[Mansetmania] – Pourquoi les femmes sont-elles devenues méchantes ?

« Pourquoi les femmes sont-elles devenues méchantes ?
C’est qu’à la fois les hommes se sont tus.
C’est bien la poésie qu’on tue
Sur une route en pente. »

« Pourquoi les femmes sont-elles devenues cruelles ?
Comment cette brassée d’orties finira-t-elle ?
Qui pique, envahit tout,
Qu’aucun produit ne tue. »

« Pourquoi les femmes sont devenues tout autre chose ?
Et qu’avec elles le reste s’est asséché… »

« Pourquoi les femmes » est un titre de Gérard Manset tiré du concept-album À Bord du Blossom paru à l’automne 2018. Léo LeBoc en propose ici un montage sur des images (les plus soft) du film Glissements progressifs du plaisir d’Alain Robbe-Grillet (1974) avec Anicée Alvina et Michael Lonsdale :

*Glissements progressifs du plaisir est une interprétation surréalistico-érotique de La Sorcière de Jules Michelet (1862), cette fable historique qui nourrit aujourd’hui encore la propagande féministe sur les sorcières (cf. « Les sorcières en renfort »).

Le maître de la mélopée hypnotique ose donc un texte discordant, totalement à contre-courant de la grand-messe consensuelle #MeToo – et d’aucuns en sont encore tout retournés. La journaliste de l’Express avait tiré la première : « Des chansons envoûtantes, mais gâchées par une mentalité néoréac », écrivait-elle, ponctuant sa recension d’À Bord du Blossom par cette sentence : « Un point de vue à contre-courant de #MeToo, dont il aurait pu se passer. De quoi gâcher cet appel du large au charme insolite » (« Gérard Manset a-t-il largué les amarres ? »L’Express, 26/10/2018).

Les fans historiques se sont parfois trouvés tout aussi déconfits : « Chui allé à la Fnac, le vendeur m’a demandé si je voulais l’écouter en version « shuffle » sur les enceintes du magasin (…). On a passé les titres assez rapidement (en se regardant de temps à autres), ha « pourquoi les femmes sont-elles devenues si méchantes ? », j’ai compris que nos chemins s’étaient définitivement séparés ». D’autres, plus indulgents, émettent des hypothèses fort plausibles, tel le « désespoir du bourdon » :  « Eh oui, cher Gérard, va falloir que tu te fasses une raison ! Ça ne sera jamais plus comme avant. Le grand coït poétique et romantique en plein vol est passé de mode… Au grand dam des bourdons, les Reines sont devenues terre-à-terre et se contentent souvent de n’être que des butineuses… » ; ou une possible provocation : « Un étonnant point de vue en ces temps où paroles se libérant, l’émancipation égalitaire se pose comme socle nouveau des relations humaines. À moins que ce ne soit une provocation ? ».

Dans Rolling Stone (23/10/18), Yves Bigot s’attachait à recontextualiser la chanson : « Dans “Pourquoi les femmes”, aux quelques accords bluesy, Manset dit finalement son tourment, celui d’un capitaine abandonné, par son époque, par ses semblables, par toutes celles qui donnent la vie – et son sens à celle-ci –, sous l’enseigne #MeToo » ; de même que Philippe Cormet pour Le Vif (16/11/18) : « Texte moins macho que venant d’un autre temps où il n’était pas encore question de #BalanceTonPorc ».

Moi qui ai développé ce site précisément en réaction à #MeToo et #BalanceTonPorc (dont le déferlement médiatique date d’octobre 2017) – et indépendamment du fait que je suis une fondue de Manset depuis des décennies –, je ne pouvais évidemment pas passer à côté de cette chanson.

Le Langage oublié

Dès sa première écoute, « Pourquoi les femmes » a fait résonner en moi « Le langage oublié » (2003), titre dont je mets ici deux courts extraits, que j’ai illustrés par les amours de Flora et Zéphyr, les personnifications antiques du printemps et du vent de l’ouest (plus une touche de Picasso) :

« Le malade se tait, ne répond pas
Et sa bouche aujourd’hui tout édentée
A-t-elle connu quelque joli baiser
Comme une eau pure, comme une coupe fraîche, comme un murmure…
Qui parle encore ce langage inconnu
Par lequel nous nous étions trouvés et découverts ensemble… »

« Aujourd’hui, c’est hier, hier c’était demain
L’homme et la femme allaient main dans la main
Le malade se tait, ne répond pas
L’homme et la femme allaient, même pas, même pas
Qui parle encore cette langue finie
Ni ailleurs ni là-bas, pas plus qu’ici… »

[Les légendes des tableaux utilisés dans les montages vidéo sont à retrouver ici et ici].

