Le « mâle blanc » occidental est-il vraiment l’ennemi des femmes ?

Néo-féministes dans la rue (montage photo personnel)

Jeudi 22 novembre 2018

VOX ; Vox Societe

Marlène Schiappa & Bérénice Levet : le « mâle blanc » occidental est-il vraiment l’ennemi des femmes ?

Devecchio, Alexandre

DÉBAT – Dans son nouvel essai, Bérénice Levet s’insurge contre un néoféminisme qui, selon elle, serait devenu une machine à criminaliser le désir masculin et à détruire notre modèle de civilisation. Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, voit au contraire dans le mouvement #MeToo un moyen de lutter contre les violences faites aux femmes.

LE FIGARO MAGAZINE. – Depuis le mouvement #MeToo, l’adversaire prioritaire des féministes est le «mâle blanc» occidental, termes utilisés par le président Macron. Cette tendance illustre-t-elle la thèse de Bérénice Levet, qui dans Libérons-nous du féminisme! dénonce une victimisation systématique des femmes?

Marlène SCHIAPPA. – Je me retrouve dans certains des propos de Bérénice Levet contre la victimisation des femmes, ou dans les écrits de Virginie Despentes sur ce sujet dans King Kong Théorie ou Baise-moi. Elle y explique que les femmes ne sont pas obligées de se sentir victimes après avoir subi un viol. Nous devons éviter d’être enfermées collectivement dans le statut de victime.

Bérénice LEVET. –  Je dénonce d’abord un féminisme identitaire, exaltant l’identité des femmes et les essentialisant dans le rôle d’éternelles victimes d’hommes eux-mêmes figés dans celui d’immémoriaux prédateurs. Le scénario est écrit et la vie des femmes, depuis la préhistoire jusqu’à nos jours, doit volens nolens y entrer. Loin du féminisme à la française universaliste, ce féminisme envisage les deux sexes comme deux continents séparés, deux camps dressés l’un contre l’autre.

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Je me réjouis d’entendre que vous n’approuvez guère cette approche. Malheureusement vous-même y concourez. Vous êtes de ceux qui voudraient voir introduit dans le droit français le crime de « féminicide », et vous n’avez pas craint d’utiliser le terme lors de l’arrestation de Jonathann Daval.

Marlène SCHIAPPA. –  J’ai publié voici des années des travaux de recherche dans un livre, Où sont les violeurs? Essai sur la culture du viol. J’ai démontré que ce n’est pas uniquement une question femmes/hommes, puisque des hommes peuvent aussi être victimes d’autres hommes ou même de femmes. Je réfute la guerre des sexes. La violence sexuelle est d’ailleurs souvent le fait de gens qui ont subi eux-mêmes des violences. Par ailleurs, je revendique le fait que la France combatte le féminicide. Quand des petites filles sont tuées parce qu’elles sont des filles, il s’agit bien de féminicide. Le mot « féminicide » désigne le fait de tuer une femme parce qu’elle est une femme.

Bérénice LEVET. –  C’est bien là que le bât blesse ! Dans le cas du crime conjugal, ce n’est pas une femme qu’un mari ou un conjoint tue, c’est sa femme, sa conjointe.

N’est-il pas hypocrite de nier qu’il existe une forme de violence spécifique dont les femmes sont victimes dans certains quartiers où elles ne peuvent plus vivre normalement ?

Bérénice LEVET. –  Ce deux poids deux mesures est une des raisons majeures pour lesquelles il nous faut nous libérer du féminisme. Être féministe aujourd’hui, c’est être désespérément absent des seuls terrains et des seules causes où être féministe garderait un sens et une urgence, à savoir dans les territoires perdus de la République, et d’abord de la France, car ce sont les mœurs françaises, à commencer par notre art de la mixité des sexes, qui sont bafouées.

Marlène SCHIAPPA. –  Vous ne prononcez pas le mot mais vous voulez parler de l’islam ?

Bérénice LEVET. –  Ne croyez pas que j’allais le taire ! En effet, dans ces territoires, les clés ont été remises aux fondamentalistes islamistes, les femmes ont déserté l’espace public, ou quand elles le traversent, c’est dissimulées sous des monceaux de tissus ; parler de patriarcat ici se justifierait. Or, les féministes sont dans le déni…

Marlène SCHIAPPA. –  Il ne faut pas tout mélanger. Quand des femmes sont tuées par leur conjoint, ce ne sont pas toujours des conjoints islamistes. Il suffit de se pencher sur les statistiques des violences conjugales. Ces violences procèdent ni plus ni moins de la domination masculine…

Bérénice LEVET. –  Mais non…

Marlène SCHIAPPA. –  Comment non ? Je peux vous prendre mille exemples mais prenons celui qui me vient à l’esprit. Celui de Bertrand Cantat. Il ne m’est pas apparu qu’il était islamiste. Il a frappé Marie Trintignant parce qu’il pensait qu’il la possédait.

