Le plaisir féminin en peinture

L’extraordinaire « Vénus » de Titien

La « Vénus » de Titien (dite Vénus d’Urbin) passe pour être la première femme « déshabillée » de l’histoire de l’art.

Titien, Vénus d’Urbin (Florence, Musée des Offices), 1538

Jusque là, les nus féminins étaient des sujets mythologiques (Vénus préhistoriques, déesses antiques ou renaissantes, Ève…), mais ici, ce pourrait être un portrait allégorique d’une maîtresse du commanditaire – une vraie femme donc, et qui plus est, à des fins érotiques. Et c’est à ce titre, en tant que « plus grand fétiche érotique » de la peinture, que les féministes l’ont dans leur viseur depuis les années 1970.

Elles lui reprochent en effet de n’être pas seulement une femme nue, mais une femme déshabillée (car elle porte des bijoux et elle contraste avec les servantes habillées) – ce qui est pire, car davantage érotique. Or, que le corps d’une femme puisse être au service du désir masculin est la pire offense que l’on puisse faire à une néo-féministe.

Reprenons. La « Vénus » de Titien cumule les péchés. C’est un nu naturaliste et sensuel, d’une grande beauté, d’une femme réelle mais idéalisée. Et celle-ci assume sa nudité, regardant le spectateur dans les yeux comme pour mieux l’inviter : elle offre même son corps à son désir, les doigts sur son sexe. On suppose que le modèle était une maîtresse du duc d’Urbin, une courtisane aussi jolie qu’aisée et cultivée.

Le duc aurait ensuite utilisé cette peinture en compagnie de sa jeune épouse, qui lors de la confection du tableau avait tout juste 14 ans et devenait donc pubère. Le couple sortait la peinture du cassone (le coffre de mariage, représenté au second plan) lors de ses ébats afin de s’érotiser mutuellement. On convient désormais que cette « Vénus » au premier plan représente le tableau lui-même, juste sorti de son coffre à l’arrière-plan et présenté aux regards (comme Daniel Arasse l’a expliqué).

Si l’on observe de près la main gauche de cette femme, notamment le pouce et l’index, on réalise qu’elle est en train de caresser son sexe. Ce n’est donc plus une Venus pudica classique qui cache son sexe de sa main, mais une Vénus impudique qui se caresse en invitant même du regard le spectateur. On s’accorde aujourd’hui à reconnaître ici une scène de masturbation féminine, ce qui est tout à fait  exceptionnel dans la peinture classique.

Vénus se caressant

La raison en serait la suivante : on pensait dans la Venise du XVIe siècle que pour avoir de beaux enfants, il fallait que la femme ait un orgasme avant le coït. Ce type d’oeuvre servait donc à érotiser le couple ; l’homme, mais aussi la femme, très certainement – car la vue d’un nu féminin est tout aussi stimulant pour une femme que pour un homme.

C’est ici qu’un premier argument féministe tombe : Non, les nus féminins naturalistes ne sont pas faits que pour érotiser les hommes. Les femmes les admirent tout autant et ils peuvent même les faire mouiller. Les réalisatrices de pornos telles qu’Ovidie le savent bien et c’est également une donnée connue des sexologues.

Danaé et la pluie dorée

On retrouve la caresse et le plaisir féminin sur cet autre toile du même Titien, Danaé recevant la pluie dorée, ici dans sa version du Prado , vers 1565 (Titien a peint cette scène pas moins de six fois).

Titien, Danaé recevant la pluie dorée (Madrid, Musée du Prado), vers 1565

Selon la légende, Jupiter a possédé sexuellement Danaé (retenue captive par son père) au moyen d’une pluie d’or qu’il a fait couler sur elle depuis la fenêtre ouverte sur le ciel de sa chambre-prison. De cette union naîtra Persée. C’est un thème pictural généralement très érotique – et l’on voit même ici Danaé caressant son sexe de sa main gauche.

Danaé se caressant sous la pluie d’or de Jupiter (détail) [cliquer pour agrandir]

Ce thème éminemment érotique sera repris par Gustav Klimt. La pluie dorée de Jupiter fait ici penser à des vagues de plaisir qui s’échappent des cuisses de Danaé. Elle se caresse probablement de sa main gauche et son visage exprime l’extase d’un rêve érotique.

Gustav Klimt, Danaé, 1907 (Coll. privée)

On imagine à quel point les féministes peuvent détester le traitement de ces thèmes iconographiques qui permettent aux hommes d’observer la sensualité du corps et du plaisir féminins, voire de s’en érotiser. La simple idée que des nus féminins puissent être regardés par des hommes les horripile déjà.

On leur rétorquera que d’une part, elles devraient plutôt se réjouir de voir des femmes prendre en main leur propre plaisir. Puisqu’on sait, depuis la campagne Osez le Clito (initiée par Caroline de Haas sur le modèle du féminisme radical à l’américaine) que le plaisir clitoridien serait en quelque sorte le seul horizon politiquement correct des nouvelles féministes – dans la mesure où il se passe de l’homme. On sait également que l’art féministe tourne presque exclusivement autour de la thématique du clitoris. Or on voit ici que les femmes n’ont pas attendu Osez le clito pour se masturber et que même sans Caroline de Haas pour leur expliquer, elles le faisaient déjà sans le dissimuler au XVIe siècle .

Et que d’autre part, il est erroné de croire que les peintures de nus féminins érotiques seraient seulement le fait de peintres masculins – abominables voyeurs profitant de la situation pour reluquer leurs modèles. Si le nu féminin a pu servir à l’érotisation du couple et que la femme y prenait sa part de plaisir, on connaît par ailleurs plusieurs femmes peintres italiennes du XVIIe siècle auteurs de nus féminins érotiques. C’est le cas de la bolonaise Elisabetta Sirani et l’on connaît également une femme peintre auteur d’une Danaé très sensuelle.