La nostalgie de ce langage oublié – le langage des jardins, de la poésie, du désir hétérosexuel, de la liberté sexuelle ou des amours légères des 70’s, qui sait – se fond dans un rêve édénique de Floralies antiques où des hommes aux tempes grises se mêlent aux filles des jardins qui s’égaient comme des nymphes autour des fontaines… Mon illustration fait bien sûr écho aux « Filles des jardins » de l’album Matrice (1989), titre réédité dans la compilation Toutes Choses (1990) –  et dont le nom surgit encore à la fin de « Pourquoi les femmes » :  « Pourquoi les femmes sont devenues d’autres choses ? Tout autre chose… D’autres choses… ».

« Pourquoi ont-elles changé ?
Le fruit est-il mangé ?
Sommes-nous des étrangers
Qui savent même plus nager,
Rejoindre la rive ombragée… »

Il y a donc une grande cohérence et une unité dans l’oeuvre pluri-décennale de Manset (ce que tout mansétophile sait déjà), y compris sur cette question des femmes et du commerce amoureux.

« Entrez dans le rêve » 

Sens littéral ou sens figuré ?

L’univers onirique de Manset n’est pas, ou n’est plus, celui de notre monde. A-t-il jamais existé ? Il est fort possible que Manset fasse concrètement référence aux années 70-80 qu’il a traversées, de la banlieue nord jusqu’aux chambres d’Asie en passant par le Royaume de Siam ; à cet espace-temps où hommes et femmes s’aimaient semble-t-il beaucoup plus simplement qu’aujourd’hui.

Ce qui est certain, en revanche, c’est que ce monde n’existe plus, tout au moins en dehors de la licence poétique – celle-la même qui, faut-il le rappeler, autorise toutes les audaces de plume – ; la poésie est ce dernier lieu où des âmes nostalgiques peuvent encore rêver, comme des petits garçons emplis d’espoir, au ballet des nymphes autour des sources, aux amours de la déesse Flore avec le dieu Zéphyr, à toutes ces allégories du désir naturel aujourd’hui totalement passées de mode ; à ce langage floral désormais oublié, rejeté, disparu – ne restent que les brassées d’orties.

L’éden de Manset, réel, passé ou rêvé, apparaît même comme celui d’avant l’éromachie, c’est-à-dire d’avant l’entrée dans le monde de la guerre des sexes. Il n’existe décidément plus que dans les rêves ou les allégories, comme le langage des fleurs ou celui des amours des dieux et des nymphes, eux-mêmes métaphores du printemps, de la licence poétique ou du commerce amoureux. Il y a certainement – et comme toujours avec Gérard Manset – plusieurs niveaux de lecture possibles.

De Flore aux brassées d’orties

Qu’il soit monde d’avant ou monde rêvé, ou les deux à la fois, ce paradis perdu (« Le paradis terrestre, voyez ce qu’il en reste… ») se retrouve en tout état de cause, et comme on peut facilement l’imaginer, en décalage complet avec l’actuel univers néo-féministe, univers 2.0 au ras des pâquerettes où la vulgarité le dispute sans relâche à la misandrie la plus décomplexée et où toute culture, non seulement libertine mais surtout classique, se trouve vouée aux gémonies, fustigée comme un témoignage accablant de cette culture patriarcale, « blantriarcale » – en un mot,  occidentale – qu’il faut abattre à tout prix.

Cet homme aux tempes grises, autrefois appuyé pensivement au rebord des fontaines, aujourd’hui « assis sur un banc », qui n’a « pour tout refuge que son caban » et « se souvient des paradis antiques » ; cet homme qui se remémore des amours révolues qu’il idéalise forcément un peu, c’est surtout cet homme, ou cette femme qui, comme moi, se désole de voir la culture classique continuellement dégradée, condamnée, asséchée sous le regard mesquin et punitif des féministes contemporaines.