Bérénice LEVET. –  Le mécanisme des violences conjugales est autrement complexe et l’explication par la domination, ce talisman des féministes, n’éclaire rien. Chaque couple a une histoire singulière que l’on ne peut sûrement pas réduire à ce schéma…

Marlène SCHIAPPA. –  Expliquez-moi alors quel est selon vous le mécanisme des violences conjugales ? Savez-vous qu’en France, tous les trois jours une femme est tuée par son conjoint ? Vous me faites penser aux gens qui nient la réalité du terrorisme ! Vous savez, ces gens qui veulent toujours expliquer le terrorisme par la folie ou la singularité du tueur…

Bérénice LEVET. –  Je dis simplement ceci : le fait de voir la femme comme une inférieure n’entre pas en ligne de compte dans ce phénomène de violence. Surtout pas dans le cas de Cantat…

Marlène SCHIAPPA. –  J’ai été déçue par la manière dont plusieurs associations féministes ont réagi à l’affaire de Cologne, ou plutôt n’ont pas réagi. J’attendais une condamnation que j’ai moi-même faite à l’époque dans une tribune qui est toujours en ligne, et un chapitre entier d’Où sont les violeurs ? y est consacré. Être un étranger n’est pas une circonstance atténuante en matière de viol. Pas plus qu’une circonstance aggravante. Soyons clairs : la charia induit l’infériorisation des femmes et leur relégation. Par exemple, la burqa vise à faire disparaître les femmes de l’espace public, avant de les faire disparaître tout court. C’est révoltant !

Bérénice LEVET. –  Dans mon livre, je consacre un chapitre à Cologne et à La Chapelle-Pajol. Or, à La Chapelle-Pajol, vous-même avez d’abord cédé à la tentation du déni.

Marlène SCHIAPPA. –  C’est faux ! Citez une seule phrase qui exprime ce déni !

Bérénice LEVET. –  Vous vous filmez traversant les rues incriminées et vous concluez : « Il n’existe aucune zone de non-droit pour les femmes dans la République. » D’où vient que vous soyez si mobilisée lorsqu’il s’agit de mâles blancs hétérosexuels occidentaux et si discrète lorsqu’il s’agit des banlieues ou de certains quartiers des grandes villes ?

En mai, vous installiez vos bureaux à Trappes, très bien. Mais il a fallu que vous soyez pressée par de rares journalistes pour que vous reconnaissiez qu’il n’y avait pratiquement plus de femmes dans les rues de Trappes.

Marlène SCHIAPPA. –  Mais c’est totalement faux ! J’ai décidé seule de délocaliser trois jours mon cabinet à Trappes. J’ai adressé un message fort sur la manière dont les femmes doivent pouvoir s’emparer de l’espace public. Dire que j’ai parlé de ces réalités parce que j’y étais acculée est un procédé de mauvaise foi. C’est un procès d’intention.

Les propos d’Élisabeth Badinter sur la liberté des femmes qui régresse dans les « quartiers maghrébins », vous les avalisez ?

Marlène SCHIAPPA. –  Le propos est intéressant même si la notion de «quartier maghrébin» me paraît contestable…

On parle bien de « quartier chinois » dans le XIIIe à Paris, pourquoi pas de « quartier maghrébin » ?

Marlène SCHIAPPA. –  Parce que je suis opposée au multiculturalisme et à la notion de communautés. Il n’y a qu’une seule communauté en France : la communauté nationale. La République est une et indivisible. Mais je voudrais revenir sur La Chapelle-Pajol où je suis allée de nuit avec un ami pour me rendre compte par moi-même de ce qui se passe. Eh bien, je m’en suis rendu compte ! Il y a très peu de femmes dans l’espace public, monopolisé par des bandes d’hommes. Les femmes sont scrutées, parfois suivies. Je refuse que l’on m’accuse de déni, et ce d’autant plus que j’ai grandi dans ces quartiers, notamment à Belleville, à la Cité rouge, lieu tristement connu pour être celui où ont grandi les frères Kouachi à la même époque. Quand j’y retourne, je constate que ces quartiers ont évolué négativement. La place des femmes y a reculé. Quand j’étais enfant, dans les années 1980-1990, les petites filles pouvaient jouer tranquillement dehors. Adolescente, c’était déjà un peu difficile mais on pouvait encore sortir. Mais pour les jeunes filles d’aujourd’hui, c’est dramatique dans certains endroits ; c’est pour cela que nous avons créé les quartiers de reconquête républicaine.