Il s’agit d’Artemisia Gentileschi, artiste-peintre napolitaine qui a réalisé cette Danaé alors qu’elle n’avait elle-même que 19 ans. Sa Danaé nue s’offre et se cambre sous une pluie d’or qui converge vers son sexe. Preuve que les nus érotiques peuvent aussi être le fait de femmes, à destination des hommes, certes, mais aussi parfois des autres femmes.

Artemisia Gentileschi, Danaé (Saint Louis, Art Museum), huile sur cuivre, vers 1612.

– Sur Artemisia, voir aussi :

[Arme fatale] – Artemisia Gentileschi ou la tactique de l’accusation de viol au XVIIe siècle

  • Comme le raconte sur son blog Carmilla le Golem, la peinture figurative et sensuelle (qui a presque totalement disparu de l’art contemporain) pouvait aussi faire l’éducation sexuelle d’une jeune femme et lui fournir des occasions de plaisir.  Elle raconte :

« Oserais-je le dire ? J’ai fait mon éducation sexuelle, sensuelle, en fréquentant les musées. Je mouillais ma culotte, je frémissais, quand je visitais le Musée d’Orsay ou le Musée Russe de Saint-Pétersbourg. Je me suis, aussi, terriblement branlée en feuilletant les livres d’histoire de la peinture. C’était ma principale source d’inspiration érotique.

Ça n’est plus possible aujourd’hui ; la magie de l’image, ça n’existe plus. Je peux visiter une exposition d’Art Moderne sans éprouver autre chose qu’un intérêt poli, intellectuel, et je n’ai, évidemment, pas besoin de changer de culotte. »

  • « Je voudroi bien richement jaunissant 
    En pluïe d’or goute à goute descendre 
    Dans le beau sein de ma belle Cassandre, 
    Lors qu’en ses yeus le somme va glissant.  » (Pierre de Ronsard, Les Amours, 1553).

L’on retrouve ici la pluie d’or, la culture et la civilisation françaises et de nouveau… les féminhystériques. Celles-ci on lancé une attaque contre l’utilisation de ce poème à l’agrégation de Lettres parce qu’il participerait de la « culture du viol » (traduction : « tous les hommes sont culturellement des violeurs et des criminels »). La paranoïa pathologique, l’incurie intellectuelle et l’effondrement de la culture classique qui sous-tendent ces postures sont une dramatique illustration de ce qu’est en train de devenir l’université française aux mains des bigotes féministes. Étant de nature optimiste, j’ose croire toutefois que le coeur vivant de l’esprit français saura résister aux assauts de ce féminisme pathologique.

  • On ne quittera pas ce thème sans revoir la Victorine (ou est-ce une Danaé ?) se caressant de Jean-Patrick qui a, comme on l’a vu, d’illustres prédécesseurs – auxquels on peut désormais adjoindre la célèbre « Vénus » de Titien.
Jean-Patrick Capdevielle, Le Déjeuner sur l’herbe, 2017 (technique mixte, 200 x 200 cm)

 

Victorine (ou Danaé ?) du XXIe siècle (détail).

On saluera également en passant Victorine Meurent, la vraie, celle de Manet, qui a repris la pose de la « Vénus » de Titien. Manet ne l’avait confié à personne, mais il avait créé son Olympia sur le modèle du tableau de Titien, dont il avait réalisé une copie lors de son passage à Florence. Victorine y incarne cette fois une prostituée, version moderne de la courtisane de Titien. Le tableau a provoqué un scandale encore plus grand que le Déjeuner sur l’herbe de 1863.

Édouard Manet, Olympia, 1863-65 (Paris, Musée d’Orsay)

Édouard Manet a donc peint Victorine deux fois en 1863, dans le Déjeuner sur l’Herbe et dans Olympia, en s’inspirant les deux fois de tableaux de Titien (Le Concert champêtre et « Vénus »). Victorine nue soutenant le regard du spectateur lui a visiblement été inspirée par la « Vénus » de Titien.

Que des femmes puissent de la sorte assumer leur nudité en peinture est une chose qui contrarie beaucoup les néo-féministes. Elles pourront objecter qu’ici, les modèles se sont pliés au désir du peintre et que c’est lui seul qui a eu l’idée de leur donner ce regard assuré.

Oui, mais… Et les femmes qui demandent elles-mêmes à se faire représenter nues ? Ce sera l’objet de mon article suivant :

La fausse repentante ou la belle aux seins nus

 

  • Voir aussi :

5 réponses sur “Le plaisir féminin en peinture”

  1. « on pensait dans la Venise du XVIe siècle que pour avoir de beaux enfants, il fallait que la femme ait un orgasme avant le coït. »
    Pouvez-vous citer vos sources?
    J’ai un peu cherché, mais c’est de la « petite histoire », ce n’est pas évident…
    Merci beaucoup.
    Je trouve ce site très intéressant et réconfortant !

    RL

    1. Bonjour,
      J’ai écrit cet article il y a longtemps, mais je ne l’ai pas inventé. Il me semble que sur ces sujets, les sources sont Daniel Arasse, « La chair, la grâce, le sublime », Histoire du corps. De la renaissance aux Lumières, (sous la direction de Georges Vigarello), 2005, p. 452 et Rosa Goffen, « Sex, space, and social history in Titian’s Venus of Urbino », Titian’s ‘Venus of Urbino’, 1997, p. 77.
      Cordialement

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