Je pense très précisément, en écrivant cela, aux assauts répétés des néo-féministes contre l’art antique (« Homme blanc à abattre – la statuaire grecque »), contre les tableaux préraphaélites de John William Waterhouse, par exemple ou contre l’art occidental en général («Trop d’Occidentaux au programme d’histoire de l’art à Yale : vers la dictature des identités ? »Le Figaro, 28/01/2020); toutes ces notions comprises désormais sous le nom de « cancel culture ».

Derrière l’assimilation de Manset, « hommes = image de la poésie » versus « femmes contemporaines = dessèchement intellectuel et amoureux » qui a pu faire bondir les féministes, je reconnais tout aussi bien les parallèles que font ces dernières elles-mêmes quand elles nous expliquent que la raison, la philosophie antique ou l’humour sont patriarcaux et oppressifs car ils sont les produits de l’homme blanc occidental. Frappée d’excommunication, la poésie de l’homme blanc est également en passe de devenir un langage oublié – on l’a vu récemment encore avec les féministes de l’ENS Lyon fustigeant la poésie classique de Ronsard ou d’André Chénier (Marc Hersant, « Chénier, Eschyle, Ronsard, etc. : les classiques en procès »Transitions, Littérarités n°10, 06/07/2019). C’est ainsi que pour ma part, je comprends cette image : « C’est bien la poésie qu’on tue / Sur une route en pente » et c’est aussi en ce sens que j’ai illustré « Le langage oublié ».

Il ne faut pas oublier par ailleurs que l’idéalisation du corps féminin, dans l’art grec ou hellénistique, tout comme les nus féminins dans l’art classique, préraphaélite, symboliste, victorien, etc., ne sont pas qu’à regarder avec les lunettes filtrantes néo-féministes qui rabaissent et dessèchent tout : le nu féminin était surtout pour les peuples anciens une matérialisation de l’esprit, un hommage des hommes à la perfection de la création divine, un idéal de beauté absolue qui tirait le monde vers le haut, qui portait à la contemplation, à l’apaisement, aux valeurs de l’esprit et à la réconciliation de la chair et de l’âme. Le nu dans l’art était, tout autant qu’une célébration de la beauté de la chair, une métaphore de la vie intellectuelle, de la poésie et de la philosophie. Toutes choses que l’approche bas du front des féministes (qui n’y voient que du « male gaze » et de la « culture du viol » et qui voudraient les exclure des musées) ne leur permet plus d’appréhender.  » Les femmes » de la chanson sont donc surtout pour moi une métaphore de la licence poétique et de la vie de l’esprit.

Le combat des pères

« Jusqu’au petit garçon qui vient dire à sa mère :
Ce que tu fais est mal !
Mon père n’est pas un animal. »

On relève aussi dans « Pourquoi les femmes » ce petit mot de soutien au combat des pères ainsi qu’à tous ceux qui défendent encore la fonction paternelle continuellement mise à mal par les discours néo-féministes.

Cette position n’est pas non plus nouvelle chez Manset ; elle résonne par exemple avec ce passage de « Jadis et naguère » (dans l’album du même nom sorti en 1998) : « En ce temps-là, l’homme était guerrier/La femme était mère / Rien ne subsiste / Que poussière ». Toujours ces images des temps anciens et des rôles sexués assumés… Dans les faits, il n’est plus seulement ici question du paradis perdu idéalisé d’avant l’expulsion d’Adam et Ève, mais plus largement de la vie de l’humanité toute entière telle qu’elle a été la seule attestée jusqu’à son entrée dans l’époque contemporaine.

Car « L’homme était guerrier/La femme était mère » n’est pas tant un regret de vieux réac (comme diraient les progressistes) que ce que la science évolutionniste nous apprend chaque jour sur la réalité anthropologique du genre humain. Tant que l’humanité ne pourra profiter dans son ensemble des « progrès » de l’utérus artificiel, de la GPA, de la société des loisirs – et surtout, tant qu’elle ne saura vivre dans des sociétés pacifiées, post-guerrières, où chacun sera un Bisounours pour son prochain, ces antiques schémas resteront pour longtemps les seuls viables… sans qu’il soit forcément nécessaire de s’en plaindre.