Bérénice LEVET. –  Pourquoi ces questions-là ne sont-elles pas davantage mises en avant par votre secrétariat d’État ?

Marlène SCHIAPPA. –  Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ! Je viens de vous démontrer le contraire.

Dans son livre, Bérénice Levet met en cause un certain féminisme d’essence puritaine de provenance américaine. Comment vous situez-vous par rapport à cette idée ?

Marlène SCHIAPPA. –  C’est une blague ? Je ne risque pas de me reconnaître dans un tel courant. On me ferait plutôt le procès inverse puisque certains « m’accusent » d’avoir signé sous pseudo des romans érotiques et d’avoir joué Les Monologues du vagin. Soyons sérieux : le féminisme n’est pas un mouvement monolithique. Je ne valide pas la totalité du discours de chaque utilisatrice individuelle de #MeToo, et vice versa. L’enjeu de #MeToo est de lutter contre les agressions sexuelles, il ne s’agit pas de stigmatiser la sexualité dès lors qu’elle est consentie. Les femmes ne doivent pas être réduites au statut d’objet de désir, mais pouvoir être des sujets désirants.

Bérénice LEVET. –  Aussi longtemps qu’il s’agit d’exalter le désir féminin, autocentré, autosuffisant, les féministes n’y voient pas d’objection, en effet ! Comme dans cette pièce plébiscitée par les féministes et qui vous est chère, Madame la ministre, Les Monologues du vagin. Les choses se corsent et tournent au puritanisme lorsqu’il s’agit du jeu qui s’instaure entre les deux sexes, et c’est en ce sens que je parle de puritanisme. Il y a une hantise du désir hétérosexuel ! Votre loi sur le harcèlement de rue en est un bon exemple… Le regard même qu’un homme peut porter sur une femme devient suspect.

Marlène SCHIAPPA. –  Visiblement, vous n’avez lu ni le texte de théâtre, ni la loi. Vous l’avez lue, la loi ? À quel moment est-il question d’un regard offensant ?

Bérénice LEVET. –  Oui, je l’ai lue, et attentivement. La désignation des actes susceptibles de tomber sous le coup de l’accusation de harcèlement de rue est des plus vagues…

Marlène SCHIAPPA. –  Dites-moi quand j’ai dit qu’un regard appuyé devait être verbalisé ? Vous relayez des fake news ! Le harcèlement de rue, ce n’est pas cela ! Vous qui déplorez la situation des femmes dans le quartier de La Chapelle-Pajol, vous devriez me féliciter de cette loi !

Bérénice LEVET. –  Mais pourquoi avoir besoin d’une loi spécifique ? Revenons sur le mot « sexisme », c’est le nerf de la guerre. Que dit-il sinon que toute perception, toute pensée de la différence des sexes est condamnable ?

Pourquoi ne pas admettre que certaines disparités entre hommes et femmes sont fondées sur des différences de dispositions ?

Bérénice LEVET. –  Je suis très attachée à l’idée de polarité des sexes. Je ne m’offusque nullement d’une éducation qui apprend au petit garçon « un homme, ça ne pleure pas ! », non parce qu’il faudrait le rendre insensible, mais parce que, des deux sexes, il en faut un qui « ne concède pas trop à la nature », comme dirait Saint-Simon, qui sache contenir ses affects, et laisser croire que des malheurs, de l’adversité, on peut toujours triompher. Et si ce rôle revient à l’homme, c’est que ce roc, il l’incarne physiquement. Car je soutiens aussi que le corps n’entre pas pour rien dans notre identité. Je dis avec Hannah Arendt que l’on naît femme et qu’on le devient.

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Marlène SCHIAPPA. –  Ça, c’est intéressant. Le débat entre essentialisme et existentialisme me passionne depuis toujours. Les différences biologiques existent et sont déterminantes. Je suis très attachée à la maternité. Mais je trouve aussi émouvant un homme qui pleure. Quant aux différences physiques entre sexes, vous avez raison : dans la moyenne les femmes sont moins grandes, mais si je fais un match de boxe contre Éric Zemmour, je gagne !

