Raspoutine ou la rédemption par le péché

Le personnage de Raspoutine n’en finit pas de fasciner. Guérisseur, prophète, mystique, manipulateur, séducteur, ivrogne, débauché, bête de sexe, tombeur de princesses et d’aristocrates, habitué des prostituées et des bains publics, était-il ange ou démon ? La face du monde en aurait-elle été changée si des agents secrets anglais ne l’avaient sauvagement assassiné le 17 décembre 1916 avant de jeter son corps dans la Néva, le fleuve de Saint-Pétersbourg ? Il était fermement contre l’engagement de la Russie dans la première guerre mondiale et s’il avait été écouté et non pas assassiné pour cette raison, la victoire des alliés aurait-elle pu être remise en question ?

Parce qu’il avait prophétisé son propre assassinat ainsi que ceux, tout aussi tragiques, de la famille du tsar au complet et de la Russie toute entière, balayée et martyrisée juste après par les bolcheviques, des icônes de « Saint Raspoutine, prophète et martyr » se vendent aujourd’hui à Moscou et ailleurs.

« Saint Grigori Raspoutine, prophète et martyr », icône russe du XXe siècle

Il n’a pour autant jamais été canonisé, mais qu’importe. Son physique de Christ (ou d’Antéchrist) ne pouvait pas ne pas marquer fortement les esprits.

Ecce homo (« Voici l’homme »)

Raspoutine sur son lit d’hôpital en Sibérie après avoir été poignardé par une femme.

Sur cette photo de son lit d’hôpital en Sibérie, sa ressemblance avec le Christ « homme de douleurs » (Ecce homo) est frappante.

On notera par ailleurs un point commun « amusant » avec Andy Warhol, la pape du Pop Art, qui lui aussi avait été poignardé par une femme et avait survécu à cette attaque. Raspoutine avait été poignardé par une ex-prostituée au nez brisé et Andy Warhol par une féministe cinglée (Valérie Solanas).

Jean-Patrick Capdevielle, Rasputin in Ayutthaya, 2019 (acrylique, pigments, peinture vitrail, paillettes, vernis divers et beaucoup de trafics…)

Le « triptyque » de Jean-Patrick, « Rasputin in Ayutthaya » (2019), fait d’ailleurs penser à une série post-pop à la Warhol.

La rédemption par le péché

Parmi les postures les plus étonnantes de Raspoutine, il y avait cette doctrine qu’il prêchait de la « rédemption par le péché ». Il expliquait aux aristocrates éperdues devant son charisme (et la taille de son sexe) que forniquer avec lui leur ouvrirait les portes du paradis. Génie de la manipulation ? Quête sincère de son propre salut, lui qui était taraudé par le démon et craignait plus que tout de perdre son combat contre lui ?

On retiendra surtout de sa vie incroyablement romanesque l’image d’un homme profondément humain : démesurément ambitieux, narcissique, tourmenté, provocateur, mais tout autant pacifiste et empathique.  Sans doute pas un si mauvais bougre…

  • DE REDEMPTIONE PER PECCATUM
    (« DE LA RÉDEMPTION PAR LE PÉCHÉ »)

Jean-Patrick Capdevielle
– « Quarante-Trois Souvenirs » (Les Enfants des Ténèbres et les Anges de la Rue, 1979)
– « Rasputin in Ayutthaya » (Triptyque. Acrylique, pigments peinture vitrail, paillettes, vernis, 2019)

Crédits vidéo :
Rasputin, The Mad Monk, de Don Sharp, 1966
Rasputin – Dark Servant of Destiny, de Uli Edel, 1996  (avec Alan Rickman)
Rasputin, de Louis Nero, 2010
Raspoutine, de Josée Dayan, 2013
Andreï Roublev, de Andreï Tarkovski, 1966 (« The Witches Scene »)

Crédits photos :
Icône de Grigori Rasputin, martyr et prophète de la destruction de la Russie
Pablo Picasso, « Le Phallus », 1907

Iconographie et montage :
Lucia pour Eromakia.fr © 2019

. Retour vers l’oeuvre peint :

[Peinture] – Jean-Patrick Capdevielle. L’œuvre peint

Le Vaisseau fantôme ou le Hollandais volant

Le bateau passeur d’âmes (et de corps) est un thème universel : barques funéraires égyptiennes, Charon faisant traverser le Styx chez les grecs, l’Île des Morts du symboliste Arnold Böcklin…

Arnold Böcklin, L’Île des Morts (version de Berlin), 1880 [cliquer pour agrandir]
Le mythe réactualisé du vaisseau fantôme ou du « Hollandais volant » : c’est ce que m’a inspiré Fear God (2018), tableau où l’on voit appareiller (ou accoster ?) un cargo porte-containers au-dessus duquel plane un spectre.