Manset est donc toujours pour moi ce poète et ce philosophe intuitif, capable de mettre le doigt (parfois sans prendre de gants) sur les essentiels du genre humain.

« Les hommes se sont tus  » / « Le malade se tait, ne répond rien »

Le blues du musicien privé de sa vue sur la beauté du monde : de Picasso à Manset.

Le Tunnel Végétal (Thousand / Stéphane Milochevitch)

Tout n’est pas perdu ! La langage érotico-floral existe encore, comme cette heureuse découverte m’a permis, à peine cet article terminé, de m’en rendre compte !

Je ne sais pas si Stéphane Milochevitch, l’auteur-compositeur-interprète leader du groupe Thousand est davantage le fils spirituel de Manset, Bashung, Murat, Capdevielle ou de tous à la fois, mais son inspiration est au croisement exact de tout ce que j’aime !

Des nappes de cordes et de synthés enveloppantes, des métaphores de paradis végétal, des voix qui se marient à merveille, un soupçon de nostalgie (malgré son jeune âge), bref, un charme fou !

« Montre-moi ce qui se cache derrière les pétales
Conduis-moi dans le tunnel végétal »

[à suivre…]

Vignette haut de page : Gérard Manset, photo Marc Charvez, Télérama, 1991

Voir aussi :

  • Terre brisée. – La Vierge pleure (Camille Claudel et Gérard Manset)

L’histoire de Camille sur un des derniers titres de Manset. Une manière d’illustrer tout à la fois ses peines dans le siècle et sa retraite spirituelle forcée dans le couvent-asile du Vaucluse.

L’iconographie du clip établit un parallèle entre la figure de la Vierge recréatrice du monde et celle de Camille modelant la terre. Dans l’antiquité, le sculpteur était à l’image de Dieu formant l’homme ; ici, la Vierge-Camille est son pendant féminin.

  • Sur Flora et les Floralies :
  •  

Lucrèce Borgia – Entre le vice et la vertu

  • Belle de Jour

Le célèbre film de Luis Buñuel (1967), qui dans cet extrait met en scène la sublime Catherine Deneuve – avec le tout aussi sublime Pierre Clémenti –, est aujourd’hui encore une occasion unique d’explorer le paradoxe insondable des fantasmes érotiques – notamment ceux qui recourent à la prostitution et à la violence physique. Autant d’occasions de faire capoter les féministes, dont le cerveau disjoncte automatiquement sur ces sujets depuis plus de 50 ans. Quelques articles encore en gestation reviendront prochainement sur les rapports du néoféminisme avec le BDSM.

Raspoutine ou la rédemption par le péché

Le personnage de Raspoutine n’en finit pas de fasciner. Guérisseur, prophète, mystique, manipulateur, séducteur, ivrogne, débauché, bête de sexe, tombeur de princesses et d’aristocrates, habitué des prostituées et des bains publics, était-il ange ou démon ? La face du monde en aurait-elle été changée si des agents secrets anglais ne l’avaient sauvagement assassiné le 17 décembre 1916 avant de jeter son corps dans la Néva, le fleuve de Saint-Pétersbourg ? Il était fermement contre l’engagement de la Russie dans la première guerre mondiale et s’il avait été écouté et non pas assassiné pour cette raison, la victoire des alliés aurait-elle pu être remise en question ?

Parce qu’il avait prophétisé son propre assassinat ainsi que ceux, tout aussi tragiques, de la famille du tsar au complet et de la Russie toute entière, balayée et martyrisée juste après par les bolcheviques, des icônes de « Saint Raspoutine, prophète et martyr » se vendent aujourd’hui à Moscou et ailleurs.

« Saint Grigori Raspoutine, prophète et martyr », icône russe du XXe siècle

Il n’a pour autant jamais été canonisé, mais qu’importe. Son physique de Christ (ou d’Antéchrist) ne pouvait pas ne pas marquer fortement les esprits.

Ecce homo (« Voici l’homme »)

Raspoutine sur son lit d’hôpital en Sibérie après avoir été poignardé par une femme.

Sur cette photo de son lit d’hôpital en Sibérie, sa ressemblance avec le Christ « homme de douleurs » (Ecce homo) est frappante.

