PARTI PRIS. Contrairement à ce qu’affirme Agnès Pannier-Runacher, ce ne sont pas les Barbie qui expliquent le peu de femmes dans les métiers industriels.
La génération spontanée, la mémoire de l’eau, la bosse des maths. L’histoire de la science avance au gré des théories tombées en désuétude par manque d’étayage factuel. Et c’est heureux. Il en va d’ailleurs d’une idée reçue sur la méthode scientifique : son point le plus fort n’est pas de nous permettre d’avoir toujours raison, mais de savoir, au contraire, que nos intuitions et certitudes sont éminemment faillibles et de nous faire comprendre pourquoi et comment nous nous trompons. Pour autant, bien des thèses fumeuses résistent à ce lent élagage itératif constituant « l’état actuel des connaissances ». Des préceptes sur lesquels la réfutation glisse comme l’eau sur les plumes d’un canard et qui semblent vouloir éternellement perdurer, qu’importe que leur tombe dans le cimetière des idées caduques ait été creusée depuis belle lurette.
Voir l’humain comme un cas unique dans le monde vivant, naissant vierge de toute prédisposition biologique et où seule la « socialisation » serait à l’oeuvre pour façonner ses comportements, fait partie de ces idées zombies. Une doctrine de la page blanche qui, malheureusement, ne cesse de motiver les décisions et les actions des gouvernants – censés pourtant représenter parmi les individus les mieux informés de notre société -, comme l’atteste une récente sortie du ministère de l’Économie et des Finances sur la faible présence féminine dans les métiers industriels et les moyens d’y remédier.
Promouvoir des « rôles modèles »
Le 24 juin, à « six mois jour pour jour des fêtes de Noël », la secrétaire d’État Agnès Pannier-Runacher réunissait les « acteurs du secteur du jouet » pour qu’ils « s’engagent à promouvoir des rôles modèles moins stéréotypés et à lutter contre les préjugés de genre tant dans la conception des jeux que dans leur distribution et leur publicité », pouvait-on lire dans un communiqué publié le lendemain par Bercy. La table ronde visait l’augmentation de la proportion de femmes employées dans l’industrie – un nombre (29 %) jugé trop faible et qui, comble de l’arrogance, stagne malgré la myriade d’initiatives que les acteurs publics comme privés ont eu à coeur de mettre en oeuvre depuis trente ans. Toujours selon le communiqué du ministère, « la segmentation par genre dans la représentation des jouets » peut « véhiculer des stéréotypes ayant notamment pour effet d’exclure les filles des jouets à dominante scientifique ou de les cantonner à des univers domestiques, ce qui ne favorise pas leur identification aux études ou aux carrières scientifiques ».
En résumé : si les femmes sont si peu nombreuses dans les métiers industriels en général et dans ses secteurs les plus techniques en particulier (voyez le timide 10 % dans le numérique et l’informatique), c’est qu’elles n’ont pas assez joué aux Lego ou au Petit Chimiste dans leur enfance et que leurs choix de carrière ont été aussi précocement qu’injustement bridés. Inverser la tendance reviendrait à augmenter les effectifs féminins dans les filières industrielles et, comme semble le présager Agnès Pannier-Runacher, faire grossir par la même occasion « la compétitivité de nos entreprises ».
Sauf qu’un tel raisonnement a globalement tout faux. Premièrement, il inverse les liens de causalité existant entre les « stéréotypes » que certains jouets peuvent effectivement véhiculer et les différences comportementales observées – en tendance, en moyenne et avec beaucoup de variations au milieu – selon le sexe des enfants. Des différences qui se manifestent très tôt dans le développement et qui ont très probablement une base biologique. Ensuite, croire que la segmentation genrée des jouets serait délétère pour l’orientation des petites filles ignore que ce sont avant tout les garçons qui ne « jouent pas » à des « jeux de fille » et non l’inverse, et que, si stigmatisation des jeux « non stéréotypés » il y a, celle-ci touche en priorité les petits garçons – car dans le domaine ludique, comme ailleurs, la valence du « masculin » est plus flexible, inclusive et potentiellement « mixte » que celle du « féminin ». Enfin, comme toute ingénierie sociale sacrifiant les préférences individuelles sur l’autel de l’idéologie, elle risque au mieux l’inefficacité, au pire d’alimenter des réactions des plus néfastes pour la cause qu’elle prétend servir.
