Samantha Geimer : « Toute cette haine, cette revanche, ne guériront pas les femmes »
[En 1977, lorsqu’elle avait 13 ans, Samantha Geimer a été violée par Roman Polanski. Elle a récemment expliqué avoir pardonné à son agresseur. Elle a demandé à la justice américaine de clore le dossier afin qu’elle puisse retrouver une vie normale, déclarant qu’elle était toujours assaillie par la presse, quarante ans après les faits et le début de la procédure. Un juge de Los Angeles a refusé d’abandonner les poursuites et continue de considérer le réalisateur comme un fugitif. Peu après l’éclatement de l’affaire, Roman Polanski avait reconnu avoir eu des relations sexuelles avec une mineure et avait passé un accord amiable avec la justice, mais craignant que l’entente ne soit subitement annulée, il a pris la fuite vers la France en 1978.]
Tribune. On peut être surpris de me voir signer ou approuver une tribune critiquant le mouvement #metoo. Je suis une féministe, défendant les droits des victimes, et l’on me connaît d’ailleurs surtout pour avoir été moi-même victime d’un viol. Mais laissez-moi vous expliquer pourquoi je suis entièrement d’accord avec la tribune « Nous défendons une liberté d’importuner », [signée, entre autres, par Catherine Deneuve, Catherine Millet et Ingrid Caven].
#metoo devrait être une plateforme de soutien pour les victimes, un espace où l’on témoigne de sa solidarité, où l’on se soutient les unes les autres. Toutes celles qui, comme nous, ont souffert de différentes (mais semblables) façons, mais ont toujours eu conscience d’appartenir à un groupe plus vaste, de mères, de sœurs ou d’amies, nesont pas une minorité. Nous nous sommes toujours soutenues.
On ne peut pas empêcher les conservateurs politiques et religieux de détourner à leurs fins les initiatives les plus louables. Pour attaquer, par exemple, Meryl Streep, Hollywood en général ou des hommes politiques qui ne leur plaisent pas, ils se serviront de #metoo ou de n’importe quel autre mouvement, sans aucun souci de ce qui est réellement en jeu, des personnes qui souffrent ou ont souffert.
« On m’accuse de faire l’apologie du viol, d’être sous le coup du syndrome de Stockholm (…) et, plus grave encore, de causer du tort à toutes les autres victimes de viol. Une dérangée, en somme »
J’ai passé quarante ans de ma vie à me défendre. Contre les attaques de ceux qui considéraient qu’il n’était pas possible de se remettre d’un rapport sexuel avec un homme beaucoup plus âgé, en l’occurrence Roman Polanski. Faut-il vraiment que je souffre pour vous donner satisfaction ? Pourquoi expliquer que ce qui m’est arrivé était affreux, épouvantable ? Ça n’a pas été le cas, mais ça n’en était pas moins un crime. Un crime pour lequel Roman Polanski a plaidé coupable et fait de la prison.
Quand je refuse de me plier à ce que l’on exige de moi en faisant état des dégâts causés, on m’accuse de faire l’apologie du viol, d’être sous le coup du syndrome de Stockholm, de m’être laissé acheter et, plus grave encore, de causer du tort à toutes les autres victimes de viol. Une dérangée, en somme. Et une traînée par-dessus le marché, puisque j’étais sexuellement active à 13 ans.
Le problème quand on est une femme forte, une survivante, c’est que les militants ne peuvent rien tirer de vous. Ils le comprennent tout de suite et tournent les talons. Ils ont besoin de victimes, pas de rescapées. Qu’on se le dise : si vous vous en sortez, pourquoi auriez-vous besoin d’eux ? Il faudrait en finir avec ce genre de militantisme. Finir de s’excuser d’être un survivant heureux et solide. Nous devrions au contraire servir d’exemples, donner du courage aux femmes qui se battent et les aider à se relever. Il n’est pas vrai que notre rétablissement nuit aux autres.
