Il est facile de se perdre dans ce labyrinthe ambigu.

Donc, plutôt que d’essayer de discerner les différences entre les factions féministes, j’ai recherché ce qu’elles avaient en commun. Les résultats nous aideront à cerner la différence entre équité et féminisme.

En 1963, la féministe libérale Betty Friedan publiait un livre à propos d’un « problème sans nom ». Sept ans plus tard, les féministes radicales l’appelaient « patriarcat ».

Le patriarcat était conçu comme la structure sous-jacente facilitant l’oppression des femmes par les hommes : « Un système caractérisé par le pouvoir, la domination, la hiérarchie et la concurrence, un système qui [ne pouvait] pas être réformé mais qui devait seulement être arraché des racines jusqu’aux branches ». [8]

Ce moment marqua un changement fondamental dans la stratégie, dès lors que les féministes passèrent d’une politique libérale de l’égalité par la réforme à une stratégie radicale consistant à essayer de démanteler le patriarcat. À cette époque, Friedan fut expulsée sans ménagement de l’organisation qu’elle avait fondée parce qu’elle n’était pas assez radicale [9].

Depuis ce temps, le patriarcat est resté au centre de toutes les vagues de féminisme suivantes. S’il est vrai que les différentes factions des féminismes ont des conceptions légèrement différentes du patriarcat, elles sont toutes d’accord quant aux trois prémisses suivantes:

  • Le patriarcat est un phénomène socialement construit qui applique les notions de sexe et de genre correspondant à une suprématie masculine et une infériorité féminine [10] [11].
  • Le patriarcat est le mécanisme par lequel tous les hommes oppriment institutionnellement toutes les femmes [12].
  • Tous les féminismes sont unis dans la lutte contre le patriarcat (à défaut d’autre chose) [13].

Ajoutez à cela la théorie du genre post-moderne et vous avez les quatre piliers de tous les féminismes. Même ceux qui se prennent à la gorge les uns les autres.

Le fait que ces prémisses fondatrices soient fausses n’est jamais envisagé. Ce sont des lois naturelles axiomatiques féministes. L’existence et l’origine du patriarcat sont présupposées par les féministes orthodoxes plutôt qu’explorées. Partant, la logique circulaire défectueuse de ces trois prémisses forme le socle idéologique de tous les féminismes – du radical à l’intersectionnel – et de la « justice sociale » d’aujourd’hui.

Mais qu’est-ce que le patriarcat ? Est-ce qu’il existe même ? Il y a une pénurie de recherche sur les prémisses féministes qui valoriserait la pensée critique par rapport à la théorie, bien que cela commence à changer. [14]

Le concept féministe de patriarcat est inspiré par l’observation anthropologique selon laquelle, dans de nombreuses cultures, les hommes semblent détenir davantage de « pouvoir » social, économique et politique que les femmes. Les féministes supposent que les hommes recherchent le pouvoir et les ressources pour dominer les femmes parce qu’ils les détestent (misogynie). Mes recherches suggèrent que le patriarcat est beaucoup plus complexe que ce que les féministes ont pu imaginer et que les femmes ont autant d’influence que les hommes sur sa structure et son maintien.

Comme Mary Wollstonecraft l’a noté :  « Les femmes ne craignent pas de conduire leurs propres carrosses aux portes des hommes rusés. » [15]

J’affirme que les patriarcats existent sur un vaste continuum allant du malin au bénin. J’ai nommé ces deux aspects « le patriarcat réformé » et « le patriarcat non réformé ». Le patriarcat réformé (démocratique occidental) semble faciliter les choix des femmes ; le non réformé (du type de celui qui apparaît dans les théocraties) semble les supprimer. Plus important encore, le patriarcat réformé semble également protéger contre le patriarcat non réformé. Si les féministes orthodoxes réussissaient jamais à « détruire le patriarcat » en Occident, les conséquences imprévues pourraient être catastrophiques pour la civilisation telle que nous la connaissons.

Le patriarcat est un vaste système adaptatif qui peut à la fois opprimer et libérer hommes et femmes. Il est en grande partie déterminé par les pressions écologiques locales, c’est pourquoi nous en voyons autant de versions différentes. Au centre, il y a le fait que l’homme soit une espèce à reproduction sexuelle. Les hommes et les femmes se sont développés, physiquement et psychologiquement, au cours de millions d’années via le processus de sélection sexuelle et le choix mutuel d’un partenaire.

À notre tour, nous créons la culture appelée « patriarcat » en tant que terrain de notre succès reproducteur (fitness landscape). Les féministes veulent donc détruire la culture. C’est beaucoup plus facile à comprendre. Et c’est là que réside le problème des féminismes orthodoxes épris de patriarcat et de théorie du genre d’aujourd’hui. Les hommes et les femmes hétérosexuels sont attirés l’un par l’autre précisément à cause de leurs traits sexuels stéréotypés. En fait, ils ne sont pas stéréotypés, ils sont archétypaux. La dynamique est simple : les hommes veulent du pouvoir et des ressources parce que les femmes veulent des hommes qui ont du pouvoir et des ressources.