Jean-Patrick Capdevielle, Fear God (188 x 230 cm, acrylique, bitume et fluo paint sur papier wenzhou sur toile), 2018 [cliquer pour agrandir]
La chanson « Fantôme de fortune » (album Vertigo, 1992) s’est alors imposée comme une évidence ; son « manteau d’étoiles » devenant le ciel du tableau dont les ondulations se confondent avec des vagues marines.

Ces vagues célestes de Fear God ne sont d’ailleurs pas sans évoquer celles de la Nuit étoilée que Vincent Van Gogh (un autre coloriste expressionniste et mystique) avait peinte depuis sa fenêtre de l’asile à Saint-Rémy-de-Provence. Ici aussi, le manteau d’étoiles a des airs marins.

Vincent Van Gogh, La Nuit étoilée (1889), New York (MoMA) [cliquer pour agrandir]
La légende du « hollandais volant », capitaine errant dans un brick fantôme autour du cap de Bonne-Espérance, remonte au XVIIe siècle. Elle a par la suite inspiré l’opéra de Richard Wagner, Le Vaisseau fantôme (1843), qui raconte l’histoire d’un capitaine fantomatique voué à naviguer sans fin sur les mers du monde afin de racheter l’amour d’une femme. On y retrouve les thèmes éternels de l’errance et de la rédemption par l’amour.

C’est aussi la rédemption par l’amour que trouvera le capitaine hollandais dans le film Pandora and the Flying Dutchman (1951). Condamné à errer sur les mers du globe jusqu’au Jugement dernier dans un yacht à l’équipage fantôme, sa malédiction ne sera levée que le jour où une femme donnera sa vie pour lui.  Ava Gardner joue Pandora, femme fatale qui succombe aux charmes du hollandais et qui n’est autre que son épouse qu’il avait assassinée au XVIIe siècle, la croyant infidèle. En attendant son retour, le capitaine,  devenu peintre, la peignait en Pandore.

Pandore et sa boîte, peinte par le hollandais volant dans Pandora and the Flying Dutchman (1951)

Il est enfin un personnage qui porte lui aussi un manteau d’étoiles…  et que le navigateur rencontrera peut-être à la fin de son périple…

[N. B. : Il va de soi que cette interprétation de Fear God est purement personnelle et subjective. Chacun est invité à y voir et ressentir ce qu’il désire 😉 ]

 

. Pour découvrir tout l’oeuvre peint de J.-P. C. :

[Peinture] – Jean-Patrick Capdevielle. L’œuvre peint

 

« Mort, je serai ta mort ; Enfer, je serai ta morsure »

Jean-Patrick Capdevielle – Un jour, je serai vivant – 2016

Hadès et Perséphone ou la Rédemption par l’amour (septembre 2016)

Ici, l’éromachie ( = combat amoureux) se joue entre Hadès, dieu des enfers, et Perséphone, déesse du printemps et des enfers.

La relation entre Hadès et Perséphone (Pluton et Proserpine pour les Romains) est placée, comme souvent, sous le signe de l’ambivalence. Elle débute de manière brutale (rapt ou viol), mais se conclut par un compromis : après avoir été enlevée brutalement, Perspéphone accepte de partager la vie d’Hadès pendant les six mois de l’année durant lesquels la nature est au repos. Une fois l’hiver passé, à chaque solstice du printemps, elle le quitte – pour le retrouver à chaque solstice d’automne et régner de nouveau avec lui sur les enfers.

La  vidéo articule plusieurs séries d’antagonismes :

  • La mort et la vie éternelle : « Un jour, je serai vivant » / « Mort, je serai ta mort ; Enfer, je serai ta morsure » (Osée 13, 14)
  • L’enfer (celui d’Hadès ; celui de Jérôme Bosch) et le paradis (de Bosch également : le tunnel de lumière)
  • La symbolique ambivalente du fruit (ici la grenade, attribut de  Prosperpine) : fruit défendu (le plaisir de la chair) ou fruit de la vie éternelle (la rédemption) pour les chrétiens.
  • L’amour sous toutes ses formes : amour rédempteur, amour charnel, violence sexuelle.

Et bien d’autres choses encore…

Jean-Patrick Capdevielle, La Naissance des Saisons / Birth of Seasons (Technique mixte, 200 x 200 cm. Collection personnelle de l’artiste), 2017

Voir aussi :

. Five Years – La Naissance des saisons (juin 2017)


David Bowie, Five Years (Remastered Version, 2002)
Jean-Patrick Capdevielle, La Naissance des saisons, 2017

Voir aussi :

. Pour découvrir tout l’oeuvre peint de J.-P. C. :

[Peinture] – Jean-Patrick Capdevielle. L’œuvre peint