Voir aussi :

Caroline De Haas, les étranges méthodes de la pasionaria du féminisme

 

Le Verrou de Fragonard ou l’équilibre asymétrique des désirs

 

3 réponses sur “Le « mâle blanc » occidental est-il vraiment l’ennemi des femmes ?”

  1. Dialogue de sourdes, qui n’apporte pas grand chose à la compréhension du phénomène des violences conjugales ou de la soi-disant « domination patriarcale » : les deux ‘adversaires » font plus état de leurs divergences que d’une tentative sérieuse pour résoudre celles-ci en apportant des arguments vraiment décisifs. La controverse tourne d’ailleurs trop souvent autour de la question de l’Islam et de l’immigration, fond de commerce habituel de la droite version Figaro et Valeurs actuelles, et ne constitue pas l’essentiel de la question des rapports conflictuels entre hommes et femmes dans nos sociétés contemporaines. La dernière intervention de Schiappa est d’ailleurs tout à fait symptomatique de la manière dont la phraséologie féministe est utilisée comme une arme de guerre par celles qui s’en réclament : qui évaluera qui de Zemmour ou Schiappa a « gagné, et sur quel terrain de combat se place-t-on ici ? La vantardise de Schiappa est ici manifeste, et la terminologie féministe a essentiellement pour fonction de « fermer la bouche de l’adversaire » en le laissant sans voix, à l’aide de formules toutes faites où abondent les verbiage anglo-saxon directement emprunté aux militantes américaines. Ce procédé, typique de l’idiosyncrasie gauchiste issue des années 60/70, n’a nullement pour objectif de décider réellement de quel côté se trouve la vérité, mais est tout simplement un élément constitutif du terrorisme intellectuel à portée propagandiste qui sévit dans les médias, par l’entremise de ceux qui se disent « progressistes ».

    1. Belle analyse, nous sommes bien d’accord ! De toutes façons, le néo-féminisme n’est d’une manière générale que du discours hors-sol, le réel rapportant habituellement tout autre choses que les fixations imaginaires de ces idéologues. Dernier exemple : Marlène Schiappa qui répète sans cesse que les violences conjugales augmentent pendant le confinement… alors qu les statistiques ne le montrent pas particulièrement. Mais là, motus… https://www.causeur.fr/confinement-violences-conjugales-schiappa-175810

  2. Bravo pour l’analyse de Dionysiac, même si je me sens plus Apollinien ! Très pertinente.
    Je suis tombé sur cet article et l’échange subséquent par l’intermédiaire du mot-clé « Jonathann Daval ». En réalité, je ne fus pas très étonné. J’ai appris hier que son avocat, Me Randall Schwerdorffer, a reçu des menaces (ou plutôt la librairie qui s’apprêtait à le recevoir) par des association néofém à l’occasion de la visite promotionnelle de son dernier livre. Mon cerveau s’est immédiatement dit : « mais cette histoire histoire Daval est un peu celle de Jacqueline Sauvage au masculin ? » N’est-ce pas ? Ne s’agit-il pas dans tous les cas d’un crime de passion, du drame d’une personne acculée à ne plus supporter une maltraitance ? N’est-t-il pas question d’une « folie passagère » à la suite d’un mal-être impossible à purger ? En définitive, ces tragédies (et je parle des faits, non des idéologies) font apparaître la difficulté pour le droit de juger les faits quand la part de psychologie s’invite. Sans trop de surprise, en recherchant, je me suis rendu compte que Me Schwerdorffer faisait à peu près le même constat à l’époque de l’instruction. Alors pourquoi deux poids deux mesures ? Simplement évidemment car le féminisme profite de l’époque qui lui permet de s’exprimer, continue de faire fleurir le discours victimaire idéologique sans jamais s’apercevoir du paradoxe de sa place de choix médiatique.
    Plutôt que de trop paraphraser Dionysiac, car oui je suis d’accord ces pseudo-débats n’ont jamais pour but d’approcher la vérité mais de montrer lequel des intervenants est le plus « efficient », je voudrais porter à la réflexion cette question : comment sortir de cette rhétorique ? Hier était la journée de marche contre les violences et cette horreur sémantique de « féminicide » que je ne commenterai pas plus. Pourquoi si peu de monde ne se rend compte de ce qui « cloche » (à la manière de ces différences de traitement que j’ai relatées) ? Comment politiquement et culturellement en sortira-t-on ?
    Merci pour votre sage avis, je sais hélas que les temps ne sont pas apaisés.

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