Redonner aux femmes leur pouvoir d’action
Le viol, le harcèlement sexuel et l’intimidation au travail sont des problèmes graves, qui doivent être traités avec gravité. Il faut redonner aux femmes leur pouvoir d’action, pas exiger d’elles qu’elles ressassent indéfiniment le tort « assurément indélébile » qu’elles ont subi, pour prouver que ce qui leur est arrivé est mal, ou même simplement pour nous divertir. Il est triste qu’une femme confiante, ayant survécu à un drame, soit moins intéressante que le spectacle d’une femme tordue de douleur.
Si #metoo ne sert finalement plus qu’à attaquer des gens puissants ou à tirer profit de personnes maltraitées, pour prouver quelque chose ou se valoriser, si le mouvement n’offre aucun soutien, ne permet aucune guérison, mais sert juste à « valider » votre peine comme s’il s’agissait d’un mérite, d’un atout, plutôt que d’un événement que l’on peut surmonter, alors il est temps de tourner la page de #metoo.
Mettre une simple caresse au cours d’une séance photo, une mauvaise blague, certains comportements typiques des années 1970-1980 sur le même plan qu’un viol ou un véritable harcèlement sexuel, c’est minimiser la gravité de ces crimes et de ces agissements. Quand on parle de pédophilie à propos d’avances faites à des jeunes de 17 ans, c’est faire peu de cas des véritables victimes de pédophilie. Si vous sondez votre mémoire pour essayer de savoir qui, par le passé, a eu à votre égard une attitude inappropriée, c’est que vous n’êtes pas une victime, et vous ne devriez pas souhaiter l’être.
Les femmes doivent s’affirmer telles qu’elles sont
La société valorise la faiblesse et la douleur chez les femmes, mais nous valons bien plus que cela. Si les femmesveulent l’égalité, être reconnues partout, dans tous les domaines, il va falloir qu’elles s’affirment telles qu’elles sont en réalité : comme des adultes solides, qui n’ont pas besoin de protection spéciale ou de traitement particulier parce qu’elles appartiendraient au sexe faible, des femmes capables de se défendre, parce qu’on nous l’a appris et qu’on l’attend de nous.
« Ce qui change une vie, ce n’est pas une expérience douloureuse, c’est notre résilience »
Je ne suis pas d’accord avec l’idéologie puritaine qui explique aux femmes que le sexe leur fait violence et qu’il est « capté » par les hommes. Qu’elles se résument à leur vagin, à leurs corps, d’après les critères que les hommes qui les touchent ont fixés. Il faut enseigner aux jeunes femmes d’aujourd’hui que la sexualité est quelque chose de sain, de normal, de nécessaire. Ce qui change une vie, ce n’est pas une expérience douloureuse, c’est notre résilience. Toute cette haine, cette revanche ne nous guériront pas, pas plus qu’elles n’effaceront le passé. Votre beauté, votre mérite, voilà ce qu’on ne pourra jamais vous enlever.
La cause des femmes devrait nous rendre plus fortes, pas nous transformer toutes en éternelles victimes qu’il faudrait protéger du monde, des hommes, du sexe… et d’elles-mêmes. La sexualité est quelque chose de personnel, cela fait partie de la vie : c’est compliqué et ça ne se passe pas toujours bien. Mais ça ne fait pas de mal. Il ne faut pasconfondre ceux qui nous aident à nous émanciper, à regagner du pouvoir, et ceux qui nous refusent le droit de choisir notre sexualité en dehors de celle qui correspond à ce qu’ils entendent contrôler religieusement et politiquement.
Le viol est un crime, le harcèlement sexuel au travail a des conséquences graves et cela doit prendre fin. Mais qu’on nous offense est aussi le prix à payer pour être libres. Ne confondons pas tout. Il n’est pas toujours facile d’y voir clair, mais s’il vous plaît, mesdames, ne renonçons pas aux droits et à l’égalité pour lesquels nous nous sommes si durement battues, au profit de gens qui ne veulent que nous contrôler et nous mettre en cage.