Ce n’est pas parce que les femmes seraient des chercheuses d’or égoïstes (comme beaucoup de masculinistes l’affirment) ou les hommes des esthètes superficiels (comme beaucoup de féministes le prétendent). Le dimorphisme sexuel et la division sexuelle du travail ne sont pas des tyrannies imposées par le patriarcat. Ils constituent une solution élégante et pragmatique pour une espèce dont les nourrissons sont particulièrement démunis et ont une enfance d’une durée sans précédent. Cette dynamique entre les sexes, de travail d’équipe et de liens de couple forts, est l’un des fondements de notre succès en tant qu’espèce. La survie de la progéniture est au centre de tout cela, que nous choisissions d’avoir des enfants ou non. Les sexes ne peuvent tout simplement pas être compris si ce n’est à la lumière l’un de l’autre et selon la raison pour laquelle nous avons évolué pour coopérer : la progéniture. Ce sera ainsi aussi longtemps que nous resterons humains.

L’héritage des féminismes orthodoxes consiste à transformer la bataille capricieuse, délicieuse et parfois cruelle des sexes en une guerre d’usure. La logique circulaire a conduit le féminisme à se dévorer de l’intérieur.

L’année dernière, l’une des femmes les plus emblématiques du 20ème siècle, la féministe et intellectuelle radicale Germaine Greer s’est vu refuser une tribune pour parler dans une université britannique [16]. Son crime ? Greer est ce que les féministes intersectionnelles appellent une TERF, ce qui signifie qu’elle ne rejette pas la biologie dans son ensemble et que, tout en respectant les droits égalitaires des hommes qui veulent faire la transition et vivre et aimer en tant que femmes, elle insiste sur le fait que cela ne fait pas d’eux des femmes biologiquement ; ils restent trans-femmes. Pour cela, elle a été dépouillée du droit de parler, verbalement maltraitée et traitée de bigote. La féministe socialiste Laurie Penny est allée jusqu’à mettre Greer dans le même sac que ceux qui veulent assassiner les homosexuels.

Pourquoi les femmes – ou les hommes pour le coup – devraient-elles faire attention ? En 2014, une femme transsexuelle aux États-Unis s’est vue décerner le titre de « mère au travail de l’année », alors qu’elle n’a pas donné naissance à ses enfants ou ne s’est pas occupée d’eux en premier lieu [17]. Cette année, en 2016, Caitlyn Jenner, qui vit en tant que femme depuis quelques mois, se verra décerner le titre de « femme de l’année » devant d’innombrables femmes de talent qui ont accompli des choses extraordinaires tout en faisant face à des pressions de sélection propres à leur sexe biologique. Les hommes aussi ont leurs pressions de sélection tout aussi intenses, mais particulières. Les personnes trans ont aussi les leurs propres et particulières.

Les activistes trans sont en train de faire pression pour que les sages-femmes changent de langage pour désigner les personnes qui accouchent en tant que « personnes enceintes » et non pas « femmes » [18].  À une époque où les gens se demandent si une femme qui boit un verre de vin pendant sa grossesse est maltraitante vis-à-vis de l’enfant, une femme trans utilise des hormones puissantes (non construites socialement) pour stimuler la lactation [19]. (…)

Les féministes orthodoxes affirment souvent que nous vivons dans une culture du viol, alors même que le viol et tous les crimes violents en Occident sont en déclin constant et que les statistiques sur les accusations de viol sont au même niveau que les autres crimes à plus de 50% [20]. [21] Aux États-Unis, il existe un mouvement « progressiste » sur les campus universitaires pour abaisser le seuil de preuve dans les procès pour viol. Il est stupéfiant de penser que ces personnes éduquées ont oublié de terribles leçons de la mémoire vivante ; la récolte amère de fruits étranges suspendus aux peupliers.

Rejeter cela n’est pas de la haine ou de la phobie, mais un scepticisme sain. Nous sommes tous égaux devant la loi sous le libéralisme classique et l’équité. Ce n’est pas le cas avec le féminisme orthodoxe. Il place l’idéologie et les identités de groupe minoritaires avant les individus. Les droits et les choix individuels sont « problématiques » [22]. Les femmes comme moi qui soulignent les incohérences logiques et la dérive missionnaire totalitaire du féminisme sont qualifiées d’anti-féministes et d’anti-femmes, comme si « féministe » et « femme » étaient synonymes. Ils ne le sont pas. Les féministes sont identifié(e)s par leur politique et non par leur sexe ou leur genre. Ils ne parlent pas pour les femmes ou la majorité des égalitaristes dans la société, ils ne parlent que pour eux-mêmes. La définition du féminisme dans le dictionnaire a sérieusement besoin d’être réécrite.

***

  • Paula Wright est une chercheuse indépendante dans le domaine des études sur le sexe et le genre basées sur les données factuelles de la biologie de l’évolution, la psychologie, l’anthropologie et l’écologie. Pour faire court, elle se rattache aux « études de genre darwiniennes ». Elle a récemment co-écrit deux articles publiés dans le Journal of Evolutionary Behavioral Sciences et a travaillé avec Roy Baumeister. Griet Vandermassen, Helena Cronin et Daniel Nettle ont été parmi ses anciens mentors. En outre, comme actrice professionnelle, Paula interprète et développe actuellement son spectacle féminin « Sexy is not sexist » qui allie science et humour dans une célébration sans tabous de la sexualité humaine et de ses caractéristiques sexuelles secondaires, c’est-à-dire les seins !

. Retour vers la supercherie du « patriarcat » :

La supercherie du « patriarcat »

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