On notera par ailleurs un point commun « amusant » avec Andy Warhol, la pape du Pop Art, qui lui aussi avait été poignardé par une femme et avait survécu à cette attaque. Raspoutine avait été poignardé par une ex-prostituée au nez brisé et Andy Warhol par une féministe cinglée (Valérie Solanas).

Jean-Patrick Capdevielle, Rasputin in Ayutthaya, 2019 (acrylique, pigments, peinture vitrail, paillettes, vernis divers et beaucoup de trafics…)

Le « triptyque » de Jean-Patrick, « Rasputin in Ayutthaya » (2019), fait d’ailleurs penser à une série post-pop à la Warhol.

La rédemption par le péché

Parmi les postures les plus étonnantes de Raspoutine, il y avait cette doctrine qu’il prêchait de la « rédemption par le péché ». Il expliquait aux aristocrates éperdues devant son charisme (et la taille de son sexe) que forniquer avec lui leur ouvrirait les portes du paradis. Génie de la manipulation ? Quête sincère de son propre salut, lui qui était taraudé par le démon et craignait plus que tout de perdre son combat contre lui ?

On retiendra surtout de sa vie incroyablement romanesque l’image d’un homme profondément humain : démesurément ambitieux, narcissique, tourmenté, provocateur, mais tout autant pacifiste et empathique.  Sans doute pas un si mauvais bougre…

  • DE REDEMPTIONE PER PECCATUM
    (« DE LA RÉDEMPTION PAR LE PÉCHÉ »)

Jean-Patrick Capdevielle
– « Quarante-Trois Souvenirs » (Les Enfants des Ténèbres et les Anges de la Rue, 1979)
– « Rasputin in Ayutthaya » (Triptyque. Acrylique, pigments peinture vitrail, paillettes, vernis, 2019)

Crédits vidéo :
Rasputin, The Mad Monk, de Don Sharp, 1966
Rasputin – Dark Servant of Destiny, de Uli Edel, 1996  (avec Alan Rickman)
Rasputin, de Louis Nero, 2010
Raspoutine, de Josée Dayan, 2013
Andreï Roublev, de Andreï Tarkovski, 1966 (« The Witches Scene »)

Crédits photos :
Icône de Grigori Rasputin, martyr et prophète de la destruction de la Russie
Pablo Picasso, « Le Phallus », 1907

Iconographie et montage :
Lucia pour Eromakia.fr © 2019

. Retour vers l’oeuvre peint :

[Peinture] – Jean-Patrick Capdevielle. L’œuvre peint

L’Éternel masculin

La vidéo confronte l’éternel masculin de la beauté grecque antique (la danse des hommes nus de la pièce de théâtre Mount Olympus de Jan Fabre (2015) est une véritable ode au corps masculin érotique) avec le Japon moderne privé de sexe.

Ce qui me frappe le plus dans ces témoignages d’hommes japonais vivant avec une poupée sexuelle qui ont inspiré la vidéo, c’est le glissement de l’objet à la personne.  Ces hommes – qui ne semblent plus faire clairement la différence entre un objet inanimé et un être humain – investissent affectivement leur poupée, lui parlent, la mettent en scène, l’emmènent en vacances voire même l’épousent ou s’auto-persuadent qu’elle est vivante. Pour autant, ils sont sains d’esprit et restent lucides quant à leur comportement.

La situation du Japon – même si la vie de couple avec une poupée y reste un phénomène marginal – est en tout cas révélatrice de la crise mondiale de la masculinité et du désir masculin. Le manque  de partenaires, de moyens financiers pour entretenir une femme ou la culpabilité d’aller voir des prostituées, entre autres, annoncent certainement ce qui nous attend en Occident. Cette crise de la masculinité est aussi une conséquence du féminisme (des femmes hyper-exigeantes qui paralysent et accablent les hommes) et un avatar post-moderne de la guerre des sexes.  Sinon qu’ici, le combat n’a même plus lieu, la femme étant totalement remplacée.

. Sex Games 

La thématique de la poupée sexuelle utilisée pour illustrer Cellophane City est inspirée d’une chanson plus tardive, Sex Games (2009), restée à l’état de maquette.