(Traduit de l’anglais par Pauline Colonna d’Istria)
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. Le Point.fr, no. 201801
Société, lundi 22 janvier 2018 –
#MeToo : victime de Polanski, elle explique son soutien à la tribune du « Monde »
Par 6Medias
Samantha Geimer reproche au mouvement MeToo d’enfermer les femmes dans leur statut de victime et de considérer celles qui s’en sortent comme des « dérangées ».
« Je suis une féministe défendant les droits des victimes. » C’est ainsi que se définit Samantha Geimer, abusée sexuellement par Roman Polanski à l’âge de 13 ans. Dans une tribune qu’elle publie dans Le Monde lundi, l’Américaine explique pourquoi elle a signé le texte publié le 9 janvier qui défendait la « liberté d’importuner » pour les hommes, corollaire indispensable à la liberté sexuelle, selon les auteurs.
Cette tribune signée par une centaine de femmes, dont Catherine Deneuve, a été très critiquée. Dans les colonnes du quotidien, Samantha Geimer affirme qu’elle sait que son choix peut surprendre. « On me connaît d’ailleurs surtout pour avoir été moi-même victime d’un viol », rappelle-t-elle. Depuis, l’Américaine a récemment affirmé avoir pardonné au réalisateur et demandé à la justice américaine de classer l’affaire. Cette agression ne l’empêche toutefois pas d’être « d’accord » avec la tribune du 9 janvier. « J’ai passé 40 ans de ma vie à me défendre. Contre lesattaques de ceux qui considéraient qu’il n’était pas possible de se remettre d’un rapport sexuel avec un homme beaucoup plus âgé », écrit-elle.
La parole des « rescapées » pas assez entendue
Samantha Geimer raconte avoir été accusée de « faire l’apologie du viol », de s’être « laissé acheter », voire « de causer du tort à toutes les autres victimes de viol », en ayant refusé de se « plier à ce que l’on exige d'[elle] en faisant état des dégâts causés ». Comme d’autres, elle déplore que le mouvement #MeToo dénonce indistinctement toutesorte de comportements comme s’ils se valaient tous : « Mettre une simple caresse au cours d’une séance photo, une mauvaise blague […] sur le même plan qu’un viol, c’est minimiser la gravité de ces crimes et de ces agissements. »
Pour elle, la prise de parole des femmes ces derniers mois a été instrumentalisée. « #MeToo devrait être une plateforme de soutien pour les victimes, un espace où l’on témoigne de sa solidarité », revendique-t-elle, avant d’observer que « le problème quand on est une survivante, c’est que les militants ne peuvent rien tirer de vous. […] Ils ont besoin de victimes, pas de rescapées. » Pour Samantha Geimer, la prise de parole des victimes ayant réussi à se reconstruire après un viol n’est pas assez entendue. Une erreur, dit-elle. « Nous devrions au contraire servir d’exemples, donner du courage aux femmes qui se battent et les aider à se relever. Il n’est pas vrai que notre rétablissement nuit aux autres. »
Tourner la page de #MeToo
C’est pour cela qu’elle plébiscite un combat quelque peu différent de celui présenté jusqu’à présent au travers des différentes prises de parole. « Il faut redonner aux femmes leur pouvoir d’action, pas exiger d’elles qu’elles ressassent indéfiniment le tort « assurément indélébile » qu’elles ont subi. » Et l’Américaine de s’agacer : « Il est triste qu’une femme confiante, ayant survécu à un drame, soit moins intéressante que le spectacle d’une femme tordue de douleur. »
Pour Samantha Geimer, si le mouvement #MeToo est revanchard, il est temps de « l’enterrer ». « S’il ne permet aucune guérison, mais sert juste à « valider » votre peine comme s’il s’agissait d’un mérite plutôt que d’un événement que l’on peut surmonter, alors il est temps de tourner la page », écrit-elle.
« Toute cette haine, cette revanche ne nous guériront pas, pas plus qu’elles n’effaceront le passé », ajoute-t-elle, avant de conclure. « La cause des femmes devrait nous rendre plus fortes, pas nous transformer toutes en éternelles victimes qu’il faudrait protéger du monde, des hommes, du sexe… et d’elles-mêmes. »
. Samantha Geimer, « L’arme de la honte » :