Une forte différence relative d’intérêt
Partons d’abord des faits les moins controversés du débat : les préférences des enfants en matière de jouets diffèrent selon leur sexe. Là où les petits garçons s’orientent, en moyenne, vers des jouets représentant des véhicules, des outils et des matériaux de construction, les petites filles préfèrent les jouets anthropomorphiques (poupées, poupons) et domestiques (dînettes, etc.). Lorsqu’on les réduit à leurs éléments les plus fondamentaux (objets contre personnes, mobilité contre stabilité), ces divergences sont observables dès 3 mois, commencent à se cristalliser vers 1 an et semblent bien ancrées vers 3 ans. Cette divergence sexuée dans les préférences ludiques fait même partie des données les plus solidement prédictives aujourd’hui consignées par la psychologie du développement, ce qui signifie que, si vous sélectionnez au hasard un enfant qui aime davantage jouer avec un camion qu’avec une poupée, vous avez quasiment 100 % de chances de tomber sur un petit garçon. Ce qui ne veut pas dire que tous les petits garçons adorent les camions et qu’aucune petite fille ne déteste les poupées, mais que la différence relative d’intérêt est forte, stable et antérieure aux pressions, notamment socio-culturelles, présentes dans l’environnement de l’enfant.
Comment déterminer cette antériorité ? En voyant, par exemple, que ces préférences se manifestent avant que le cerveau infantile ne soit structurellement capable de traiter des informations sociales. Un autre moyen est d’aller voir des enfants que l’on sait dotés d’une physiologie anormale pour leur sexe. C’est le cas des petites filles atteintes d’hyperplasie congénitale des surrénales (HCS), un trouble induisant une plus forte exposition prénatale aux androgènes comme la testostérone. Que montrent les études sur le sujet ? Que ces petites filles préfèrent les jouets « de garçon », qu’importe que leurs familles essayent de les « rééduquer », qu’elles manifestent généralement des comportements caractérisant davantage leurs petits camarades mâles et qu’elles ont plus de chances de devenir lesbiennes à l’âge adulte. Sur le plan de l’orientation sexuelle (qui n’est, rappelons-le, aucunement pathologique), les liens avec les préférences ludiques sont aussi établis chez les garçons : aimer jouer avec des jouets « de fille » fait en effet partie des comportements infantiles que l’on sait aujourd’hui être des indices très fiables d’homosexualité à l’âge adulte.
Des différences sexuelles comportementales liées à notre héritage biologique
On peut aussi, comme l’avait fait une équipe de chercheurs finlandais et britanniques, rassembler 48 bébés (26 filles, 22 garçons) pour mesurer leur taux de testostérone entre 7 jours et 6 mois après leur naissance, avant d’observer, à partir de 14 mois, quel était leur jouet préféré entre un petit train (jouet « garçon ») et un poupon (jouet « fille »). Résultat : plus le taux de testostérone était élevé, plus les enfants (garçons, comme filles, avec une préférence toujours plus nette chez les garçons) s’orientaient vers le petit train. En outre, la testostérone permettait de prédire quel jouet l’enfant allait préférer : moins il y en avait, plus l’enfant jouait avec la poupée; plus il y en avait, plus il choisissait le petit train. D’autres études observent qu’une exposition in utero à des perturbateurs endocriniens chimiques, comme les phtalates, ou non chimiques, comme le stress, influe sur les préférences ludiques en « démasculinisant » les jeux des petits garçons ou en « masculinisant » celui des petites filles. Une piste hormonale qui, soit dit en passant, infirme l’idée que les préférences ludiques sexuées sont liées à des niveaux d’activité sexuellement spécifiques (garçons agités-jouets de mouvement/filles calmes-jouets plus statiques).
Enfin, des travaux observant des tendances similaires chez d’autres espèces animales (singes vervets, macaques rhésus et chimpanzés) sont autant d’éléments supplémentaires d’un faisceau de preuves cohérentes et cumulatives mettant fortement en doute l’idée que les jouets seraient responsables des préférences des enfants et qu’en agissant sur les premiers il serait possible d’orienter ces dernières. En l’état actuel des connaissances, la socialisation n’a qu’un effet modulateur sur ces différences sexuelles comportementales fondamentalement enracinées dans notre héritage biologique et évolutionnaire – elle peut les amplifier ou les atténuer, en aucun cas elle ne peut les inverser, les créer ou les détruire.
Lire aussi « Pourquoi les cerveaux masculins et féminins ne sont pas un « mythe »
Lire aussi « Phébé – Différences entre les sexes : Darwin avait raison »
Lire aussi « États-Unis : « l’idéologie du genre » a encore frappé »
Notons aussi que, lorsqu’on donne des jouets de fille aux garçons (et inversement) ils montrent une tendance très forte à s’en servir conformément à leur sexe et non à la destination de ces jouets. Par exemple les garçons se servent des poupées comme de matraques et les filles donnent des bains à leurs camions.