Musique : Jean-Patrick Capdevielle /Jonathan Capdevielle / Patrice Küng
Paroles : Jean-Patrick Capdevielle

Voici ma propre transcription des paroles (à corriger éventuellement et compléter) :

Come follow me… Baby…
Come follow me…
Aahh… Boy…
Sex games
Well I went to the marketplace to buy a new toy
A man said he could sell me a bundle of joy
(the) question is: he mumbled looking me in the eyes
“You think you can afford to go straight to the sky”
Sex games
Sex games
“I’ve been high as a kite” I said, “since Jesus knows when
some people call it coma, well I could call it heaven”
… ? … home and out of the box
I was ready for so much and hungry as a fox
Sex games
My highway to love
Sex games
Beside from the above
Sex games
My highway to love
Sex games
Sex games
Sex games

Come follow me… Baby…
Aahh… Boy…
I found enough on my plastidic friend
It’s heaven touched with delight
Soon she showed me all the bends
One-way trip to the sky

Sex games…
Sex games…
Boy…

She had all the required gismos
She was extra-gynecally supercharged
She had the double-action tits above
With the heat-warning net program

Boy
Sex games
My highway to love
Sex games

Beside from the above
Sex games
My highway to love
Sex games
Sex games

Come follow me baby
Come follow me…

. L’iconographie de cette seconde vidéo s’est imposée d’elle-même à la vue du Casanova de Fellini (1976) – le sujet étant pour ainsi dire le même.

La figure du Casanova vieillissant imaginée par Fellini n’est d’ailleurs pas sans rappeler celle de Dracula (incarné par Bela Lugosi en 1939), dans ma vidéo de la Naissance des Saisons) ou celle de Nosferatu se regardant lui aussi dans le miroir au moment de ses ébats dans un palais vénitien du XVIIIe siècle (Nosferatu à Venise) :

. Les femmes ne sont pas des poupées sexuelles. Mais les poupées sexuelles sont-elles des femmes ?

Les poupées sexuelles ne sont évidemment pas des femmes ; ce sont des objets inanimés. Mais dans la cervelle embrumée de certaines féministes, s’opère une confusion pire encore que chez les japonais qui épousent leur poupée : aveuglées par leur chasse à l’homme et à l’hétérosexualité, elles en viennent à attaquer des maisons de poupées. Sans doute pour délivrer ces dernières de l’enfer de la prostitution.  Allo, l’Hôpital Sainte-Anne ? Je crois que j’ai des bonnes clientes pour vous…

« Les Marquises Dolls » : la première maison close de poupées au Mans taguée par un commando féministe (mars 2019)

« Les Marquises Dolls » : la première maison close de poupées au Mans taguée par un commando féministe (mars 2019)

. Sur ce thème :

Le féminisme castrateur et les poupées sexuelles

Le Vaisseau fantôme ou le Hollandais volant

Le bateau passeur d’âmes (et de corps) est un thème universel : barques funéraires égyptiennes, Charon faisant traverser le Styx chez les grecs, l’Île des Morts du symboliste Arnold Böcklin…

Arnold Böcklin, L’Île des Morts (version de Berlin), 1880 [cliquer pour agrandir]
Le mythe réactualisé du vaisseau fantôme ou du « Hollandais volant » : c’est ce que m’a inspiré Fear God (2018), tableau où l’on voit appareiller (ou accoster ?) un cargo porte-containers au-dessus duquel plane un spectre.

Jean-Patrick Capdevielle, Fear God (188 x 230 cm, acrylique, bitume et fluo paint sur papier wenzhou sur toile), 2018 [cliquer pour agrandir]
La chanson « Fantôme de fortune » (album Vertigo, 1992) s’est alors imposée comme une évidence ; son « manteau d’étoiles » devenant le ciel du tableau dont les ondulations se confondent avec des vagues marines.

Ces vagues célestes de Fear God ne sont d’ailleurs pas sans évoquer celles de la Nuit étoilée que Vincent Van Gogh (un autre coloriste expressionniste et mystique) avait peinte depuis sa fenêtre de l’asile à Saint-Rémy-de-Provence. Ici aussi, le manteau d’étoiles a des airs marins.

Vincent Van Gogh, La Nuit étoilée (1889), New York (MoMA) [cliquer pour agrandir]
La légende du « hollandais volant », capitaine errant dans un brick fantôme autour du cap de Bonne-Espérance, remonte au XVIIe siècle. Elle a par la suite inspiré l’opéra de Richard Wagner, Le Vaisseau fantôme (1843), qui raconte l’histoire d’un capitaine fantomatique voué à naviguer sans fin sur les mers du monde afin de racheter l’amour d’une femme. On y retrouve les thèmes éternels de l’errance et de la rédemption par l’amour.

C’est aussi la rédemption par l’amour que trouvera le capitaine hollandais dans le film Pandora and the Flying Dutchman (1951). Condamné à errer sur les mers du globe jusqu’au Jugement dernier dans un yacht à l’équipage fantôme, sa malédiction ne sera levée que le jour où une femme donnera sa vie pour lui.  Ava Gardner joue Pandora, femme fatale qui succombe aux charmes du hollandais et qui n’est autre que son épouse qu’il avait assassinée au XVIIe siècle, la croyant infidèle. En attendant son retour, le capitaine,  devenu peintre, la peignait en Pandore.

Pandore et sa boîte, peinte par le hollandais volant dans Pandora and the Flying Dutchman (1951)

Il est enfin un personnage qui porte lui aussi un manteau d’étoiles…  et que le navigateur rencontrera peut-être à la fin de son périple…

[N. B. : Il va de soi que cette interprétation de Fear God est purement personnelle et subjective. Chacun est invité à y voir et ressentir ce qu’il désire 😉 ]

 

. Pour découvrir tout l’oeuvre peint de J.-P. C. :

[Peinture] – Jean-Patrick Capdevielle. L’œuvre peint

 

Jean-Patrick Capdevielle – L’Équation du Poisson Blessé (2016)

Une interview de l’artiste devant son tableau :

L’éromachie est bien présente ici, puisque les paroles de la chanson (« Solitude », 1979) apportent un éclairage intéressant : et si les blessures du poisson christique (« ichtys ») n’étaient au final dues qu’à quelque mésaventure avec la gent féminine ?

L’équation de Schrödinger (détail de L’Équation du poisson blessé). Photo Magali Martin, 2016.

L’immiscion du Quantum Jesus ouvre une perspective sur la lumière, sur sa présence et son absence simultanées. Le christianisme étant une théologie de la lumière, il n’est donc pas si surprenant que la physique quantique lui ait été appliquée au XXIe siècle (ici par des sectes américaines).

Les thèmes de la crucifixion et/ou de la résurrection se retrouvent également dans Blood Circus (le Cirque de Sang – voir vidéo) et dans Un jour, je serai vivant (voir vidéo).

Blood Circus

Un jour, je serai vivant

. Quelques vues supplémentaires du tableau :

Les crânes de kalaos

Vol de chauve-souris

. Pour découvrir tout l’oeuvre peint de J.-P. C. :

[Peinture] – Jean-Patrick Capdevielle. L’œuvre peint

 

Jean-Patrick Capdevielle – Blood Circus (Le Cirque de Sang)

Le Cirque de Sang raconte la forme sanglante que prennent les religions (sacrifice du Christ), les fanatismes (ceintures d’explosifs) ou encore les perversions sexuelles et criminelles (serial killers). La mort est partout.

Jean-Patrick Capdevielle présentant Blood Circus au lycée Malgrange (Nancy), 7 décembre 2017.

L’éromachie a laissé place ici à des allusions à la violence pure, sexuelle, fanatique, criminelle.

La figure du vampire, pour son appétence pour le sang et parce qu’elle est un double récurrent de l’auteur, fait son retour dans cette oeuvre, sous forme de cadavres de chauve-souris.

La Crucifixion a pris une forme androgyne – en lieu et place du corps du Christ, un sexe féminin stylisé enveloppe une sorte de caducée composé de quatre serpents entrelacés évoquant un sexe masculin à quatre têtes.  Des flammèches de sang s’écoulent, reliant les sexes.

À la jonction des quatre verges (à l’origine, cinq têtes de serpents, voir photo) est fixée une petite bouche de fontaine en forme de tête de lion. Elle peut évoquer ce qui sort d’un sexe masculin – mais pourquoi pas aussi, l’eau que le coup de lance du centurion romain a fait couler du corps du Christ sur la croix. On aurait alors le sang et l’eau qui jaillissent de la plaie du Christ.

Le sexe féminin peut également être assimilé à la blessure, au sang et aux armes de la Passion, comme le montre l’illustration dans la vidéo (miniature de la dévotion à la blessure et au sang du Christ, Psautier de Bonne du Luxembourg, 1348-1349, folio 331).

Il s’agirait peut-être au final d’une valse sexuelle sanglante impliquant les deux principes sexuels, masculin et féminin.

Mais n’y a-t-il pas d’autre issue que le sacrifice, le sang, la violence et la mort, rien d’autre que l’éternel bal des vampires où chacun n’aurait d’autre possibilité pour exorciser sa peur de la mort que de se nourrir de la vie et du sang de l’autre ?

Peut-être que si…  et ce pourrait être le message du croissant lumineux, qui depuis a reçu un tube de lumière clignotante…

 

Lux ex tenebris
(traité d’alchimie de la Renaissance)

. Le sexe et le serpent

J’ai repris la thématique du sexe et du serpent pour l’illustration de « Dum Dum » (Vue sur Cour, 1990) : « Pas de serpent sans Ève…« ; à partir notamment de la pub Pure XS de Paco Rabanne :

Paco Rabanne, Pure XS, 2017

A noter que cette idée du publiciste de parfumer le sexe du garçon n’est pas un unicum.  La maison Hermès y avait déjà pensé à travers une contrepèterie fort subtile et déjà ancienne, puisque le parfum Eau d’Orange Verte date de 1978. Je vous laisse chercher…

Eau d’Orange Verte, Eau d’Orange Verte…
Hum…

Hermès, Eau d’Orange Verte, 1978

Pas trouvé ?

Odorante…

😀

  • Voir aussi :   

. Sur les vampires et les vampires psychiques :

. Retour vers l’oeuvre peint de J.-P. C. :

[Peinture] – Jean-Patrick Capdevielle. L’œuvre peint

 

« Mort, je serai ta mort ; Enfer, je serai ta morsure »

Jean-Patrick Capdevielle – Un jour, je serai vivant – 2016

Hadès et Perséphone ou la Rédemption par l’amour (septembre 2016)

Ici, l’éromachie ( = combat amoureux) se joue entre Hadès, dieu des enfers, et Perséphone, déesse du printemps et des enfers.

La relation entre Hadès et Perséphone (Pluton et Proserpine pour les Romains) est placée, comme souvent, sous le signe de l’ambivalence. Elle débute de manière brutale (rapt ou viol), mais se conclut par un compromis : après avoir été enlevée brutalement, Perspéphone accepte de partager la vie d’Hadès pendant les six mois de l’année durant lesquels la nature est au repos. Une fois l’hiver passé, à chaque solstice du printemps, elle le quitte – pour le retrouver à chaque solstice d’automne et régner de nouveau avec lui sur les enfers.

La  vidéo articule plusieurs séries d’antagonismes :

  • La mort et la vie éternelle : « Un jour, je serai vivant » / « Mort, je serai ta mort ; Enfer, je serai ta morsure » (Osée 13, 14)
  • L’enfer (celui d’Hadès ; celui de Jérôme Bosch) et le paradis (de Bosch également : le tunnel de lumière)
  • La symbolique ambivalente du fruit (ici la grenade, attribut de  Prosperpine) : fruit défendu (le plaisir de la chair) ou fruit de la vie éternelle (la rédemption) pour les chrétiens.
  • L’amour sous toutes ses formes : amour rédempteur, amour charnel, violence sexuelle.

Et bien d’autres choses encore…

Jean-Patrick Capdevielle, La Naissance des Saisons / Birth of Seasons (Technique mixte, 200 x 200 cm. Collection personnelle de l’artiste), 2017

Voir aussi :

. Five Years – La Naissance des saisons (juin 2017)


David Bowie, Five Years (Remastered Version, 2002)
Jean-Patrick Capdevielle, La Naissance des saisons, 2017

Voir aussi :

. Pour découvrir tout l’oeuvre peint de J.-P. C. :

[Peinture] – Jean-Patrick Capdevielle. L’œuvre peint